La réforme de Macron, c'est la fin du système d'assurance chômage pour le remplacer par un système à l’anglaise

La réforme annoncée par Macron veut mettre fin au système d’assurance chômage pour le remplacer par un système à l’anglaise,

Pour rappel, voici ce que disait Emmanuel Macron en février dernier, à la veille de l'élection présidentielle :

« Je veux un vrai dispositif de droits et de devoirs. Mon nouveau système crée un filet de sécurité pour tout le monde, mais avec de vraies exigences. Quand vous perdez votre emploi, vous êtes indemnisé, un bilan de compétences est fait et les prestations seront strictement conditionnées à vos efforts de recherche, avec un contrôle drastique. Nous sortons réellement d'un système assurantiel où chacun se dit : « J'ai cotisé, j'ai droit à être indemnisé ».

Emmanuel Macron, interview aux Echos le 23 février 2017.

L'un des points où la contre-réforme macronnienne est la plus sensible, c'est sans conteste "la réforme" de l'indemnisation du chômage. Fort de sa victoire sur les ordonnances réformant le code du travail -victoire relativement aisée grâce à la division syndicale et politique ainsi qu'à l'attentisme et à la répression syndicale-, Emmanuel Macron et le gouvernement ont lancé un round de concertations en vue de réformer l'assurance chômage. Réforme drastique, puisqu'elle vise à remplacer le système assuranciel, qui permet aux salariés de bénéficier des droits correspondant aux cotisations qu'ils ont versées sur leur salaire, par une allocation versée par l'Etat.

Le montant de cette allocation et sa durée ne sont pas encore connus, mais le fait de parler de "filet de sécurité" n'est pas fait pour rassurer. D'autant que le gouvernement a annoncé qu'il souhaitait réduire de dix milliards, d'ici 2022, le montant consacré à l'indemnisation des chômeurs, alors que dans le même temps, il envisage d'élargir son accès aux indépendants et aux démissionnaires. Comment indemniser les 2,8 millions d'indépendants en plus des 3,7 millions de chômeurs déjà indemnisés par l'UNEDIC, tout en réduisant de dix milliards la note globale ? C'est pourtant le problème arithmétique auquel vont devoir s'atteler le gouvernement et la ministre du travail. Avec une telle feuille de route on comprend bien que la prestation qui remplacera l'allocation chômage actuelle sera forcément très en retrait.

Ce qui a déjà conduit le gouvernement à faire marche arrière sur sa promesse d'indemniser les démissionnaires. Aujourd'hui, les salariés ayant démissionné de leur entreprise peuvent être indemnisés par l'Assedic, mais selon des critères très précis, notamment en cas de déménagement. Mais la promesse d'élargir les conditions d'indemnisation des démissionnaires s'est singulièrement rétrécie comme peau de chagrin. Après avoir promis d'ouvrir le bénéfice du chômage à tous les démissionnaires une fois tous les cinq ans, le voici qui parle maintenant d'un droit qui pourrait s'exercer tous les cinq ans, six ans, sept ans, et seulement dans le cas où le démissionnaire aurait "un projet". Cette promesse, le candidat Macron l'avait chiffrée à 2,7 milliards, mais selon le journal les Echos, la facture serait bien plus salée : «entre 8 et 14 milliards la première année, de 3 à 5 milliards les années suivantes », disent les premières estimations du ministère du Travail.

De quoi jeter le doute sur les mesures concrètes qui sortiront des négociations avec les partenaires sociaux. Les organisations de chômeurs risquent fort d'être tenues à l'écart de cette négociation ultra sensible, puisque le gouvernement entend étatiser le régime d'indemnisation du chômage aujourd'hui géré paritairement par les organisations patronales et les syndicats de salariés. Ils ont adressé une lettre commune au gouvernement, mais n'ont à ce jour reçu aucune réponse et aucun rendez-vous n'a pour l'instant été fixé. "Il serait inconcevable que cette réforme puisse se faire sans que les premiers concernés, c'est-à-dire les chômeurs, ne soient consultés", explique AC ! Le MNCP rappelle pour sa part qu'il y a un ver dans le fruit, puisque l'un des points importants de la réforme -le financement- n'est pas négociable. Il est déjà acté dans le budget 2018.

La future allocation chômage sera en effet financée par le remplacement des cotisations chômage et maladie par la hausse de la CSG. Le gouvernementale prévoit de casser le lien entre financement et indemnisation et donc le système assuranciel, qui garantit des droits aux salariés privés d'emploi. Jusque là, en effet, la logique est la suivante : vous cotisez à l'assurance chômage pour un risque, celui de vous retrouver au chômage, et lorsque celui-ci se réalise, le régime vous indemnise en fonction des droits que vous avez acquis en termes de cotisations versées.

Si on ne connaît pas le montant et la durée de versement de la future prestation chômage, on sait déjà que le contrôle des chômeurs sera renforcé. Aujourd'hui, tout demandeur d'emploi est déjà tenu de rechercher activement un emploi, mais le contrôle version Macron promet d'être bien plus tâtillon. Le nombre des agents de Pôle emploi chargés du contrôle des chômeurs devrait passer de 200 à un millier, alors que parallèlement Pôle emploi surprime des postes de conseillers.

La future prestation serait par ailleurs supprimée en cas de refus de deux offres d'emploi "décentes", sans qu'on sache encore quels seront les critères en jeu. Aujourd'hui un chômeur ne peut refuser plus de deux "offres raisonnables" d'emploi (voir notre article du 10 novembre 2017). En matière de salaire, les critères de "l'offre raisonnable" évoluent avec le temps, mais ils restent liés aux compétences et aux qualifications professionnelles. Quels seront ceux de "l'offre décente" ? Tout dépendra de la négociation à venir.

Autre motif d'inquiétude, le bilan de compétences qui sera obligatoire après l'inscription à Pôle emploi. Aujourd'hui, un bilan de compétences vise à permettre au salarié d'identifier ses compétences professionnelles et personnelles par rapport à un projet d'évolution professionnelle. Si le conseiller constate un écart entre les compétences du salarié ou du chômeur et le métier envisagé, il peut prescrire une action de formation. Le bilan de compétences repose donc sur la relation de confiance entre un salarié volontaire pour effectuer cette démarche et un conseiller bienveillant. Avec Macron, s'agira-t-il, pour les conseillers Pôle emploi, d'évaluer les compétences compatibles avec les offres d'emploi vacantes ? Ce bilan de compétences version Macron comportera une douzaine d'heures au maximum, alors qu'aujourd'hui, il faut compter vingt-quatre heures réparties sur deux ou trois mois.

L'étatisation du régime d'indemnisation est donc un changement lourd de conséquences, puisqu'il s'agit d'en finir avec l'idée que les chômeurs ont des droits. A la place de l'allocation versée selon les règles fixées par les partenaires sociaux, une allocation dont le montant sera décidé par l'Etat. Le changement du mode de financement qui se fera par la hausse de la CSG n'est pas neutre. Nous continuerons à payer pour l'indemnisation du chômage mais tout lien sera désormais rompu entre l'argent que nous versons chaque mois, via la CSG, et l'allocation qui nous sera versée en période de chômage. Il ne sera plus question d'accumuler des droits au système d'assurance chômage qui n'existera plus. Une réforme irréversible, car, s'il est facile de supprimer des cotisations sur les salaires -y compris en les transférant sur la CSG- il est difficile de les rétablir, sans toucher au pouvoir d'achat des salariés.

Le système des "droits et devoirs" envisagé par Emmanuel Macron rappelle furieusement le système anglais. Or, celui-ci est l'un des pire pour les chômeurs. Depuis les années 1980, l'allocation n'est en effet plus liée au salaire perçu auparavant, explique le mensuel Alternatives économiques. Un chômeur britannique célibataire perçoit en effet 351 euros bruts par mois pendant six mois maximum, alors qu'en France il peut être indemnisé pendant deux ans. Les chômeurs britanniques doivent aussi passer au moins 35 heures par semaine sur un site qui dépend du gouvernement. Celui-ci enregistre toutes leurs connexions, les clics et l'ensemble des traces de la navigation sur le site. Ils doivent aussi accepter n'importe quel emploi proposé par le job center, le Pôle emploi local. Si le chômeur ne respecte pas ces obligations drastiques, il se voit supprimer son allocation. Celle-ci peut même être supprimée en cas de retard à un entretien.

Si les manifestations contre la réforme du Code du travail n'ont pas fait le plein, il serait désastreux de ne pas s'opposer à celle du chômage. Car aujourd'hui, toute personne est susceptible de connaître une période de chômage dans son parcours professionnel.

Véronique Valentino

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