Cedric Herrou : le pouvoir condamne les plus moraux des français, par Christian Perrot
Nous avions le délit de sale gueule. Nous avons maintenant le délit de bonne gueule. Se montrer solidaire avec les migrants sans papier est passible de prison. Il convient donc pour les Français qui souhaitent échapper aux poursuites pénales de fermer les yeux, les oreilles et la bouche devant le sort des réfugiés à la rue, et, surtout, de ne rien faire.
Heureusement, certains ne s'y résignent pas. Ne détournent pas le regard et font quelque chose pour aider. Ils ne le savaient pas, en se comportant en gens généreux, qui ne comptent pas leurs efforts, ne recherchent certainement pas les compliments (il suffit de voir combien les sondages leur sont défavorables), mais ils se retrouvent du coup hors la loi. Poursuivis, attrapés, dénoncés, menacés, jugés, condamnés. Ce que la morale condamne, l'indifférence aux souffrances, est donc la loi. Ce que la morale commande, la solidarité envers ceux qui souffrent, se doit de rester verbale. Les larmes de crocodile ne sont pas punissables par la loi. Elles sont même recommandées à ceux qui recherchent les voix des électeurs qui, certainement la mort dans l'âme, sont au regret de dire aux réfugiés syriens qu'ils feraient mieux de rester chez eux - ici, on affiche complet, la porte est close, charité bien ordonnée commence par soi-même etc. C'est bien laid tout ça. Et, comme si cela ne suffisait pas, comme ils se sentent morveux, ils n'arrêtent pas de dire : "Et qu'on ne vienne pas nous donner des leçons de morale ! Nous sommes blancs comme neige !" - et, pour certains, c'est peut-être un peu le problème, en effet.
Il nous semble pourtant que dans une Europe en pleine faillite morale, plus encore qu'économique, qui ne sait que multiplier les pauvres, en leur crachant en plus dessus, et pour exemple de réussite dans la vie ne sait que désigner des millionnaires, nous avons par-dessus tout besoin de parler d'éthique, d'exemples d'autres accomplissements que celui de se gaver d'argent, d'arrêter de faire de l'entreprise l'alpha et l'omega de la "vie réelle", cet élément de langage de l'idéologie libérale avec lequel on nous saoule tous les jours, pour sortir de ce sombre abrutissement qui accompagne la chute de la France dans l'abîme.
Or, ce que nous voyons, depuis la répression féroce contre les opposants à la loi Travail, contre les syndicalistes en général, contre les zadistes, contre les lanceurs d'alerte, aujourd'hui contre ceux qui aident les migrants et les réfugiés, c'est que ce sont les meilleurs d'entre nous qui sont punis. Les plus conscients. Les plus dévoués. Les plus actifs. Ceux qui refusent de faire les aveugles, les sourds et les muets devant le mauvais sort qui nous est réservé. Il nous semble pourtant que la devise de la République, ce sont trois mots : "Liberté, égalité, fraternité", pas trois petits singes.
Nous soutenons donc sans hésitation aucune toutes celles et tous ceux qui ont choisi de mettre la fraternité en oeuvre au risque d'en être punis. Et il nous semble que cela devrait aller de soi.
L'Autre Quotidien