Esclavage en Libye : assauts d’hypocrisie de la communauté internationale
Des journalistes de CNN avaient filmé une vente d’esclaves en Libye. le reportage n’avait suscité que peu de réactions politiques. Et pour cause. Union européenne, OTAN, ONU, tous savent depuis longtemps, et sont complices des horreurs que subissent les migrants subsahariens dans ce pays failli, devenu la base arrière d’un gigantesque trafic d’êtres humains.
Les images tournées par CNN en août dernier et qui n’ont été diffusées qu’en novembre, révulsent, tout simplement. Que le commerce d’Africain.e.s subsaharien.ne.s puisse se tenir ouvertement à quelques encâblures des côtes françaises est tout simplement inconcevable. Cependant, nous devons savoir que ces faits se produisent avec la complicité de tous les leaders occidentaux. Ils sont le résultat de politiques migratoires de plus en plus cyniques et restrictives, qui reposent sur des mensonges et flattent toujours plus les forces d’extrême droite qu’elles prétendent combattre. Il y a en effet une évidente hypocrisie à faire comme si l’on découvrait aujourd’hui la situation atroce des migrants subsahariens dans ce pays, livrés à des factions armées mafieuses depuis la chute du régime de Khadafi, en 2011. "La Libye est un endroit terrifiant pour les migrants", selon Michaël Neuman, directeur du CRASH (centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires) de MSF, où « les personnes originaires d’Afrique subsaharienne se retrouvent aux mains de milices mafieuses, sont enlevées, torturées, violées, revendues et détenues dans des conditions atroces ». Une situation dénoncée depuis longtemps par les ONG françaises ou internationales, puisque le premier rapport alertant sur la situation des migrants dans le pays date de 2012. A l’époque, des observateurs de la fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), de Justice sans frontière pour les migrants et de Migreurop, s’étaient rendus en juin de cette année-là dans deux centres de détention. Mais le reportage de CNN marque une étape supplémentaire, car le choc des images est tel que personne ne pourra plus dire qu’il ne savait pas.
Réactions de la communauté afro-descendante et des Africains eux-mêmes
Aucun responsable politique français de haut niveau ne s’est pourtant exprimé sur le sujet. On cherche en vain une réaction sur le site de la France insoumise ou sur celui du parti socialiste (oh pardon, de Nouvelle gauche), par exemple. Il faut aller sur le site des eurodéputés PS pour trouver une déclaration mi-figue mi-raisin ou sur celui du parti communiste pour enfin trouver une dénonciation de la condition des migrants en Libye, « empilés les uns sur les autres, enfermés dans des hangars, subissant les violences des gardiens munis de bâtons électriques… » Le PCF lance un appel à créer « des voies légales et sécurisées permettant aux migrant.e.s de rejoindre l’Europe pour y faire valoir leurs droits à la protection et d’espérer se construire une vie meilleure ». Mais les réactions ont pour l’instant surtout émané de la communauté afro-descendante, comme celle de Claudy Siar, animateur radio pour RFI, qui avait appelé à manifester samedi dernier, de Omar Sy, de Alpha Blondy, des footballeurs Didier Drogba et Paul Pogba, ou de l’ancienne Miss France Sonia Rolland. Un collectif contre l’esclavage et les camps de concentration en Libye (CECCL), s‘est aussi constitué. On a aussi entendu quelques réactions africaines : le président de l’Union africaine, le guinéen Alpha Condé ou celui du Sénégal, notamment.
Le mythe de la Libye de Kadhafi accueillante envers les migrants
Ouvrons une parenthèse pour dire qu’il est faux, comme le font certains, de prétendre que c’est l’intervention contre Kadhafi qui est responsable de cet état de fait. Il faut rappeler que ce dernier, après avoir encouragé les migrations depuis les pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest, au nom d’un prétendu panafricanisme, avait encouragé le racisme et la violence à l’égard de leurs ressortissants, les accusant de répandre la criminalité, la prostitution et les maladies. Ces discours racistes avaient entraîné des massacres en l’an 2000, mais aussi encouragé plus globalement des violences, les extorsions de fond et autres sévices. Kadhafi avait aussi initié la collaboration avec les Etats européens, qui le payaient grassement pour repousser les personnes souhaitant traverser la Méditerranée pour se rendre en Europe. Il est cependant exact que la chute du régime a ouvert la voie à un chaos propice à un essor gigantesque de tous les trafics. Ventes d’esclaves, viols, torture, racket, exécutions sommaires, travail forcé et même vente d’organes : aucune abomination n’échappe à la palette d’atrocités commises par les chefs de guerre locaux. On se demande, pour le coup, quel crédit accorder aux promesses du gouvernement libyen d’unité nationale (GNA), d’ouvrir une enquête. « Si ces allégations sont confirmées, toutes les personnes impliquées dans ces crimes seront punies », a en effet promis dimanche le ministère des affaires étrangères.
L’ensemble des dirigeants internationaux savait
Mais les dirigeants européens et internationaux savent depuis bien longtemps ce qui se passe sur place. Les ONG avaient alerté depuis longtemps sur les formes d’esclavage qui sévissent en Libye. « Je rappelle qu’en 2011, explique Eva Ottavy, responsable de la commission Solidarités internationales de la Cimade, au moment où on assiste aux révolutions arabes et alors qu’il y a un soulèvement en Libye, les personnes étrangères étaient enfermées dans le zoo de Tripoli. Il y a eu des vidéos témoignant de cela, avec des gens qui leur urinaient ou leur crachaient dessus ou qui leur lançaient de la nourriture ». Comment prendre au sérieux la réaction du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, qui déclarait hier « je suis horrifié par ces reportages et séquences-vidéos montrant des migrants africains vendus comme esclaves en Libye ». Il ajoute : « L'esclavage n'a pas sa place dans notre monde. Ces actions comptent parmi les violations les plus flagrantes des droits de l'homme... et elles peuvent constituer des crimes contre l'humanité ». On rappellerait volontiers à l’ONU, que ces actions ne peuvent pas, mais DOIVENT être considérées comme des crimes contre l’humanité et faire l’objet de poursuites systématiques devant le Tribunal pénal international. L’ONU et son secrétaire général ne peuvent pas, tout d’un coup, découvrir que les migrants en Libye sont réduits en esclavage et plus largement victimes d’atrocités, de la part des milices qui les kidnappent, les rançonnent, se les échangent comme du bétail pour en tirer le plus de bénéfice possible.
L’hypocrisie du secrétaire général de l’ONU
Antonio Guterres était forcément au courant de ce qui se passait en Libye. Et pour cause. Le 11 avril dernier, l’Organisation internationale des migrations (OIM), agence qui fait partie de l’ONU, écrivait, dans une dépêche, que « des centaines de migrants le long des routes de migration en Afrique du Nord sont achetés et vendus sur des 'marchés d'esclaves' en Libye », citant de multiples témoignages recueillis sur place. « Les migrants qui se rendent en Libye pour tenter de rejoindre l'Europe n'ont aucune idée de la torture qui les attend au-delà de la frontière », déclarait le porte-parole de l'OIM à Genève, Leonard Doyle. « Ils deviennent des produits à acheter, à vendre et sont mis au rebut lorsqu'ils n'ont plus de valeur », expliquait encore Mohammed Abdiker, le chef des opérations et des situations d'urgence de l'OIM. Le secrétaire général de l’ONU ne pouvait pas non plus ignorer les mises en garde du Haut-Commissariat aux réfugiés (encore une agence onusienne), ni même les interrogations de la procureure du tribunal pénal international (TPI), Fatou Bensouda, qui faisait état dès le mois de mai dernier, de « meurtres de civils, d'enlèvements, de tortures et de violences sexuelles en Libye ». Enfin, l’ONU est aussi présent en Libye à travers la Mission d’appui des Nations-Unies en Libye, la Manul (UNSMIL en anglais).
Une politique européenne inhumaine
Il en va de même pour les dirigeants européens. Le 14 novembre dernier, Zeid Ra’ad Al Hussein, haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, dénonçait la situation des migrants en Libye comme « un outrage à la conscience de l’humanité ». Il déclarait que « la communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurés par les migrants en Libye et prétendre que la situation peut se régler uniquement en améliorant les conditions de détention ». Surtout, Zeid Ra’ad Al Hussein condamnait clairement les complicités de l’Italie et de l’Union européenne -qualifiant cette politique d’« inhumaine »-, qui accordent un soutien financier aux garde-côtes libyens, pour qu’ils interceptent les bateaux des migrants en Méditerranée, « les livrant à la torture, au viol, au travail forcé, à l’exploitation et à l’extorsion de fonds ». Eva Ottavy, de la Cimade, dénonce d’ailleurs une coopération européenne qui « alimente le réseau d’intermédiaires et de passeurs, tout en prétendant les démanteler ». Sans compter que « certains ont pu changer de casquette et que les passeurs d’hier sont souvent les contrôleurs d'aujourd’hui ».
Baisse des arrivées depuis la Méditerranée
Cette saillie du Haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU n’a pas plu à l’UE, qui a rétorqué qu’elle n’avait pas créé la situation en Libye et qu’elle travaillait déjà avec les institutions de l’ONU sur place. Ce qui est tout de même le minimum. Mais on mesurera l’hypocrisie des institutions européennes, aux déclarations de son commissaire aux migrations et Affaires étrangères, Dimitris Avramopoulos, lors de la réunion du groupe de contact pour la Méditerranée centrale à Bern, en Suisse, le 13 novembre dernier. Ce groupe, créé en mars 2017, et qui a pour objectif officiel l’échange d’informations entre les pays concernés par les migrations, réunit des Etats européens (France, Allemagne, Italie, notamment) et africains, tels que la Libye, l’Algérie, le Mali, le Niger ou le Tchad. Lors de cette troisième réunion du groupe de contact, Dimitris Avramopoulos déclarait que « la protection des vies tout au long des routes migratoires est notre priorité partagée ». « Nous avons déjà collectivement atteint des améliorations considérables », continuait-il. Avramopoulos se targue que les politiques migratoires de l’UE aient pu aboutir à une « baisse globale des flux irréguliers en Méditerranée centrale », avec des arrivées qui ont diminué de 30% par rapport à l’année précédente et le « retour volontaire » de 8400 migrants dans leur pays d’origine, chiffre qui a triplé cette année. Pour Michaël Neuman, l’Europe est responsable du sort des personnes détenues en Libye, dans la mesure où elle « assume le renvoi d’un certain nombre de migrants en Libye et en faisant en sorte que ceux qui s’y trouvent restent dans le pays, sans pouvoir fuir cet enfer ».
Une pluie de dollars et d’euros sur la Libye
Avramopoulos se félicite aussi de l’aide européenne apportée au développement socio-économique de la Libye et plus particulièrement à ses municipalités. Car depuis plusieurs années, c’est une véritable pluie d’euros et de dollars qui s’est abattue sur la Libye. Combien l’Union européenne verse-t-elle exactement à ce pays ? Nous n’avons pas obtenu de réponse des services de la Commission sur ce point. Car la Libye bénéficie non seulement de fonds dans le cadre d’accords bilatéraux, mais aussi de nombreux programmes européens, comme l’ENI (Europeran neighbour intrument). L’ENI vise à stabiliser les pays voisins de l’Est et du Sud, « pour leur bénéfice et dans leur intérêt mutuel », nous dit la propagande de Bruxelles. Il ne s’agit là que d’un exemple, car des programmes européens de ce type, il y en a bien d’autres, dont les diverses factions libyennes peuvent bénéficier. Cette manne accordée à la Libye n’a qu’un objectif : permettre aux garde-côtes libyens d’intercepter les migrants avant qu’ils ne se trouvent dans les eaux internationales, où ils ne peuvent plus être renvoyés sur place, au nom du principe de non-refoulement.
L’UE délègue le sale boulot aux milices libyennes
Mais revenons sur les seuls accordes bilatéraux. Le 25 janvier 2017, l’Union européenne annonçait le versement de 200 millions d’euros à la Libye, dans un accord comparable à celui signé en 2016 avec la Turquie, doté de 6 milliards d’euros, pour empêcher l’arrivée des réfugiés syriens. Depuis cet accord euro-turc, les migrants, y compris les demandeurs d’asile, sont reconduits dans leurs pays, sur la base de retours soi-disant volontaires. Ce qui constitue une violation du droit international et européen sur le droit d’asile. Mais l’Europe n’en a cure. S’agissant de la Libye, elle a d’ailleurs remis la main au pot le 28 juillet dernier, avec 46 millions supplémentaires, accordés par son fonds fiduciaire pour l’Afrique, dans la droite ligne de la déclaration de Malte du 2 février 2017. « Les dirigeants se sont accordés sur des mesures pour endiguer le flux de migrants en situation irrégulière passant de la Libye en Italie », lit-on sur le site du Conseil européen. « Il est temps de fermer la route de l’immigration irrégulière entre la Libye et l’Italie, comme nous l’avons fait avec la Turquie », déclarait ce même jour le président Donald Tusk, après une entrevue avec le premier ministre libyen Fayez al-Sarraj. On ne saurait mieux résumer les priorités des dirigeants de L’UE.
Un accord UE-Libye sur le modèle de celui avec la Turquie
C’est le sommet de la Valette, toujours à Malte, mais dès novembre 2015, qui a lancé l’idée d’un accord entre L’UE et la Turquie, puis avec la Libye. A la clé de ce sommet euro-africain, la somme de 1,8 milliards d’euros promise aux dirigeants africains en contrepartie de leurs efforts pour stopper la migration de leurs ressortissants et, pour la Libye, pour son rôle de garde-chiourme avancé en Méditerranée. Le président Macky Sall y dénonçait déjà un traitement discriminatoire des migrants subsahariens, par rapport à celui des réfugiés syriens. « On ne peut pas insister à réadmettre les Africains chez eux pendant qu’on parle d’accueillir les Syriens et d’autres », tonnait le président sénégalais. Concrètement, le sommet de la Valette a subordonné l’aide publique au développement à l’obligation, pour les dirigeants africains, de lutter contre l’émigration et de « réadmettre » sur leur sol leurs ressortissants ayant réussi à fuir leur pays. Car le racisme des politiques migratoires européennes est un fait. Les grands pays de l’ouest ont beau tancer ceux de l’est du continent, ils promeuvent dans les faits une politique particulièrement restrictive, surtout vis-à-vis des Subsahariens.
Le détournement de l’aide publique au développement
Les pays européens trahissent leurs soi-disant valeurs et une grande partie de l’aide déclarée comme étant affectée au développement des pays africains a en fait été utilisée par les Etats européens pour l’accueil des réfugiés. « Les pays donateurs sont libres d’intégrer ou non dans leur calcul les coûts d’accueil des réfugiés » écrit le site de la fondation pro-européenne Euractiv. « Ainsi, les allocations versées aux demandeurs d’asile, les aides au logement ou encore les indemnités journalières dont bénéficient les demandeurs d’asile peuvent être enregistrées comme de l’aide [au développement], pendant une année ». Euractiv précise qu’entre 2015 et 2016, les coûts d’accueil des réfugiés que les pays européens ont déclaré comme aide au développement a augmenté de plus de 27%. Ce sont autant de sommes qui ont été soustraites à l’aide publique au développement.
L’OTAN appelée à la rescousse
Les principaux leaders européens -Allemagne, France, Italie, Espagne- n’ont pas hésité à demander l’intervention de l’OTAN en Méditerranée, lors d’une réunion avec Barack Obama à Hanovre, en avril 2016. L’Otan était déjà à l’époque engagée dans une opération destinée officiellement à lutter contre les réseaux de passeurs entre la Turquie et la Grèce. L’Italie, qui se plaignait d’être laissée en première ligne face aux arrivées de migrants, a beaucoup pesé pour que les migrants soient renvoyés en Libye, vers les centres de détention, rebaptisés par la ministre de la Défense italienne, « centres d’accueil et de réinsertion ». Qu’importe que la Libye ne dispose ni de lois ni de procédures sur l’asile, et que les migrants y soient livrés aux violences et aux trafics. Lors de ce sommet de Hanovre en avril 2016, la Libye a poussé dans le sens d’un accord, avec l’aide de l’Italie, bien entendu, mais aussi de la France. Le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, s’était en effet dit prêt à aider les autorités libyennes à « sécuriser leur domaine maritime », ouvrant la voie à l’accord de Malte en février 2017.
Collaboration active de l’Italie avec les Libyens
Mais c’est l’Italie qui est la plus avancée dans la coopération avec son ancienne colonie. Rien qu’en 2017, Rome a versé 300 à 400 millions d’euros pour soutenir la marine nationale libyenne et formé ses garde-côtes. Avec l’aval et le soutien des autres dirigeants européens, l’Italie, qui est le pays le plus avancé en matière de coopération avec la Libye, n’a pas hésité à pactiser avec des milices de trafiquants. Selon le quotidien suisse le Temps, citant le Corriere della Sera, le ministre de l’Intérieur Marco Miniti, aurait conclu un accord avec la milice d’Ahmed El Dabbashi. Celle-ci dominait jusqu’en juillet le trafic de migrants dans la ville de Sabratha, ville côtière située à 70 kilomètres de Tripoli d’où partent le plus grand nombre de bateaux, et l’une des plus importantes plateforme du trafic de migrants. La milice d’El Abbashi aurait reçu 5 milliards de dollars pour bloquer les départs de bateaux. A force d’irriguer les factions armées libyennes d’euros et de dollars, celles-ci sont devenues maîtresses dans l’art du chantage, ce qui conduit les Etats européens à de dangereuses surenchères. Ainsi, toujours selon le Temps, un résident de la ville de Zaouara, elle aussi spécialisée dans le trafic d’êtres humains, avant de se voir supplantée par Sabratha, s’indignait : « pourquoi les gens de Sabratha sont-ils soutenus et pas nous ? Cela pourrait encourager certains à reprendre le trafic », menaçait-il. Pour Eva Ottavy, ce type d’accords est directement responsable de la diminution des passages en Méditerranée depuis cet été. Les départs n’ont pas baissé, précise-t-elle, ce sont les interceptions en mer qui auraient augmenté. Les passeurs et garde-côtes libyens jouent ainsi sur les deux tableaux : ils récupèrent l’argent que les migrants versent pour traverser la Méditerranée, tout en prenant l’argent versé par l’Italie pour les ramener en Libye, où ils peuvent alors payer pour un nouveau passage.
La France de Macron soutient la Libye
La France n’est pas en reste. Le 17 novembre, trois jours après la diffusion des images de CNN, elle accordait 430 000 euros au fonds des nations-Unies pour aider aux opérations de déminage près de la ville de Misrata. On apprenait aussi hier que la France allait, dans sa grande générosité, accueillir d’ici janvier… 25 réfugiés, originaires d’Erythrée, d’Ethiopie et du Soudan, évacués de Libye au Niger par le HCR. Le gouvernement a par ailleurs déployé une intense activité diplomatique pour rappeler que la France est solidaire de l’Italie dans la gestion de la crise migratoire. Sans compter le plan sécuritaire sur les migrations présenté le 12 juillet dernier par Edouard Philippe. Le 28 août 2017, Emmanuel Macron réunissait à son tour un mini-sommet consacré à la « maîtrise des flux migratoires », sujet jugé prioritaire par Paris, Madrid, Bonn et Rome, visant à renforcer le soutien à la Libye, le Tchad et le Niger. Après avoir réuni le 25 juillet, à la Celle Saint-Cloud, les deux frères ennemis de la Libye, Fayez El-Seraj, président officiel du pays et le général Haftar, chef de l’armée qui règne sur Tobrouk, Emmanuel Macron déclarait, parlant du processus de rapprochement entre les deux factions : « si nous ne réussissons pas ce processus, à travers les risques terroristes, à travers les conséquences migratoires qu’un tel échec produirait, les conséquences sur nos pays sont directes ».
Des postes avancés de l’OFPRA à défaut de hotspots
Mais c’est deux jours après ce grand raout avec les deux dirigeants libyens que les intentions réelles de Macron se sont clairement dévoilées. Le 27 juillet, en marge d’une visite à un centre d’accueil des réfugiés, il annonçait son intention d’ouvrir des « hotspots » en Libye, « dès cet été », où seraient examinées les demandes d’asile des migrants sur place. Annonce démentie dès le lendemain, devant le tollé suscité par cette annonce, Macron concédant que les conditions de sécurité n’étaient pas réunies en Libye. Par ailleurs, le modèle des hotspots est fortement contesté, car ces camps à ciel ouvert sont des centres de tri et d’enregistrement, où les personnes demandant l’asile restent bloquées des années dans des conditions lamentables. Or, semble-t-il, depuis l’accord UE-Turquie de 2016, aucun réfugié n’a quitté les hospots installés dans les îles grecques. Le discours de Macron a donc évolué pour finalement évoquer des missions avancées de l’OFPRA (l’office français pour la protection des réfugiés et apatrides), dans « une zone, qui est le sud libyen, le nord-est du Niger et le nord du Tchad ». Or, la Libye, dont on a vu les profits qu’y réalisent les diverses milices qui se partagent le pays, n’est pas signataire de la Convention de Genève sur les réfugiés. Quant au Tchad, c’est une dictature sanglante aux mains de Idriss Déby, soutenu à bout de bras par la France et l’Europe.
Les ONG accusées d’être complices des trafiquants libyens par l’Europe
Le pire dans l’attitude de l’Union européenne et de ses Etats membres, c’est sans doute les attaques qu’ils ont lancé contre les ONG présentes en Méditerranée. Le patron français de l’agence européenne chargée du contrôle des frontières, Frontex, a même été jusqu’à accuser les organisations humanitaires, qui secourent les migrants en Méditerranée, d’être complices des réseaux criminels et des trafiquants libyens. Fabrice Leggeri n’hésite pas à affirmer : « nous devrions mettre à l'épreuve le concept actuel de mesures de sauvetage ». Le directeur de Frontex déplorait dans cette interview au journal allemand Die Welt, que 40% des actions de sauvetage aient été menées par des ONG, ce qui rend plus difficile, ose-t-il, de tenter d’en savoir plus auprès des migrants sur les réseaux de contrebande et d’initier des enquêtes policières. Comme si les priorités étaient de mener des interrogatoires policiers auprès de gens qui ont vécu l’enfer ! Mais Fabrice Leggeri n’en était pas à sa première sortie en la matière. Il s’en était déjà pris aux ONG en décembre 2016, estimant que celles-ci donnent aux trafiquants « des indications claires concernant la direction à prendre pour trouver leurs bateaux ». Accusation portée également par le contre-amiral Credendino, le commandant italien de l’opération Sophia en Méditerranée. Pour MSF, c’est au contraire l’échec de l’UE, de Frontex et de Sophia, qui « ont forcé les organisations humanitaires à intervenir en mer », notamment après la fin de l’opération Mare Nostrum, pilotée par l’Italie.
Un code de conduite de l’Italie
Ces accusations sont extrêmement graves. Elles ont d’ailleurs été reprises par Génération identitaire, dont l’aventure estivale en Méditerranée, nommée Defend Europe, à bord du C-Star, s’est conclue de façon pitoyable. En août, le bateau avait dû arrêter son moteur principal, déclenchant la procédure d’alerte. Le bateau de l’ONG Sea Eye avait été appelé pour secourir les identitaires, qui ont finalement refusé son aide. Accusant la présence en Méditerranée des ONG de pousser les migrants à prendre des risques pour gagner l’Europe, l’Italie a même imposé un « code de bonne conduite ». Celui-ci faisait fi des règles maritimes en matière de sauvetage en mer. Il prétendait interdire aux ONG de s’approcher des eaux territoriales libyennes, de communiquer avec les passeurs, y compris par signal lumineux et voulait rendre obligatoire la présence de policiers armés à bord. L’UE avait approuvé ce code lors du sommet de Tallin, en Estonie – ce même sommet qui a approuvé le versement de 46 millions d’euros à la Libye- le 6 juillet dernier. Le code de conduite italien avait divisé les ONG. Sur les neuf intervenant en Méditerranée, seules trois ont accepté de le signer : ProActiva Open Arms (groupe espagnol), Save the children (Organisation internationale) et Migrant Offshore Aid Station (ONG maltaise). En revanche, MSF, SOS Méditerranée ou encore Sea Wtach l’ont dénoncé.
Mais c’était sans compter sur les garde-côtes libyens, formés par l’Europe et l’Italie. Le 10 août, la Libye annonçait la création d’une zone de recherche et de sauvetage en mer (SAR), au large de ses eaux territoriales, où la présence des ONG est interdite sans son autorisation. Cela a conduit les ONG patrouillant en Méditerranée à s’éloigner des côtes libyennes. Le 8 août, les garde-côtes, « formés et financés par l’UE » rappelle l’ONG, avaient tiré en direction du bateau de l’ONG espagnole ProActive Arms. Aujourd’hui, le nombre de bateaux opérant en Méditerranée a baissé. L’Aquarius, financé par MSF et SOS Méditerranée, continue ses opérations de même que le Sea Watch 3. Depuis janvier, on estime que plus d’un millier de personnes, des enfants, des femmes et des hommes, ont péri lors de la traversée, mais il ne s’agit que d’une estimation.
Des sauvetages sabotés par les marins libyens
On se demande aussi quelle formation l’UE et l’Italie ont bien pu donner aux garde-côtes libyens. Ceux-ci ont en effet été mis en cause dans plusieurs opérations de sauvetage qui se sont terminées par la mort brutale de migrants tombés à l’eau, au mépris des règles de base du sauvetage en mer. Pire, à au moins une occasion, le 6 novembre dernier, ils les ont mis en danger, s’approchant trop près de zodiacs de petite taille et les ont même frappés alors qu’ils grimpaient à bord. Dans la panique, plusieurs personnes sont tombées à l’eau. C’est alors que la vedette libyenne a viré de bord, au lieu de tenter de sauver les personnes à la mer. Dans une vidéo hallucinante diffusée par la RAI, le 10 novembre, on entend les échanges entre le See Watch, un hélicoptère de la marine italienne et la vedette libyenne. Alors que des personnes récupérées par les Libyens sont encore accrochées à l’échelle de la vedette, celle-ci pousse soudain ses moteurs à plein régime. Le bateau libyen refuse de s’arrêter malgré les ordres donnés depuis l’hélicoptère, qui tente de coordonner les secours. 58 personnes auront été sauvées par le Sea watch, mais dans le sillage du bateau libyen, cinq cadavres seront repêchés, dont celui d’un enfant. L’ONG allemande qui arme le Sea Watch dénonce le comportement brutal des garde-côtes libyens, qui ont « entravé un sauvetage [qui se déroulait] en toute sécurité », mais aussi l’Union européenne, qui « forme et finance ces milices ». « Les gouvernements européens « doivent tirer des conclusions de cet incident et arrêter la collaboration avec les garde-côtes libyens », conclut l’ONG.
500 migrants parqués dans une prison à Malaga
La politique migratoire européenne est bâtie sur des mensonges. Eva Ottavy, responsable de la commission solidarités internationales, dénonce « un traitement sensationnaliste » des sujets touchant aux migrations par les médias. « Depuis de nombreuses années on alimente un sentiment d’invasion en parlant de vagues migratoires », déplore-t-elle. On nous décrit une Europe menacée par un afflux de migrants. Pourtant, l’écrasante majorité des personnes qui migrent, le font à l’intérieur de leur pays. Quant aux migrants internationaux, ils ne représentent que 3% de la population mondiale et seuls un tiers d’entre eux migrent d’un pays en développement vers un pays développé. Sous un titre volontairement alarmiste, « Migrants : quatre graphiques qui montre l’explosion des arrivées en Europe », Ouest-France expliquait que plus d’un million de demandes d’asile ont été déposées dans l’UE en 2015 et 2016. Oubliant juste de rappeler que cela représente moins de 1% de la population des 28, qui dépasse les 510 millions d’habitants (chiffres Eurostat). Un discours qui ne vise qu’à justifier le traitement inhumain réservé aux migrants par les pays européens et les violations généralisées du droit d’asile. Alors que l’opinion publique européenne commence à prendre conscience des atrocités qui se commettent avec la complicité de ses gouvernants, on apprenait hier que l’Espagne avait décidé de parquer dans une prison de Malaga, 500 migrants arrivés sur les côtes espagnoles après l’interception de leurs embarcations par la marine espagnole. « Nous considérons qu'il est bien mieux que les immigrés soient dans un centre (....) avec des moyens sanitaires, des douches, du chauffage, des lits, des salles de sport, que de les mettre dans des campements comme nous en avons vu dans d'autres pays », a déclaré hier le ministre de l’Intérieur Juan Ignacio Zoido à la radio Onda Cero. Une déclaration digne de celle de Laval, proposant aux Allemands, lors de la rafle du Vel d’Hiv, que « dans une intention d’humanité, les enfants sont autorisés à accompagner leurs parents ».
Véronique Valentino