La grève de la faim : l'arme des désespérés, par Tieri Briet
Hier, au fond de 29 prisons turques, des hommes et des femmes qui avaient mis leur vie en danger en refusant de s'alimenter, ont décidé d'arrêter leur grève de la faim. Après 64 jours, c'est une défaite mais leurs vies sont sauvées, et nos journaux ne l'ont pas mentionné. Leur silence a de quoi mettre en colère, quand ils donnent tant d'importance aux moindres déclarations des onze candidats. Comme si la parole d'un tricheur, d'une riche héritière ou d'un ancien ministre avait plus d'importance que celle d'un homme qui risquait sa vie pour que son appel au secours soit enfin entendu.
La semaine dernière, j'ai essayé de raconter la grève de la faim que mènent Nuriye et Semih, à Ankara. Ils sont enseignants tous les deux et jour après jour, j'ai de plus en plus peur pour leur santé. Nuriye était chercheuse à l'université, Semih enseignait dans une école primaire. En novembre 2016, ils ont été limogés par décret. Ils ne sont pas emprisonnés mais depuis le 11 mars 2017, ils sont en grève de la faim et manifestent chaque jour leur résistance sur un boulevard d'Ankara. Demain, il y aura quarante jours qu'ils ne mangent plus, le ventre vide comme une ultime épreuve pour affronter l'État qui a voulu briser leurs vies.
Et puis mardi, la revue Ballast a publié la déclaration que Marwan Barghouti, un membre du Fatah en Palestine, avait écrite de sa prison, pour annoncer la grève de la faim qu'entamaient mille prisonniers politiques palestiniens dans les prisons d'Israël. Marwan Barghouti est l'un des initiateurs de la première intifada, il a vécu en exil en Jordanie et échappé à une tentative d'assassinat par les services secrets israéliens, avant d'être emprisonné en 2002. L'année suivante, un tribunal israëlien a condamné Marwan Barghouti à cinq peines de prison à perpétuité pour les cinq meurtres dont il était accusé. Une autre manière d'assassiner un homme.
« Faire la grève de la faim, écrit Marwan Barghouti, est la forme la plus pacifique de résistance qui existe. Elle fait souffrir uniquement ceux qui y participent et ceux qui leur sont chers, dans l’espoir que leur estomac vide et leur sacrifice aideront à ce que le message trouve un écho au-delà des limites de leur sombre cellule. »
J'aime ce que cet homme a écrit. Son message s'adresse à nous, qui vivons hors des frontières de Palestine et d'Israël. Ses paroles parlent vrai et répondent à celles de Nuriye et Semih, en Turquie. Eux non plus ne sont pas seuls. Dans les prisons turques, ils étaient plus de deux cent à avoir entamé une grève de la faim dans vingt-neuf prisons différentes. Parmi eux, 37 femmes. Les initiateurs du mouvement ne s'alimentaient plus depuis 64 jours, réclamant que leurs droits humains soient respectés. Les journaux français, pourtant focalisés sur la situation politique en Turquie, ont gardé le silence sur ces grèves de la faim qui étaient pourtant un appel au secours.
Le 7 avril, un appel d'urgence lancé par des journalistes, écrivains et universitaires turcs, expliquait qu'ils voulaient vivre dans un pays où la mort n'est pas la solution pour se faire entendre. À Strasbourg, le 13 avril, des membres du Centre démocratique du peuple kurde en Europe ont eux aussi entamé une grève de la faim, en soutien aux grévistes des prisons turques. Il semble qu'en France, la violence des ventres vides ne suffise pas à faire la Une de nos journaux. Seul, le magazine Kedistan a continué sa croisade solitaire en relayant les déclarations des grévistes. Le 19 avril, en raison des manifestations qui contestent les résultats du référendum, les grévistes de la faim ont cessé leur mouvement. Ils n'ont pas été entendus. Non seulement le gouvernement a refusé d'ouvrir le dialogue, mais nos journaux sont restés silencieux.
En France, ce sont des sans-papiers qui viennent d'entamer une grève de la faim. C'est le recours de ceux qui n'ont plus aucun accès aux droits fondamentaux. L'arme des désespérés. Ils sont neuf à demander qu'on les écoute : Tchadiens, Camerounais, Géorgiens, Ivoiriens, Algériens ou Afghans, tous détenus au Centre de Rétention Administrative. Ils ont travaillé en France, certains s'y sont mariés et y ont eu des enfants. Ils ne demandent qu'une chose : déposer une demande d'asile à la préfecture de l'Essonne. Nadège Dubessay est journaliste à L'Humanité et elle raconte leur histoire. Elle cite Marie Bassi, une membre du Bureau d'accueil et d'accompagnement des migrants, et ses paroles devraient nous alerter : « Les conditions dans les Centres de Rétention Administrative sont si dures que les gens font des tentatives de suicide. » La colère de Marie Bassi ne s'en va pas et les histoires qu'elle raconte devraient nous révolter. Pourquoi votons-nous, si nous laissons des hommes mourir de désespoir pendant qu'ils sont enfermés dans ces centres ? Ils sont près de 50 000 étrangers enfermés dans ces centres chaque année, où les mutineries ne cessent pas : des incendies, des mutilations volontaires, des suicides et des grèves de la faim ont transformé l'histoire des CRA en tragédie nationale.
Je ne connais pas Nadège Dubessay, la journaliste qui raconte la grève de la faim de ces neuf étrangers. Je ne sais pas quel âge elle a ni ce qu'elle pense. Je voudrais la connaître, pouvoir la remercier parce qu'elle a fait beaucoup plus que son travail d'enquête. Je crois qu'elle vient de lancer une alerte, en donnant un premier écho au cri d'hommes qu'on enferme pour des histoires de papiers. Les grèves de la faim, qu'elles aient lieu en Turquie, en Palestine ou en France, devraient nous obliger à protester, à inventer de nouvelles résistances, solidaires avec ceux qui n'ont plus aucun droit. A condition que nous sortions de cette léthargie électorale, en décidant d'être humains à nouveau.
Tieri Briet
Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il grandit à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet vit aujourd'hui à Arles, au milieu d'une famille rom de Roumanie dont il partage la vie et le travail. Il a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu veilleur de nuit pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Père de six enfants et amoureux d'une journaliste scientifique, il écrit pour la revue Ballast, Kedistan et L'Autre Quotidien, et voyage comme un va-nu-pieds avec un cahier rouge à travers la Bosnie, le Kosovo et la Grèce pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ».
Blog perso : Un cahier rouge