Avanti ! Tour de France des lieux autogérés 3
Où nous retrouvons Odeline, Maeva et Audrey pour une nouvelle étape de leur tour de France des lieux autogérés. Cette fois-ci, elles nous racontent le Village, près de Cavaillon. Une association qui a su inventer un lieu de vie et d'accompagnement sans perdre son âme. Retour au carnet de bord de nos trois voyageuses pour l'épisode 3 de leurs aventures en camping-car. Avanti !
Odeline, 25 ans, Maeva, 30 ans et Audrey, 35 ans poursuivent leur tour de France des lieux alternatifs et solidaires, avec l'envie d'apprendre pour créer leur propre projet. Respectivement éducatrice spécialisée auprès d’enfants en situation de handicap à Besançon, psychothérapeute pour enfants à Carpentras et psychomotricienne dans la région d’Avignon, les trois baroudeuses sont arrivées le 25 septembre dernier au Village, où l'aventure a commencé grâce à un squat.
Maison relais à l'origine, le Village fonctionne comme une pension de famille, accueillant des personnes en situation de grande précarité sans durée d’accueil déterminée. Les personnes y ont un titre d’occupation, un bail reconductible tous les ans. Les plus anciens sont là depuis 12 ans. "Au départ, l’asso fait de l’accompagnement à l’emploi" raconte nos trois voyageuse qui y ont séjourné pendant quatre jours. Le projet du Village prend corps quand les encadrants se rendent compte que une fois leur journée de travail terminée, les gens rentrent … nulle part !
Ce non-sens leur devient intolérable. Ils investissent alors un mas, à l’époque située dans la campagne près de Cavaillon, qui est aujourd'hui cerné par une usine de cimenterie Lafarge. "Nous sommes en 1993. J’ai 9 ans", explique Odeline. "Progressivement, une négociation s’ouvre avec la Mairie afin que les habitants du squat puissent être reconnus « occupants à titre gratuit ». La reconnaissance administrative est finalement obtenue avec le temps, puis la reconnaissance de l’utilité publique de ce lieu d'accueil. Ils sont soutenus par la fondation Abbé Pierre, qui s’intéresse aux personnes « en errance », en imaginant des lieux mêlant vie collective et activités professionnelles, puis celui de l’Etat. Ce dernier accepte de financer le lieu en « expérimentation pilote » pendant 5 ans. "Le décret de 2003 s’inspire de ces initiatives pour fonder les maisons-relais", expliquent les trois travailleuses sociales en recherche de nouvelles formes d'intervention sociale.
Carnet de bord du 25 septembre 2017
Nous arrivons au Village, lieu plus classique que la coopérative de Longo Maï où nous avons passé trois semaines. Nous resterons quatre jours sur place, avant d'aller à la découverte d'autres lieux des environs. Le Village, un ancien mas de Provence, est cependant un îlot de résistance et de bienveillance. Il est implanté dans un paysage industriel. Les voisins proches sont : l’usine Lafarge, la ligne TGV et une antenne ! Mais on s’y fait paraît-il…
La pension de famille accueille 29 personnes et 15 travailleurs sociaux. Elle comprend une consultation addictologie hebdo pour orienter vers des prises de soins extérieures. Son mode de fonctionnement est souple et repose sur la confiance : pas de veilleur de nuit, pas de permanents, un numéro d’astreinte et une autorégulation par le collectif. L'objectif est de favoriser le partage d’expérience plutôt que la méfiance et le contrôle.
Il y a aujourd’hui de nombreuses maisons-relais en France, mais celle du Village se démarque des autres. D'abord par la mixité des personnes accueillies : hommes seuls, femmes seules, familles. Seuls les jeunes adultes et les mineurs non accompagnés ne sont pas admis, d’autres structures répondants mieux, aux yeux de l’association, à leurs besoins spécifiques. Ensuite, par l'importance du collectif : les repas du midi et soir sont pris ensemble, sauf du jeudi au dimanche, où il n’y a aucune obligation le soir. Enfin, chaque résident doit fournir 20 h de travail hebdomadaire à l’association : « tout le monde fait quelques chose », sauf aménagement particulier lié à l'âge et/ou la condition physique.
Il existe plusieurs chantiers d’insertion pour 40 contrats aidés (contrat à durée déterminée d’insertion) :
- L’atelier vie quotidienne : cuisine, ménage, linge.
- Le maraîchage bio : culture bio sur 1 hectare, vente de paniers
- L’éco-construction : productions de briques en terres, de charpentes de bois, d’enduits extérieurs et intérieurs.
- Le bâtiment: chantiers extérieurs, chez des particuliers ou des collectivités engagées, et intérieurs pour la rénovation et l’aménagement du site.
26/09/2017
Nous découvrons les nombreux autres projets qui ont vu le jour autour de la maison-relais en réponse aux besoins importants du département et aux problèmes de désertification du tissu social dans la région. Une « maison commune » a été crée il y a 3 ans avec les restos du cœur et le secours populaire. Elle propose un accueil de jour (douche, collation, lessive, colis alimentaires) pour toute personne qui le souhaite. Les accueillis peuvent y devenir accueillants.
L'association le Village propose aussi un accueil d'urgence immédiat pour 4 à 5 personnes dans un appartement sur Cavaillon, qui peut durer 6 mois. L'association a aussi créé l'orchestre « pile poil » avec la méthode « soundpainting » qui permet d’apprivoiser la musique collectivement sans notions de solfèges préalables. Le Village compte aussi un cabaret solidaire et accueille des artistes en résidence sur place. L'association organise aussi des cueillettes solidaires avec récupération de produits agricoles et leur transformation.
27/09/2017
Nous découvrons l'une des facettes importantes du projet : « la maison des jours meilleurs ». Il s'agit d'un habitat groupé de 35 logements, en partenariat avec un bailleur social (en locatif social, accession sociale à la propriété intégrant des espaces associatifs et professionnels). La maison permet à des personnes avec peu de ressources d’accéder à la propriété dans un lieu économique et durable. L'accession à a la propriété que propose ce projet du Village est aussi un espace d'expérimentation collective. Les habitants, quel que soit leur statut locatif, y participent aux travaux communs. Ils peuvent y disposer de 80 m2 pour 80 000 euros. Les logements sont autonomes en énergie, certains bâtiments sont gérés collectivement par les résidents, qui sont maîtres d'oeuvre des lieux.
Au départ, la maison des jours meilleurs est un projet réalisé par l'architecte Jean Prouvé, en 1954, à la demande de l'Abbé Pierre, à la suite du refus par les pouvoirs publics de financer la construction de logements d'urgence. Jean Prouvé y a appliqué sa vision de l'architecture et d'un habitat léger, économique et confortable.
28/09/2017
Nous découvrons le moteur de ce qui a conduit à la création du Village. L'envie de multiplier les projets afin de ne pas se faire avoir par l’inertie de l’accueil au long cours, par la perte d’énergie, de motivation à s’impliquer dans le collectif, quand la vie dans la rue a bousillé ton enthousiasme, pour continuer de s’ouvrir au monde, même s’il t’a souvent ignoré.
Nous avons été touchées par les belles rencontres humaines, les transmissions de savoirs (jardin/éco-construction), la mixité des personnes accueillies (familles/ados/ hommes seuls) et tous les beaux projets en cours/en création. Mention spéciale pour l'orchestre Pile Poil que nous vous invitons à découvrir avec ce clip "En chaussettes à la plage". Il fallait oser, ils l'ont fait ! Sur cette note optimiste, on se prépare à reprendre le camping-car, avec la pensée que se construit ici, aux environs de Cavaillon, une part de bonheur. Détour par le Maquis, autre lieu solidaire.
29/09/2017
Au Village on nous parle d’une association du coin « Au Maquis »
Plantée à Lauris, en Vaucluse, l’association développe des actions sur son territoire et dans les cités voisines pour semer des graines de changement avec tous les citoyens. C’est un lieu d’accueil et d’actions pour se trouver et partager, une fabrique d’initiatives citoyennes pour la ville ou la campagne, un champs de cultures et de culture. Et bien d’autres choses…
Ici l’originalité du projet, sa mise en œuvre et ses objectifs nous ont séduites.
Maeva se rend à une de leurs réunions en présence de la CAF et d’autres financeurs. Nous admirons la fluidité du fonctionnement. Cette équipe de trois potes au chômage a réussi, sans faire de démarches dans ce sens, à faire en sorte que ce soit les financeurs qui viennent à leur rencontre pour leur proposer leur aide. En faisant ce qui leur paraissait avoir du sens, comme monter des jardins partagés dans des quartiers réputés difficiles, proposer la mise en place de composteurs, ouvrir un café associatif qui soit un espace de vie sociale dans un petit village etc. ils en sont aujourd’hui à recruter leur cinquième salarié. Ces actions ont été mises en place à la suite de nombreuses rencontres avec les villageois. A l’aide d’outils d’éducation populaire, ils ont recueilli leurs rêves et les ont co-construit ensemble. Ils ont su recueillir les besoins des premiers concernés et les impliquer dans la réalisation.
Ce que je retiens de notre entrevue avec Eric, c’est sa confiance et son lâcher-prise. En faisant simplement ce qu’ils avaient décidé de faire ensemble, poser un objectif, une intention, et laisser les choses se faire, pas après pas.
La fluidité. C’est bien ce que nous ressentons depuis les debuts de notre aventure à nous trois. Un objectif est posé : explorer, rencontrer, s’informer (se mettre dans une nouvelle forme) pour créer notre lieu en vie. Et les rencontres s’enchaînent, chacun apportant l’éclairage qui nous manquait alors, avec souplesse, plaisir et enthousiasme. Il semblerait que nous soyons dans le flow.
Suite demain
Odeline, Maeva, Audrey
Retrouver Avanti ! sur le site du projet