Un groupe d'experts préconise un gel du SMIC

Un groupe d'experts préconise un gel du SMIC. Après avoir rappelé sa revalorisation automatique, le gouvernement explique que ces propositions serviront de base de réflexion. La CGT critique une mesure qui "tirerait tous les salaires vers le bas".

Geler le niveau du SMIC pour lutter contre la pauvreté ? C'est la recommandation du groupe d'experts indépendants qui se prononce chaque année sur l'augmentation du salaire minimum. Depuis sa création en 2008, il conclut chaque année à la nécessité de s'abstenir de tout coup de pouce au-delà de sa revalorisation automatique. Recommandation soigneusement mise en pratique par tous les gouvernements. Si l'on excepte une hausse exceptionnelle de 2% au 1er juillet 2012, accordée par François Hollande après son élection, le salaire minimum n'a connu aucun coup de pouce significatif depuis 2008.

Chaque année, un groupe d'experts indépendants transmet au gouvernement ses recommandations sur la nécessité ou pas d'accorder un coup de pouce aux Smicards, avec toujours la même conclusion : ne pas revaloriser le salaire minimum au-delà de l'augmentation automatique. En effet, chaque année le SMIC est revalorisé de quelques euros, sur la base de l'inflation constatée pour les 20% de ménages les moins aisés, mais aussi en fonction de l'évolution du pouvoir d'achat du salaire horaire de base ouvrier et employé (SHBOE). A titre d'exemple, le SMIC avait été revalorisé de 0,6% en 2016 et 0,93% en 2017. Depuis le 1er janvier 2017, le SMIC horaire est ainsi passé de 9,67 € à 9,76€ et en brut mensuel de 1466,62 € à 1480,27 €. Soit un salaire mensuel net de 1149,07 €.

C'est trop pour le groupe d'experts indépendants chargés d'éclairer la décision du gouvernement concernant l'augmentation du SMIC, qui a publié son rapport le 1er décembre dernier. Rapport remis au gouvernement mardi dernier. Avec toujours la même explication : augmenter le SMIC, disent-ils, conduirait à exclure du marché du travail davantage de jeunes et de salariés peu qualifiés. Car, regrettent les experts, "le SMIC a progressé plus vite que le salaire moyen". D'où une nouveauté, cette année, le rapport du groupe d'experts sur le SMIC préconise non seulement de "s'abstenir de tout coup de pouce au 1er janvier 2018", mais surtout, il recommande de "modifier la formule de revalorisation du SMIC". Une recommandation qui, derrière son caractère technique, est potentiellement explosive.

Les experts expliquent ainsi que, guidés par deux objectifs -réduire le chômage et lutter contre la pauvreté- ils proposent au gouvernement deux options : supprimer purement et simplement toute revalorisation automatique du SMIC ou s'en tenir à une revalorisation sur la seule base de l'inflation annuelle. Pour réduire la pauvreté, il faudrait ainsi... baisser le SMIC. Comment en arrivent-ils à cette conclusion paradoxale ? Après avoir constaté que la reprise économique est moins vigoureuse en France que dans d'autres pays européens (+1,7% de croissance contre +2,2%e dans l'ensemble de la zone euro), ils constatent que "la France fait partie des rares pays pâtissant d'un chômage massif". Un chômage massif qu'ils imputent en grande partie à un SMIC élevé en France, comparativement aux autres pays développés. Le SMIC françaiçs représente 50% du salaire moyen, contre 25% du salaire moyen aux Etats-Unis et 40% en Allemagne. 

Les experts critiquent aussi le mode de revalorisation du salaire minimum français. La France est accusée d'être le seul pays où l'augmentation annuelle du SMIC dépend de deux paramètres : le SMIC y est indexée sur l'inflation mais aussi sur l'évolution du niveau des salaires. C'est donc cette double indexation qu'ils préconisent de jeter aux oubliettes pour ne conserver que la seule revalorisation en fonction de l'inflation. "Une attaque en règle contre le SMIC qui vise à le déconnecter de la grille des salaires", selon Fabrice Angéï, qui représente la CGT à la commission nationale de la négociation collective. Et "une vieille lune du MEDEF", selon le syndicaliste. Les membre de cet organisme paritaire -syndicats de salariés et organisations patronales- transmettent au gouvernement un avis motivé, mais purement consultatif, sur la fixation du niveau du SMIC, après avoir pris connaissance du rapport des experts indépendants. Selon Fabrice Angéï, le fonctionnement de la commission se résume la plupart du temps à "des échanges de mails". 

Pour Fabrice Angéï, ne conserver qu'un SMIC plancher, calé sur l'inflation, c'est avoir à terme "une courbe d'évolution des salaires à deux vitesses, avec un tassement de ces derniers". Ce que reconnaît à demi-mots le groupe d'experts, qui critique "En France, un travail à temps plein rémunéré au salaire minimum permet à un célibataire ou à un couple avec deux enfants de s’approcher, voire de dépasser, le seuil de pauvreté. Ce n’est pas le cas dans une majorité de pays de l’OCDE".  Ce que les experts regrettent pour se contredire, puisqu'ils prétendent plus loin que le SMIC n'est pas efficace pour combattre la pauvreté. Ils constatent que "la revalorisation du SMIC prend en compte (...) le développement économique de la Nation (les « fruits de la croissance ») en intégrant une composante égale à la moitié du gain de pouvoir d’achat du taux de salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE). C'est ce partage des fruits de la croissance qu'ils remettent en cause, quand Fabrice Angéï affirme au contraire qu' "une part de ces fruits de la croissance doit revenir au salarié". 

Le négociateur de la CGT s'interroge sur cette recommandation de limiter la revalorisation du SMIC à la seule inflation. "Ca donne quoi en cas de déflation ? Une baisse des salaires ?" Certes, aucun pays européen n'a décidé d'une baisse du salaire minimum, à l'exception de la Grèce. Le salaire minimum a même augmenté dans les pays de l'Est, mais il est vrai qu'ils partaient de très loin, ainsi qu'en Espagne (+8% en 2017). Ce que le rapport oublie de mentionner... Mais le comité d'experts s'est concentré sur un constat critiquable : "la circularité de l'évolution du SMIC sur les salaires et les prix". Sa revalorisation est accusée d'influencer les négociations salariales dans les entreprises et les branches. Pourtant, constatent le comité, "on observe simultanément un ralentissement des hausses du SMIC, en lien avec la moindre inflation, et une moindre revalorisation des grilles salariales". Pas suffisant pour ces doctes économistes, qui mettent en cause un niveau de salaire trop élevé aux alentours du SMIC, qui se traduit par des exonérations de cotisations patronales qui coûtent cher à l'Etat. Oubliant de signaler que ces exonérations massives, qui font automatiquement baisser le coût des salaires pour les entreprises, n'ont pas réussi depuis leur systématisation en 1993, à faire baisser le chômage.

Cela devrait relativiser leur argumentation, mais non. Si ces exonérations qui coûtent cher à l'Etat -des milliards d'euros de manque à gagner- n'ont pas eu l'effet escompté, c'est qu'elles sont insuffisantes. "Depuis le début des années 1990, tous les Gouvernements qui se sont succédé ont développé les dispositifs de réduction des contributions sociales des employeurs ciblées sur les bas salaires" constatent-ils très justement. Mais pour mieux en conclure que "cela témoigne d’un consensus transpartisan pour considérer que le niveau actuel du SMIC pourrait (...) avoir des effets défavorables sur l’emploi des moins qualifiés". Pour la CGT, ces exonérations qui n'ont pas réussi à faire baisser le chômage, sont au contraire de véritables "trappes à bas salaires qui tirent l'ensemble des salaires vers le bas", empêchant une reconnaissance des qualifications à leur juste valeur. Avec en contrepartie, puisqu'elles se traduisent par de moindres rentrées fiscales, des politiques d'austérité. Politiques d'austérité qui à leur tour grignotent les services publics, renforçant les inégalités.

Ces experts hors sol qui débattent doctement de la meilleure façon de faire baisser des salaires trop élevés, vont jusqu'à envisager la régionalisation du SMIC et son adaptation aux plus jeunes, pour regretter que cela soit politiquement inenvisageable. A aucun moment, ils n'envisagent la compétitivité des entreprises en dehors de la seule compétitivité coûts. Pourtant, explique Fabrice Angéï, plutôt que de s'orienter vers une baisse du coût du travail, il vaudrait mieux s'orienter vers une production de biens plus élaborés, avec une montée en gamme et plus de valeur ajoutée", car à force de nourrir la "spirale du moins cher", on trouvera toujours des pays ayant des salaires moindres. Pire, parier sur des bas salaires pour relancer l'économie, c'est prendre le risque de dégrader la productivité française, l'une des plus fortes au monde, et "encourager des organisations du travail qui nuisent au bien-être et à la qualité de la production". Fabrice Angéï cite l'exemple de l'industrie automobile qui emploie des intérimaires pour reprendre les rebuts produits en nombre. Ou le turn over des salariés chez Amazon, où le travail, hyper stressant et totalement déqualifié, est encadré par commande vocale. 

Estimant contre toute logique que le SMIC français, trop élevé, n'est pas le meilleur instrument pour lutter contre la pauvreté, les experts en arrivent donc à préconiser une moindre revalorisation du salaire minimum, pour le remplacer par un coup de pouce à la prime d'activité, plus ciblée (elle fait partie des minima sociaux, accordés en fonction du revenu du foyer) et plus efficace pour réduire la pauvreté. Oubliant que le salaire est aussi en France "un vecteur sociologique", qui nourrit l'estime de soi. Pour Fabrice Angéï, le danger serait, en suivant les recommandations des experts sur le SMIC et la prime d'activité, de passer d'une société du travail comme socle des droits à une société de l'activité, avec une part importante de salariés pauvres, coincés dans des "petits boulots". Le syndicaliste rappelle que seul un autoentrepreneur sur dix gagne plus que le SMIC, un mode de travail que le gouvernement entend développer.

Si la quasi totalité des syndicats ont réagi négativement à ce qui est pour Fabrice Angéï "un ballon d'essai", la CFDT a fait savoir que pour sa part, la question du SMIC cache "les vrais enjeux", qui sont "la non-revalorisation des salaires minima et le fait qu'un tiers des salariés payés au SMIC y restent bloqués" pendant toute leur carrière. Laissant la porte entrouverte pour la négociation, la CFDT explique être opposée à la suppression de "toutes les variables de revalorisation automatique du salaire minimum", pour mieux assurer ensuite que "sa revalorisation ne doit pas à entraver l’accès au marché de l’emploi des personnes non qualifiées et les plus éloignées de l’emploi". Elle épouse ainsi les arguments égrainés par le rapport qui reproche au SMIC d'éloigner de l'emploi les salariés les moins qualifiés. Ce qui n'étonnera personne. La centrale cédétiste s'illustre en effet depuis plusieurs années en refusant tout coup de pouce au SMIC

Cette position de la CFDT rejoint aussi la piste vers laquelle semble s'orienter la réflexion gouvernementale, qui pourrait décider de ne conserver que l'indexation du SMIC sur l'inflation, coupant tout lien avec une référence au salaire de base ouvrier et employé. Pour Fabrice Angéï, la manipulation est cousue de fil blanc. "Quel meilleur moyen de prendre une décision de régression sociale que de publier un rapport d'experts qui préconise une solution extrême, comme le gel total du SMIC, pour mieux se rabattre sur la piste la moins radicale, celle de l'indexation du SMIC sur la seule inflation ?", glisse le syndicaliste CGT.

Pour qui le contenu du rapport n'est pas étonnant, quand on examine la composition du comité d'experts. Renouvelé après l'arrivée de Emmanuel Macron au pouvoir, il est dirigé par Gilbert Cette, économiste qui avait apporté son soutien au candidat Macron et qui n'a jamais caché son opposition à un SMIC très élevé. Il est proche d'économistes libéraux comme Pierre Cahuc. Et André Zylberberg, également membre du comité, qui s'était illustré en co-signant avec Cahuc, un livre intitulé Le négationnisme économique et comment s'en débarrasser. Un pamphlet d'une rare violence où il accusait les économistes non orthodoxes -les keynésiens notamment- de "négationnisme", reprenant une expression utilisées pour les historiens niant l’existence des chambres à gaz. On comprendra que les auteurs du rapport ne font pas vraiment dans la finesse.

Véronique Valentino