Misère de l’antiracisme institutionnel, par Olivier Le Cour Grandmaison
Par un hasard singulier du calendrier, la Marche pour la justice et la dignité, contre les violences policières, le racisme, la hogra et la chasse aux migrants, du 19 mars dernier, a coïncidé avec le lancement de la semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme mise en place par le ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Antiracisme politique contre antiracisme institutionnel. Depuis le 31 décembre 2014, dans la "douce" France de François Hollande, le second a été érigé au rang de « grande cause nationale ». Aussi n’est-il pas surprenant que M. Valls, alors à Matignon, ait jugé nécessaire de donner une « nouvelle impulsion aux politiques du gouvernement » dans ces différents domaines. Admirable.
Nul doute, les habitants des quartiers populaires, les familles des victimes de violences policières et les jeunes héritiers de l’immigration post-coloniale seront émus aux larmes par tant de préventions. De même les Roms dont l’ancien ministre de l’Intérieur affirmait, dans un entretien du 15 mars 2013 publié par Le Figaro, qu’ils« ne souhaitent pas s’intégrer ». Quelques mois plus tard, le 19 septembre de la même année, M. Valls récidivait en soutenant que le « mode de vie extrêmement différent » de « ces populations », réputées trop nombreuses (1), les place « en confrontation » avec les Français. Conclusion de cette diatribe, saluée par Eric Ciotti qui déclarait approuver le réalisme de celui qui se trouvait alors place Beauvau : les Roms « ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie ». Classique antienne xénophobe qui indexe la dangerosité supposée de certains étrangers sur leur volonté et/ou leurs capacités présumées à œuvrer à leur intégration. Les termes employés, les opinions communes mobilisées et les pratiques qu’ils légitiment, témoignent d’une continuité remarquable avec les orientations politiques appliquées par Nicolas Sarkozy lors de son quinquennat. Pis encore, il s’agit d’un durcissement crânement assumé par celui qui prétend incarner une gauche responsable et « de gouvernement ». A preuve, en 2013, sous l’autorité de Manuel Valls, les forces de l’ordre ont évacué 165 camps, soit près de 20 000 personnes, deux fois plus que l’année précédente (Rapport LDH et European Roma Rights Center). Cette politique a valu à la France d’être condamnée pour la quatrième fois par le Comité européen des droits sociaux chargé de l’application de la Charte sociale européenne auprès du Conseil de l’Europe pour violation des dits droits. Belle performance.
Outre le ministère de l’Education nationale, la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) joue un rôle majeur dans la promotion de cet antiracisme institutionnel. Ses objectifs ? Défendre « les valeurs et les principes fondamentaux de la République, de respect de l’égale dignité des êtres humains » afin de « sensibiliser les élèves des écoles, collèges et lycées à la prévention du racisme, de l’antisémitisme et de toutes les formes de discriminations ». Vaste programme qui pèche par de nombreux défauts.
D’une part, parce qu’il repose sur le postulat suivant : les maux visés et à combattre seraient d’autant plus importants que les personnes seraient faiblement éduquées et diplômées. De là, la réhabilitation d’une sorte de catéchisme républicain et moralisateur qui n’est pas sans rappeler les leçons d’instruction civique si prisées aux temps réputés glorieux de la Troisième République. Quid de la xénophobie et du racisme de certaines élites et institutions comme la police laquelle, couverte par les ministres de l’Intérieur de droite comme de gauche, multiplie les contrôles aux faciès, tutoie et violente plus souvent qu’à son tour ? De plus, selon l’enquête menée par l’ACAT, au cours de ces cinq dernières années, on « compte en moyenne un décès par mois (2) » suite aux interventions des forces de l’ordre. L’actualité le confirme sinistrement. Quid, enfin, des discriminations systémiques qui affectent gravement la vie de celles et ceux qui habitent les quartiers populaires et plus encore les jeunes d’origines maghrébines et africaines, qu’ils soient français ou étrangers ? Au mieux, ces différents phénomènes et pratiques sont euphémisés, au pire, ils sont niés par ceux-là mêmes qui prétendent faire de la lutte contre le racisme et la xénophobie une priorité nationale.
En ce qui concerne les méthodes de la police, leur duplicité est confondante, et totale. En témoigne la loi du 28 février 2017 présentée et défendue par le fier ministre de l’Intérieur, B. Le Roux, avant qu’il ne soit contraint à la démission en raison de ses turpitudes familialo-financières liées à l’emploi de ses enfants comme assistants parlementaires. Voté par les membres du groupe socialiste à l’Assemblée et au Sénat, par les élus Républicains et par J. Bompard, ancien défenseur de l’OAS, député d’extrême-droite et maire d’Orange, ce texte assouplit les règles de la légitime défense pour les policiers en leur permettant de faire un usage plus libre de leur arme à feu. De plus, les peines encourues pour délit d’outrage aux forces de l’ordre sont doublées : un an de prison et 15 000 euros d’amende.
Réforme « inacceptable », dont le seul but est de satisfaire les revendications des fonctionnaires concernés, estime la CNCDH. Dans L’Express du 13 février 2013, on pouvait lire un article intitulé « Halte au feu ! » dans lequel l’auteur fustigeait « une loi extraordinairement dangereuse. » Qui a écrit ces lignes d’une sévérité remarquable à l’endroit du gouvernement et de sa majorité servile ? Un-e- gauchiste irresponsable ? Un-e- militant-e- des droits de l’homme égaré-e- par ses principes et sa "culture d’opposition" ? Non, c’est au très modéré J. Attali que l’on doit cette charge sans concession. Espérons qu’il joindra le geste à la parole en conseillant à son champion, Emmanuel Macron, de faire abroger au plus vite cette loi scélérate si ce dernier est élu à la présidence de la République.
D’autre part, si la Dilcrah a élargi son champ d’action aux victimes des propos et des actes anti-LGBT, elle ignore toujours l’islamophobie qui est également absente du programme officiel d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme arrêté par le ministère de l’Education nationale. Quand des Juifs sont insultés ou agressés parce que juifs, les actes sont, à juste titre, qualifiés d’antisémites. Lorsque des Noirs, des Maghrébins, des Asiatiques, français ou étrangers, sont visés par des comportements similaires en raison de leur appartenance ethnico-raciale, ces derniers sont évidemment jugés racistes et/ou xénophobes. Par contre, lorsque des agissements antimusulmans sont commis, ils ne relèvent pas de l’islamophobie ! Celles et ceux qui soutiennent une aussi singulière assertion viennent de découvrir une catégorie pour le moins étrange de faits puisqu’ils sont sans cause ni origine cependant que nulle représentation négative de l’Islam ne serait ici en jeu.
Sur ce point précis, les uns et les autres font leurs les approximations de Gilles Kepel. Membre du conseil scientifique de la Dilcrah, il affirme que le terme islamophobie a été inventé par les « Frères musulmans dans les années 1990 pour criminaliser la moindre critique du dogme religieux dont ils se proclament les champions.(3) » Que des essayistes pressés, qui prennent leurs opinions pour de fortes pensées, relaient de telles balivernes est conforme à l’air du temps. Qu’il y ait des journalistes superficiels pour les croire, nul ne s’en étonnera. Qu’un professeur s’autorise ce qui serait sanctionné chez un étudiant rédigeant un mémoire de master 1 est indigne. De faciles recherches auraient permis à G. Kepel de découvrir que le vocable « islamophobie » est d’usage courant parmi les orientalistes et les spécialistes français des colonies au début du XXème siècle (4).
L’antiracisme institutionnel ? Un avatar consensuel de l’idéologie nationale-républicaine bien fait pour entretenir le mythe d’une France fidèle à ses valeurs comme à ses traditions supposées. C’est ce même avatar qui transforme des problèmes politiques, structurels et sociaux en enjeux purement éducatifs et moraux, et qui occulte ainsi la gravité des discriminations qui minent l’existence des habitants des quartiers populaires.
O. Le Cour Grandmaison, universitaire. Dernier ouvrage paru : L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014.
1. Aux romanophobes de droite comme de gauche qui soutiennent, contre toute vérité, que la proportion de Roms présents en France a fortement augmenté, rappelons ceci : ils ne représentent que 0, 03% de la population totale et ce chiffre est stable depuis une décennie. Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, année 2016, p. 18.
2. ACAT, Rapport d’enquête. L’ordre et la force, 14 mars 2016, p. 14.
3. G. Kepel, Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, avec la collaboration d’Antoine Jardin, Paris, Gallimard, 2015, p. 41-42.
4. Cf. entre autres, M. Delafosse, « L’état actuel de l’islam dans l’Afrique occidentale française. » in Revue du monde musulman, mai 1910, vol. XI, n°5, p. 53 et pour une étude récente, H. Asal, « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept. Etat des lieux de la recherche. » inSociologie, n°1, vol. 5, 2014, pp. 13-29.
Politologue spécialiste des questions de citoyenneté sous la Révolution française et des questions qui ont trait à l'histoire coloniale, Olivier Le Cour Grandmaison est maître de conférences en science politique à l'université d'Evry-Val d'Essonne et enseigne au Collège international de philosophie. Dernier ouvrage paru : L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, 2014. Nous le remercions d'accepter de partager ses chroniques avec L'Autre Quotidien. Vous pouvez le retrouver sur son blog.