Adolescent blessé par une grenade de désencerclement : l'affaire Tony, par Véronique Valentino
En pleine polémique sur les violences policières, le tribunal de Bobigny s’est penché, lundi dernier, sur une affaire survenue en 2015 à Saint-Denis. Un adolescent avait été blessé à l’œil par l’éclat d’une grenade de désencerclement. Quelques minutes avant, des policiers avaient agressé une jeune fille qui filmait la scène. Les juges ont accepté la jonction des deux dossiers. Voici nos dernières précisions sur cette affaire de violence policière, qui témoigne des tensions ordinaires entre police et jeunes des banlieues.
Nous revenons sur l'affaire concernant Tony, un jeune garçon de 14 ans, blessé à l'oeil par un éclat de grenade de désencerclement, pour apporter quelques précisions. L’affaire, jugée lundi au tribunal correctionnel de Bobigny, oppose un policier motorisé de la Compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) 93 à Tony N., blessé le 28 octobre 2015 à la cité des Francs-Moisins, à Saint-Denis. Le policier, Julien, 32 ans, est accusé d'avoir lancé une grenade de désencerclement lors d'une interpellation à la Cité des Francs-Moisins. Il comparait libre et est toujours en exercice. Dans une autre affaire, deux autres policiers ont été mis en examen pour avoir frappé une adolescente qui se trouvait sur place. Le tribunal décide de joindre les deux dossiers, qui seront jugés ensemble.
Des vidéos difficiles à récupérer
Logique, selon Me Julie Coutié, l’avocate de Tony N., puisque « sans l'agression de la jeune fille, il n'y aurait peut-être pas eu le lancement de la grenade ». Cette décision permettra aussi à l'avocate du jeune garçon « d’avoir accès à l’ensemble des témoignages et des vidéos » réalisées sur place par des témoins de la scène. Me Coutié déplore en effet de n’avoir reçu qu’une seule des deux vidéos existantes, tandis que l’avocat des policiers affirme lui avoir reçu des CD vierges… La jonction des dossiers est une avancée d’autant plus importante pour les deux jeunes plaignants, que l’avocat des policiers, Me Liénard, spécialisé dans la défense des policiers mis en cause pour violences policières, est en charge des dossiers des trois policiers. Mais le renvoi au 19 juin 2017 bénéficie également, toujours selon l’avocate, aux trois policiers, « qui peuvent espérer un climat plus calme, [car] les événements ayant conduit à des rassemblements contre les violences policières seront moins récents et le traitement médiatique moins important ».
Des policiers lourdement armés
L’histoire des deux adolescents est symptomatique des relations tendues entre jeunes des cités et policiers. Elle débute un mercredi d’octobre, selon le récit qu’en fait Le Point . Les policiers de la compagnie de sécurisation et d'intervention (CSI) 93 prennent en chasse un quad sans immatriculation. Après avoir immobilisé le quatre-roues, les motards découvrent que le conducteur est un enfant de neuf ans. Un autre enfant indique que le quad lui appartient et les policiers lui demandent d'aller chercher son père, selon Le point qui a eu accès à la version policière de l'incident. L’interpellation, qui a lieu en pleine Cité des Francs-Moisins, attire du monde. Se sentant menacés, les policiers de la CSI, lourdement équipés -flashballs LBD, grenades de désencerclement, lanceurs de gaz lacrymogènes, tonfas, etc.- appellent des renforts . Des policiers de la brigade spécialisée de terrain (BST) les rejoignent. Au final, les policiers seront une trentaine. A un moment, les policiers tirent des gaz lacrymogène, ce qui renforce la tension. Des jeunes se trouvant dans l'antenne jeunesse -on est le mercredi 28 octobre en pleines vacances de la Toussaint- sortent du local, attirés par les cris et observent la scène.
Une blessure grave à l’oeil
Selon Le Point, une adolescente sort son portable pour filmer la scène. Une policière membre de la CSI, tente de lui arracher et lui assène un violent coup de tête au visage, pendant qu’un deuxième policier lui donne des coups de pieds. L’adolescente s’en tirera avec un nez cassé et six jours d’ITT. L’animateur tente de faire rentrer les plus jeunes dans l'antenne jeunesse et prend des coups de poing. C’est à ce moment que l’un policier, Julien, tire une grenade de désencerclement. « Après une forte détonation de 160 décibels, le dispositif projette, dans un rayon de 15 mètres 18 galets en plastique pesant chacun 9,3 grammes », selon BFM TV. Tony, 14 ans à l’époque, qui quelques minutes auparavant jouait tranquillement au babyfoot, reçoit un éclat de plastique dur qui le blesse gravement. Le médecin lui accordera 10 jours d’ITT. Pris en charge à la Fondation ophtalmologique Rotschild, il a failli perdre un oeil et doit être réexaminé d'ici un ou deux ans, compte tenu de son jeune âge, pour évaluer les séquelles.
Des grenades à main controversées
Le procès est aussi, comme nous l’affirme Me Julie Coutié, celui des grenades de désencerclement, des « armes intermédiaires [réputées non létales] qui sont de plus en plus banalisées, alors que leur utilisation est censée être sévèrement encadrée ». Une instruction du ministère de l’intérieur précise que les grenades GMD (grenade à main de désencerclement) précise que « son emploi en milieu fermé doit être limité » et que « l’utilisateur doit, dans la mesure du possible, prendre en compte les particularités environnementales afin de prévenir les dommages collatéraux ». Des règles qui n’ont pas été respectées, selon l’avocate, l’engin n'ayant semble-t-il pas été lancé au niveau du sol, comme le prescrit le ministère de l'Intérieur mais en direction du perron de l’antenne jeunesse où es trouvaient les jeunes. Ce perron, encadré par deux grilles, constitue par ailleurs un milieu fermé. Pour Me Coutié, « les conditions de nécessité et de proportionnalité » n’ont pas non plus été respectées, face à un groupe d’adolescents désarmés. Les grenades de désencerclement font polémique, depuis qu’un manifestant contre la loi travail a été grièvement blessé le 26 mai 2016. Atteint à la tête par une grenade GMD lancée dans la foule, Romain D. était resté dix jours dans le coma, suite à une « fracture temporale avec enfoncement de la boîte crânienne ».
Véronique Valentino
Publié le 22 janvier 2017, mis à jour le 24 février 2017
Photo Sam Hocevar sur Twitter