De quoi la "nasse" policière est-elle la métaphore ?

La nasse est une technique policière consistant à diviser les manifestants par des charges ou des jets de grenade pour les scinder en petits groupes qui sont alors encerclés, temporairement emprisonnés, parfois pour de longues heures. Ils ne pourront alors sortir qu'un par un, après un contrôle d'identité et une fouille, et l'arrestation éventuelle de quelques-uns. Il s'agit d'imposer un fichage généralisé de tous ceux qui contestent, pour les décourager de manifester. Ce matin, jeudi 2 mars, place de la Nation à Paris, les lycéens qui étaient venus réclamer justice pour Théo ont été immédiatement nassés dès leur arrivée sur la place. Aucune manifestation n'est plus possible dans ces conditions. Ceux qui vivent cette expérience plusieurs fois ont fini par en tirer des conclusions, qui ne sont pas celles qu'espère le gouvernement. La nasse policière est devenue pour eux le symbole de cette société tout entière, dans lequel de plus en plus nombreux sont ceux qui ont le sentiment qu'on veut, comme dit l'expression, les faire entrer dans la nasse, pour ne plus jamais en sortir, ou seulement, plus exactement encore, pour passer d'une nasse à l'autre. Du chômage au travail précaire, par exemple. C'est pourquoi nous laissons la parole aux Enfants de la nasse, pour exprimer leur vécu. Cela pourrait se résumer ainsi : la France de 2017 est une nasse à ciel ouvert. 

Christian Perrot

 

LES ENFANTS DE LA NASSE est un collectif issu du mouvement contre la loi travail et son monde.

L’Etat, lors de ce mouvement, en a profité pour banaliser ses nouvelles armes répressives : canons à eau, drones, assignations à résidences, interdictions de manifester. Et surtout, la NASSE : elle consiste à encercler des éléments considérés comme dangereux par des cordons de CRS, afin de forcer les individus prisonnier.e.s à accepter d’être fiché.e.s pour s’en extraire.

Dans un premier temps la nasse a permis d’endiguer le mouvement en revenant sur nos libertés de manifestation, de réunion et d’expression ; de réactualiser la vieille rengaine « casseur.euse.scontre gentil.le.s manifestant.e.s » ; de ficher, rafler, surveiller. Mais après la surprise, la peur, le froid, l’ennui, la faim, l’envie d’aller pisser, les gestes commencent à s’affirmer, les solidarités naissent, les amitiés s’étoffent.

Finalement on pourrait presque remercier messieurs Valls, Hollande, Cazeneuve ainsi que les CRS et BACeux zélés, car nous sommes les ENFANTS de leur répression.

La nasse nous a ouvert les yeux sur l’idée du monde auquel elle voudrait nous astreindre: car nassé.e.s, nous le sommes quotidiennement. Les règles, les lois, les obligations, les contrôles sont autant de concrétisations de cette cage journalière. Cet enfermement se nourrit d’injonction à « réussir », à gagner sa vie, à consommer, à voter, à vivre de façon individuelle. Le mode de vie auquel on voudrait nous assigner, et le mode de participation politique qui va avec, constituent bien des nasses. Moins matérielle, mais non moins douloureuse. Et si l’État a inventé la nasse policière, ce n’est que pour mieux encercler ceux et celles qui durant ce printemps avaient décidé de sortir de cet enfermement.

Pourtant il n’y a rien de plus hasardeux que d’essayer de briser une nasse de l’intérieur. Par contre, elle peut s’ouvrir quand des forces extérieures s’allient à celles nassées pour, ensemble, la pressurer jusqu’à ce qu’elle rompe.

Nous pensons que contribuer à la destruction de la nasse, actuellement, c’est alors créer d’autres espaces, réfléchir à la possibilité d’une vie collective, propager une critique de l’ordre politique, et tenter dès maintenant de vivre en dehors. Non pas pour la fuir, mais bien pour prendre à revers cette nasse dont nous sommes les enfants.

Si nous sommes unis par des pratiques et des volontés communes, nous refusons de nous définir par rapport à des idéologies ou positions arrêtées. Nous avons des références mais bien peu de modèles. Nous pensons que ce sont les spécificités des situations qui décident de nos modes d’actions et de nos positionnements, et non une théorisation préalable. Toutefois, il y a des choses dont nous sommes sûr.e.s et contre lesquelles nous nous battons de manière intransigeante ! Le capitalisme, le patriarcat, le racisme, l’islamophobie, l’homophobie et toutes autres phobies de la différence à la norme.

C’est maintenant qu’il s’agit de préparer le monde pour lequel nous nous battions au printemps dernier. C’est à ces fins que nous nous constituons, réfléchissons et commençons, sans plus à attendre, à continuer le début.

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Nous le savons, et nous le sentons, grâce au mouvement du printemps 2016, des groupes comme le nôtre, embryonnaires, tâtonnants, hésitants mais méchamment déterminés, sont en train de s’agréger dans toute la France.

A très vite, dedans, ou hors de la nasse.

LES ENFANTS DE LA NASSE

Photo Mars 2012 à Toronto. Source: Urbanfifth.com