Colère après le suicide à Saint-Lazare d’un délégué Sud Rail harcelé par sa direction
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies ce matin devant la gare Saint-Lazare, à Paris. Elles ont rendu hommage à Edouard, délégué Sud Rail, qui s’est jeté sous un train dans la nuit de vendredi à samedi. Parmi eux, d’ex-collègues, des syndicalistes de tous bords, des amis, mais aussi simples agents de la SNCF très touchés par ce geste de désespoir d’un délégué du personnel très investi auprès des salariés de la SNCF.
Il est monté à la tribune pour demander « Justice pour Edouard » avant d’appeler à une minute de bruit, pour rendre hommage à son collègue, délégué du personnel Sud Rail, qui s’est jeté sous un train, à 300 mètres des quais, entre les voies numéro 1 et 2 de la gare Saint-Lazare, dans la nuit du 10 mars dernier. David Michel, secrétaire régional Sud-Rail à Paris Saint-Lazare, qui porte un auto-collant « Ils sont responsables de la mort d’Edouard, nous les ferons condamner », est en colère. Extrêmement ému, il a longuement évoqué ce cheminot de 42 ans, « victime de la répression et de la discrimination syndicales ».
Un syndicaliste toujours prêt à défendre les plus faibles
Frédéric se souvient lui aussi très bien de de ce délégué du personnel très impliqué dans la défense des salariés. « L'année dernière, je lui avais parlé de mes problèmes avec la SNCF et il n'avait pas hésité à venir me voir chez moi pour me conseiller, alors que je n'étais même pas syndiqué », explique cet agent de saint-Lazare. « Lorsque j'ai appris son suicide, j'ai été extrêmement choqué. Il ne donnait pas l'impression d'être fragile, au contraire. C'était quelqu'un d'extrêmement investi », témoigne ce trentenaire. Entré en 1999 à la SNCF avec une reconnaissance de handicap (RQTH), Edouard s’était très vite syndiqué. D’abord à la CGT, puis au sein de Sud Rail, dont il était devenu délégué du personnel . Bien connu et apprécié de tous, le syndicaliste, rattaché au service escale de la gare Saint-Lazare, est décrit comme quelqu’un de généreux, « toujours prêt à prendre la défense des plus faibles ».
Salarié mais sans poste
Un investissement militant qui lui avait valu de graves problèmes avec sa hiérarchie. Depuis plus de six ans, le délégué du personnel et agent de maîtrise, qui avait réussi des examens en interne, était privé de poste, bien que toujours salarié de la SNCF. Alors qu’il était toujours responsable opérationnel au sein du service escale de la gare saint-Lazare, la SNCF l’avait affecté à un Espace mobilité emploi (EME), structure à mi-chemin entre le Pôle emploi interne et l’agence d’Intérim, où sont affectés les agents dont la SNCF souhaite se débarrasser . « Dans les EME, on leur apprend à faire des CV et des lettres de motivation, ou bien on les mute pour quelques mois sur des remplacements », explique David Michel, qui a accompagné Edouard lors de l’ensemble de la procédure disciplinaire engagée contre lui par la SNCF.
La SNCF condamnée pour harcèlement et discrimination salariale
En 2012, le délégué Sud Rail, dont le déroulé de carrière était au point mort, avait en effet obtenu la condamnation de la SNCF aux Prud’hommes en 2012, pour harcèlement et discrimination salariale. Condamnation confirmée en 2015 par la Cour d’appel, mais annulée pour des questions de procédure par la Cour de cassation en juillet 2016. Mais la procédure engagée contre le cheminot remonte à fin 2015. Le directeur d’établissement, Emmanuel Teboul, un ancien militaire qui, semble-t-il, gère ses troupes à coup de trique, avait effectué un signalement contre lui auprès de la Direction de l’éthique (!), qui avait donné lieu à une enquête interne à partir de janvier 2016. Paradoxalement, alors que Edouard dénonçait les pressions dont il était victime, plusieurs encadrants s’étaient plaints de harcèlement de sa part. Une première plainte évoque un « regard menaçant » et des menaces de mort. Une deuxième avait été déposée pour diffamation, après un tract pourtant signé collectivement par le Syndicat Sud.
Mutation disciplinaire à Brétigny-sur-Orge
Mais c’est après les grèves de juin 2016, profitant d’une accalmie dans le climat social, que sa hiérarchie s’est attaquée frontalement à l’agent de maîtrise. En juillet 2016, il est convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction. Le 13 octobre 2016, il passe en conseil de discipline. Il écope d’un avertissement avant « radiation des cadres » -un euphémisme pour licenciement-, d’une mise à pied (sans salaire) de 12 jours et d’une mutation disciplinaire à Bretigny-sur-Orge, où s’était produit un très grave accident de train entraînant la mort de sept personnes . « Un choix particulièrement malsain » selon David Michel, qui a accompagné Edouard tout au long de la procédure disciplinaire engagée contre lui.
La procédure prévue pour les salariés handicapés pas respectée
Ultime manquement de la direction d’établissement, selon le responsable régional Sud Rail, la SNCF n’aurait pas respecté la procédure prévue pour les salariés bénéficiant d’une reconnaissance de handicap, puisqu’elle n’a, à aucun moment, consulté le CHSCT . Or, le médecin personnel d’Edouard, mais aussi le médecin du travail, s’opposaient à sa mutation. Son psychiatre avait établi un certificat médical contre-indiquant tout déplacement, en indiquant que son maintien à Saint-Lazare était « nécessaire pour maintenir sa stabilité et son équilibre ». Un certificat dont la direction assure n’avoir pas eu connaissance du fait du secret médical.
La direction avait été alertée
Plus grave, le responsable régional Sud Rail assure avoir averti plusieurs fois verbalement la direction du risque élevé de suicide que faisait courir à Edouard le harcèlement exercé par ses encadrants, et même « pendant tous les comités d’établissement qui ont suivi le conseil de discipline du 13 octobre ». La direction confédérale du syndicat avait en outre envoyé une lettre en décembre à la direction nationale de la SNCF dénonçant plus globalement la « violence managériale » et mettant en garde la SNCF contre le risque de « provoquer des drames humains ». David Michel avait même demandé la convocation d’un CHSCT extraordinaire pour évoquer la situation d’Edouard. « Il aurait dû avoir lieu lundi dernier », rappelle tristement le syndicaliste. Ce CHSCT extraordinaire devait, avec l’accord de l’intéressé, lever le secret médical et rendre public le certificat médical du psychiatre. Dans les jours qui ont précédé son suicide, la SNCF lui aurait envoyé un courrier lui demandant de justifier des absences liées à son mandat syndical. « Un stratagème pour sous-entendre qu’il n’était plus soutenu par son syndicat », selon David Michel.
« Vous direz que c’est à cause du travail »
Sur la page Facebook appelant au rassemblement d’aujourd’hui devant la gare Saint-Lazare, l’une des deux filles de Edouard a posté un message de remerciement. Expliquant qu’elle ne pourrait pas être là, elle assure que son père « aurait voulu que tout le monde se mobilise pour son combat ». « Je suis sûre qu'il nous regarde de là-haut », conclue-t-elle. Comble de l’ironie, la direction de la SNCF serait en train de recueillir des témoignages sur la situation personnelle de l’agent de maîtrise, afin de montrer que son geste est dû à des problèmes familiaux. Pourtant, selon David Michel, Edouard aurait confié à plusieurs collègues, le soir même du drame, qu’il avait l’intention de mettre fin à ses jours, ajoutant « vous leur direz que c’est à cause du travail ». Une enquête a été ouverte pour établir les responsabilités dans cette affaire.
Véronique Valentino