Replacer l’alimentation au cœur de notre démocratie : pour de vrais états généraux de l'alimentation
Les membres de la Plateforme citoyenne pour l’alimentation, qui proposent 63 mesures à mettre en oeuvre pour favoriser une agriculture durable qui profite aux petits producteurs et aux consommateurs, s'inquiètent de la tournure prise par les Etats Généraux de l’alimentation et alertent le président de la République de ces difficultés. Nous publions la lettre ouverte adressée au président Macron par la cinquantaine d'organisations réunies au sein de cette plateforme.
Au lendemain d'un rassemblement près du ministère de l'agriculture, la cinquantaine d'organisations qui constituent la plateforme citoyenne pour l'alimentation s'inquiètent de la tournure prise par les états généraux de l'alimentation, qui se sont ouverts le 20 juillet dernier et se termineront fin octobre. Alors que l'objectif annoncé est de favoriser la transition vers un modèle d'agriculture durable qui permette aux agriculteurs de mieux vivre de leur activité et aux consommateurs d'accéder à une alimentation saine à des prix abordables, ils dénoncent la faible représentation de la société civile et des ateliers majoritairement contrôlés par les tenants de l'agro-industrie et q'inquiètent d'un possible échec de ces états généraux.
La moitié des tables rondes présidées par l'agro-business
Les états généraux de l'alimentation, organisé par le ministre de l'agriculture, Stéphane Travers, sont organisés sous la forme de tables rondes, présidées par 21 personnalités. Or, si parmi ces 21 personnalités, on trouve des élus et une association de consommateurs, la CLCV, dix d'entre eux sont des représentants de l'agro-industrie. Ceux-ci président des ateliers clé. C'est le cas l'atelier 5 -"Rendre les prix d’achat des produits agricoles plus rémunérateurs pour les agriculteurs", co-présidé par François Eyraud, directeur général de Danone et Serge Papin, PDG de Système U, une enseigne de la grande distribution.
La table ronde pour le bio présidé par un lobbyiste céréalier
Hier, France 2 révélait aussi que certains de ces tenants d'une agriculture productiviste avançaient masqués : l'atelier sur le développement du bio était co-présidé par Rémi Haquin, présenté comme président d'Adivalor, une société spécialisée dans le recyclage des déchets agricoles, alors que son compte LinkedIn nous apprend qu'il est surtout président du conseil spécialisé sur les céréales chez France AgriMer et qu'il est surtout vice-président de l'association générale des producteurs de blé, l'AGPB. L'AGPB qui dénonce, sur son site, "les environnementalistes de tous bords, [qui] n’ont qu’un objectif en ligne de mire : la suppression pure et simple [du glyphosate]". C'est donc ce lobbyiste des céréaliers qui co-préside une table ronde censée favoriser le développement du bio et de l'agriculture circulaire ! Quant à Jean-François Loiseau, président d'Axéréal, groupe céréalier, on ne sera pas surpris de le retrouver à la présidence de la table-ronde : "conquérir de nouvelles parts de marché sur les marchés européens et internationaux et faire rayonner l’excellence du modèle alimentaire et le patrimoine alimentaire français en France et à l'international".
L'Ania et la FNSEA gagnants en terme de représentativité
Selon France 2, qui s'est procurée la liste des 800 participants, le déséquilibre de la représentation penche clairement en faveur des tenants de l'agro-business. L'Ania, principal lobby du secteur arrive en tête ex-aequo avec la FNSEA, syndicat agricole dont on ne peut pas dire qu'il soit favorable à une transition écologique de l'agriculture française. Troisième sur le podium, pour ce qui est de la représentation à ces états généraux de l'alimentation, le Cliaa, qui regroupe les interprofessions agricoles. Voici comment l'Ania présente sa participation à ces états généraux sur son site : "l’ANIA souhaite que de ces Etats généraux de l’alimentation naissent de nouveaux rapports au sein de la filière afin de retrouver le chemin de la création de la valeur pour tous : l’agriculteur, l’industriel et le distributeur". De quoi s'inquiéter, effectivement, sur les réels objectifs de cette grand-messe de l'alimentation.
Véronique Valentino
Lettre ouverte de la plateforme pour une transition agricole et alimentaire :
Monsieur le président de la République,
Vous avez annoncé en juin dernier que vous souhaitiez organiser les Etats Généraux de l’Alimentation. C’est un projet ambitieux auquel plus de 50 organisations de la société civile participent activement et apportent au quotidien leurs propositions et expertise. Nous sommes satisfaits que de tels moments aient lieu car l’alimentation et les politiques agricoles ne peuvent se discuter avec les seuls acteurs économiques de l’aval et doivent intégrer les besoins des paysans et les attentes des consommateurs.
Les sujets portés par nos organisations témoignent de notre diversité et nous avons su travailler pour porter dans nos champs d’expertise 63 propositions concrètes dans nos priorités pour les Etats Généraux de l’Alimentation. Nous sommes mobilisés pour que l’agriculture réponde aux enjeux environnementaux et climatiques dans les fermes et les territoires ruraux et nous partageons une vision d’une démocratie alimentaire ainsi qu’une transparence renforcée au service de la diversité agricole et alimentaire en France et à l’international. Les paysans qui produisent notre nourriture doivent vivre décemment et ne pas souffrir de leur travail. Nous soutenons les réformes qui permettent de bien vivre de ce métier et orientent vers une agriculture qui préserve les ressources et la santé, du producteur au consommateur. Nos organisations défendent l’emploi et la préservation des terres agricoles sans lesquels la transition agro-écologique ne pourra être assurée. Elles défendent également le bien-être animal ainsi qu’une meilleure cohérence des politiques nationales et internationales afin qu’agriculture et solidarité aillent ensemble.
Nos organisations sont déterminées à contribuer à ces travaux, cependant nous sommes unanimes : dans leur organisation actuelle, les Etats Généraux ne parviendront pas à réussir leur mission.
Ceci est une alerte, M. le Président.
Nous sommes inquiets des résultats et de leur application politique. Les Etats Généraux doivent permettre une vraie sollicitation de la société civile. Malgré notre participation active et constructive aux ateliers, la plupart de nos propositions sont évacuées d’un revers de main. Les conclusions de la première phase des ateliers ne font pas consensus et les dissensus n’apparaissent pas systématiquement. Dans ces conditions, nos organisations ne pourront s’associer aux résultats.
Car vous le savez tout autant que nous M. le Président, tous les modèles agricoles ne se valent pas. Les différents modes de production n’ont pas les mêmes impacts en termes d’emplois, de santé et d'environnement. Nous avons besoin d’une autorité publique qui le reconnaisse et favorise la transition vers les modèles agro-écologiques.
Nous savons que notre vision agricole est pragmatique et les solutions que nous portons ont déjà fait leurs preuves : agriculture biologique et agro-écologie, circuits courts et de proximité, commerce équitable, agriculture solidaire et meilleure pour la santé, projets alimentaires territoriaux qui reconnaissent les spécificités et les ressources de chaque territoire... Ces solutions reposent sur deux évolutions principales : la relocalisation, progressive et significative, des systèmes alimentaires, moteur d’une relance des économies territoriales et la généralisation des bonnes pratiques environnementales, sociales et sanitaires.
Pour cela, il ne s’agit pas de faire des ajustements à la marge ! La transition agro-écologique, c’est l’accompagnement de la profonde transformation des processus de production, de transformation, de distribution et de consommation des aliments. Autant d'éléments fondamentaux d'une transition agricole que les conclusions des ateliers de la phase 1 ne relèvent pas.
Alors nous nous interrogeons. En particulier sur l’incohérence entre les décisions politiques et l’absence de vision pour l’avenir de l’agriculture. Mettre en application le CETA ou signer la fin des aides au maintien en Bio avant l’aboutissement de ces Etats Généraux soulève la question de votre vision de la transition agro-écologique et de sa cohérence avec vos prises de positions sur l’environnement et le climat.
Aujourd’hui, nous demandons à nouveau une troisième phase politique, afin que les recommandations soient suivies d’actes politiques ambitieux dont la finalité sera d’assurer à toutes et tous un niveau de vie décent, mais également une alimentation de qualité qui préserve l’environnement et la santé.
Par cette lettre, nous avons espoir, Monsieur le Président, que vous comprendrez que nous considérons que les Etats Généraux de l’Alimentation sont plus qu’un simple moment politique. C’est l’occasion d’impulser le changement nécessaire de notre modèle agricole et de notre système alimentaire. Replacez l’alimentation au cœur de notre démocratie et enclenchez une véritable transition agro-écologique.
lundi 09 octobre 2017
Lire cette lettre ouverte sur le site de France nature environnement, qui rassemble 3500 associations de défense de la nature et de l'environnement
Lire ici les 63 propositions de la plateforme :
Liste des membres signataires membres de la Plateforme :
Action contre la Faim / ActionAid France / Agir Pour l'Environnement /Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières / Amis de la Terre France / Association française des Diététiciens Nutritionnistes / Association Max Havelaar France / Attac France / BLOOM / CCFD-Terre Solidaire / CIWF France / CMR (Chrétiens dans le Monde Rural) / Comité français pour la solidarité internationale / Confédération paysanne (Laurent Pinatel) / Coordination SUD / CRID / Criigen / Eau et Rivières de Bretagne / Fédération Artisans du Monde / Fédération des Associations pour le Développement de l’Emploi Agricole et Rural (FADEAR) / Fédération Nationale d’Agriculture Biologique / Filière Paysanne / Fondation pour la Nature et l’Homme/ Foodwatch / France Nature Environnement / Générations Futures / Greenpeace France / Ingénieurs Sans Frontières AgriSTA (Agricultures et Souveraineté Alimentaire) / IUFN (International Urban Food Network) / Miramap (Mouvement interrégional des AMAP) / Mouvement de l'Agriculture Bio-Dynamique / Nature et Progrès / OGM dangers / Oxfam France / Plate-Forme pour le Commerce Équitable / Plateforme pour une petite pêche / REFEDD (REseau Français des Etudiants pour le Développement Durable) / RENETA (Réseau National des Espaces-Test Agricoles) / Réseau Action Climat / Réseau CIVAM / Réseau Cocagne / Réseau Environnement Santé / RESOLIS / Secours Catholique - Caritas France / SOL / Syndicat National d'Apiculture / Terre & Humanisme / Terre de Liens / Union Nationale de l’Apiculture Française / The Forest Trust / WECF France / WWF France