le ciel, vu d'ici, par arnaud maïsetti


     Sous un ciel étranger
ombres roses
ombres
sur une terre étrangère
entre roses et ombres
dans une eau étrangère
mon ombre

Ingeborg Bachmann, Ombres roses ombres


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Passer Lyon soudain, ou plus au sud encore – à un endroit sans doute secret et décisif, minuscule et nu –, dans cet espace de terre précis où quelque chose se déchire : soudain la brume de Paris s’efface, emportée plus haut quelque part où elle cède, et laisse apparaître le bleu d’un ciel intact, dont j’avais oublié et l’éclat et la nuance étale et sans douleur.

Des jours plus durs viennent ; je lis Ingeborg Bachman à cause de Celan, et dans ces mots, je lis surtout ce qui défile derrière la vitre du train qui m’emmène loin de Paris vers Marseille ce jour, tout ce présent qui passe, est là déjà : oui. Les villes que le train déborde toujours, les campagnes, les collines : la neige est partout sur le pays, et cette glace qui voudrait retenir le ciel fond déjà. Le temps est à l’ouvrage. L’année qui vient est déjà une épreuve. Ils se souhaitent bonne année comme pour la conjurer ; et pourtant. Et malgré tout (oui, tenir à ce malgré tout, celui des luttes possibles).

Passer Lyon soudain ou plus au sud : et le ciel revient donc, on l’avait oublié. Je le regarde longuement. Je pense à Genet aussi, en même temps qu’à Celan et je lis Ingeborg Bachman : des jours plus durs viennent, dit celle qui est morte brûlée vive dans sa chambre d’hôtel à Rome, le 17 octobre 1973. Je lis les mots de l’autre côté de l’incendie et dans le jour levé soudain sur Marseille.

Ici, j’irai d’abord saluer la mer à peine le pied posé dans la ville. Jeter mon ombre la tête la première dans l’eau glacée. Je ne saluerai pas au loin le vieil homme qui venait de sortir de cette neige fondue, mais en pensée, je saurai reconnaître le courage et la folie.

Tout le jour, regarder le ciel en pensant à Bachman, Celan, Genet, et à Paris sous la brume qui fait disparaître les bâtiments dans le froid. Ici, c’était jour de grand vent et rien ne disparaît de la ville pourtant. Le manque est partout. La déchirure aussi, comme pour la première fois : être amputé de sa part la plus vive.

Une dernière fois, je lis Des jours plus durs viennent, un regard sur les journaux, un autre sur le poème, toutes mes pensées vers Paris : ne sachant qui dit le présent, et qui le feu de paille d’un passé perdu. Et en regardant le ciel, je toise le vide du ciel, et mes pensées se perdent dans les corps des vivants qui pressent alors le pas pour rentrer chez eux, emportés par le froid ou le vent.

arnaud maïsetti, 4 janvier 2017