Mais où va le Maroc ?

La mort de Mouhcine Fikri, un pêcheur tué il y a un an à  Al-Hoceima, petit port de pêche du Maroc, situé sur la Côte Nord-est, a déclenché au Maroc un mouvement social d'une ampleur inédite : le Hirak populaire du Rif. Pour y mettre un terme, les autorités marocaines multiplient les arrestations et les violations des droits de l'homme.

C'était le 28 octobre 2016. Un jeune vendeur de poisson était tué, broyé par une benne à ordures, à Al-Hoceima, petit port du Rif marocain, alors qu'il tentait de s'opposer à la destruction de sa marchandise par les autorités de la ville. En un an, il est devenu l'emblème de la hogra, terme qui désigne au Maghreb, le mépris de la classe. A la suite de cet épisode tragique, des milliers de Marocains sont descendus dans les rues pour dénoncer la mort Mouhcine Fikri et plus globalement la corruption et les injustices sociales qui caractérisent le royaume chérifien.

Ce mouvement du Hirak (mouvance en arabe) a déclenché une répression sévère des autorités marocaines, qui s'est traduite par des centaines d'arrestations, y compris de journalistes ou blogueurs, et de multiples atteintes aux droits humains, dénoncées notamment par Amnesty international. Les personnes arrêtées sont poursuivis pour des faits graves comme « atteinte à la sécurité de l’État » et « tentative de sabotage, de meurtre et de pillage ». En septembre dernier, 37 prisonniers du Hirak ont entamé une grève de la faim, certains ayant même cessé de boire de l'eau pour dénoncer des conditions d'incarcération humiliantes, selon l'Observatoire marocain des prisons. Ils ont finalement suspendu leur grève de la faim, pour mieux affronter leur procès, mais certains ont dû être hospitalisés.

Selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW), cité par Le Monde du 6 octobre dernier, au 5 septembre 2017, 216 personnes étaient toujours derrière les barreaux : à Casablanca, 47 sont en attente de jugement ; à Al-Hoceima, 169 sont en attente de jugement ou déjà condamnées. Des procès ont en effet débuté l'été dernier et les verdicts sont parfois lourds. Le 30 août, rappelle le Monde, plusieurs manifestants ont été condamnés à des peines allant de un à vingt ans de prison. Des audiences se sont aussi tenues le 17 octobre dernier à Casablanca. Le leader du mouvement, Nasser Zefzati, un chômeur de 39 ans devenu le visage de ce mouvement pacifique, arrêté en mai dernier, a comparu le 24 octobre. Nasser Zefzati, qui est apparu le poing levé en criant "Vive le peuple", selon RFI. Il a été expulsé de la salle d'audience et son procès reporté. Il risque la peine de mort.

Pour protester contre la répression sévère de ce mouvement social pacifique, un mouvement de solidarité a vu le jour. 200 personnalités internationales ont ainsi signé un appel initié par le comité de soutien aux prisonniers politiques de Casablanca. Parmi elles, dix-huit membres du parlement européens, dix-huit membres de parlements et gouvernements nationaux, des dizaines de syndicalistes, universitaires et personnalités publiques, parmi lesquelles le linguiste Noam Chomsky, le réalisateur britannique Ken Loach ou encore l'écrivaine et militante indienne Arundhati Roy. "Nous tenons les autorités marocaines pour responsables de la vie des prisonniers politiques du Hirak et demandons leur libération immédiate, ainsi que l’arrêt de toute répression contre le mouvement populaire", indique le communiqué de l'AMDH du 28 octobre, cité dans un article du Huffpost Maghreb. Selon l'AMDH, la répression sévère se serait traduite par l'arrestation de 400 manifestants, dont quinze mineurs et une quinzaine de journalistes, et la mort d'un jeune homme.

« Cette vague d'arrestations ressemble fort à une tentative délibérée de punir les manifestants dans le Rif pour les mois de dissidence pacifique. Les autorités marocaines doivent respecter les droits à la liberté d'expression et de réunion. Les personnes accusées d'une infraction reconnue par la loi doivent bénéficier du droit à un procès équitable. Les autorités doivent veiller à ce que les militants pacifiques ne soient pas inculpés d'accusations forgées de toutes pièces en vue de les sanctionner pour leur participation aux manifestations dans le Rif », a déclaré Heba Morayef, directrice des recherches pour l'Afrique du Nord à Amnesty International.

"Il ne se passe pas un jour sans que nous parviennent des informations inquiétantes sur la situation actuelle des droits humains au Maroc", indique un appel du comité français de soutien aux prisonniers du RIf, qui organise le 8 décembre prochain un meeting de soutien à la bourse du travail rue du Château d'Eau à république, Paris. Les indicateurs sérieux sont au rouge et soulignent une régression dangereuse en matière de respect des libertés et des droits fondamentaux. Le mouvement de protestation populaire et pacifique que traverse la région du Rif, dont son chef-lieu Al-Hoceima, depuis la mort tragique de Mouhcine Fikri, a mis au grand jour la nature et le niveau de cette régression. Plusieurs atteintes graves aux droits humains ont été dénoncées, aussi bien par les associations marocaines que par les organisations internationales de défense des droits de l’Homme, dont Amnesty International, HRW, FIDH, etc. Elles ont toutes constaté et dénoncé les arrestations massives et arbitraires, le quadrillage militaire et policier des villes, des villages, des routes, de la région du Rif. Sont tout autant constatés les interventions violentes, l’utilisation disproportionnée de la force contre les manifestants pacifiques entrainant la mort d’Imad El Attabi et Abdelhafid El Haddad, les assignations à résidence, le chantage fait aux familles des détenus et leur harcèlement ainsi que la pratique lors des interrogatoires de la torture avérée, selon le rapport des médecins légistes mandatés par le Conseil National des Droits de l’Homme.

Des procès ont déjà jeté en prison plusieurs centaines de manifestants du « Hirak populaire du Rif ». D’autres sont en cours ou en préparation pour juger des centaines d’autres citoyens poursuivis en détention ou en liberté provisoire. Personne n’a été épargné par ces arrestations abusives. Pas même les mineurs.

Des journalistes ont eu leur part de cette répression aveugle, puisqu’une dizaine d’entre eux est poursuivie selon le code pénal, et non selon le code de la presse qui, lui, ne prévoit pas de peine d’emprisonnement. Des journalistes étrangers ont été expulsés et une délégation d’associations tunisiennes a été empêchée d’accéder à la ville d’Al-Hoceima. Des dizaines d’avocats de tous les barreaux du Maroc dénoncent chaque jour les atteintes aux droits de la défense, l’iniquité et les irrégularités des procès.

Les détenus sont dispersés sur plusieurs prisons, très loin de leurs proches. Les conditions de détention sont exécrables. Plusieurs prisonniers son en grève de la faim pour exiger leur libération et l’amélioration de leurs conditions carcérales. Leur état de santé se dégrade de jour en jour et le risque d’un drame humain n’est plus à exclure.

Les organisations de défense des droits de l’Homme, et avec elles des démocrates, ont tiré la sonnette d’alarme à travers des communications ou dans le cadre de rencontres inter-associatives ou institutionnelles, comme fut le cas du colloque du 9 octobre au Parlement européen, présidé par l’Eurodéputée Marie-Christine Vergiat (GUE).

Pour informer l’opinion publique sur ces violations graves des droits de l’Homme commises par l’État marocain et pour permettre aux organisations et aux démocrates européens d’exprimer leur solidarité internationale et d’interpeller leurs États sur leurs positionnements respectifs, nous organisons et/ou nous soutenons un meeting à l’occasion de la journée internationale des droits de l’Homme.

Véronique Valentino

Article rédigé sur la base d'un texte du comité de soutien au mouvement populaire et pacifique du Rif au nord du Maroc

Meeting de soutien au mouvement populaire et pacifique du Rif le vendredi 8 décembre 2017 de 18h à 22h. Bourse du travail, 3 rue du Château d'Eau, 75010 Paris.

Page Facebook de soutien : https://www.facebook.com/pg/rifparisrif/posts/