Les peurs primaires, par André Markowicz

Je dois avouer que je n’ai pas trop fait attention aux primaires dites « de la gauche » — ce qui n’est sans doute pas bien. À vrai dire, ces primaires, je n’y ai jamais cru. Quand on a commencé à en parler, j’étais quasiment sûr que, d’une façon ou d’une autre, elles n’auraient pas lieu. Elles ont lieu. C’est que j’ai eu tort, et j’en suis bien content. Et n’empêche, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est comme si elles n’avaient pas lieu, et qu’elles seront nulles et non avenues.

Parce que ce sont les primaires du PS, et pas celles de la gauche.

Est-ce que je me trompe, là ? Quel que soit le candidat désigné, et quel que soit le nombre de votants (je voudrais vraiment qu’ils soient nombreux), il y aura trois candidats à gauche. Avec Marine Le Pen, et Fillon. Donc, s’il y en a trois, aucun des candidats ne peut imaginer avoir une chance de se retrouver au deuxième tour, face à eux. Déjà à deux candidats, c’est quasiment plié. Mais... à trois ? Ou est-ce que nous jouons à désigner le futur et hypothétique premier ministre de Macron ? Je veux dire, à quoi ça sert, de voter pour ces primaires-là ? Voter pour être sûr qu’il n’y aura aucun candidat de gauche au second tour ?

Et quand je dis « de gauche »... Entre Macron et ce que nous avions l’habitude d’appeler « la gauche », il y a... le quinquennat de François Hollande, qui semble vouloir soutenir son ancien ministre.

Mais, objectivement parlant, je préfererais vitupérer Macron, ou n’importe qui, plutôt que Fillon.

Et pourtant, la gauche, — la vraie — , nous en avons un besoin absolu, devant cette vague de droite qui s’est emparée du monde. Et où est-elle, la gauche, devant ce qui s’annonce aux USA, depuis ce qui se passe en Israël, et en Russie, et en Turquie, — devant cette vague de populisme réactionnaire, ou de droite dure, dans quasiment tous les pays d’Europe, comme si le monde entier était saisi de peur devant l’ampleur des changements, l’ampleur de ce qui n’est pas une crise, évidemment, mais le passage, qu’on sent très dangereux, vraiment dangereux, à une nouvelle (et très ancienne) forme de monde — dans lequel le progrès social et l’universalisme sont vus comme des espèces de fantômes qu’on évoque juste encore peu, histoire de ne ne pas avoir trop peur devant la réalité.

« America First », «nous, nous, nous »... Et Dieu et Dieu et Dieu... Les tribus revenues à leurs terreurs primaires. Et l’autre, qui parle comme le méchant de Batman, au mot près, à l’intonation près, et qui commence déjà à faire ce qu’il a dit... Et nous, ici, qui débattons pour enterrer la gauche. Mais sans doute faut-il passer par là, pour tout recomposer.

André Markowicz


Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses célèbres posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime, entre deux travaux littéraires, sur les "affaires du monde". Nous lui en sommes reconnaissants.