Jeudi 15, on joue gros, par Serge Quadruppani
"L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans le mois des tempêtes."
Alors, manif d'enterrement comme l'ont annoncé des centrales syndicales obligées de retourner dans la rue par la poussée de la base? Ou affirmation d'une force, à travers ce phénomène jamais vu depuis trente ans: la reprise d'un mouvement social qui romprait enfin avec cette mauvaise habitude française consistant à faire la révolution jusqu'au départ en vacances?
Une chose est sûre : aujourd'hui tout le monde joue gros.
Un personnel gouvernemental au bilan si catastrophique que seul l'antiterrorisme et le maintien de l'ordre lui donnent encore l'occasion d'exister va devoir montrer qu'il commande encore, avec l'appui d'un appareil sécuritaire qui n'a plus qu'une contrainte: éviter de tuer. Pour le reste, la flicaille aura tout loisir d'utiliser le savoir-faire élaboré durant ce mois de mars qui dura quatre mois. Manifs encagées, raids de nervis baqueux dans les cortèges, défilés coupés en deux, en trois, en quatre par les robocops et les motopompes, acharnement sur les manifestants à terre, il s'agit très littéralement de briser les corps par les gaz, les grenades, les flashballs et les coups, et de domestiquer les âmes par l'humiliation des fouilles, et des défilés en cage… On connaît leur répertoire. Et la question centrale reste: comment le contrer?
Aujourd'hui sera une occasion peut-être unique de respirer entre deux séquences puantes, celle des burkinis, déchaînement de racisme encouragé par l'Etat, et celle du cirque électoral, qui devrait battre tous les records de la dérision et de l'infamie. Aujourd'hui, nous devons tout faire pour refuser la cage, la nasse, l'impasse.
Aujourd'hui, pour ne pas renouveler la honte de la manif de la Bastille toutes les initiatives seront les bienvenues.
Comme nous y invite Paris-Luttes Info, il faut refuser la fouille des sacs avant l'entrée dans la manif.
Comme nous l'indiquent les expériences précédentes, il faut saisir toutes les occasions de manifester en dehors de la cage: dès qu'on aperçoit l'avant-garde des postes de contrôle, on peut se regrouper à dix, à quinze, à cent pour crier notre refus de la domestication.
Occupons la rue hors de la nasse! Ça diminuera la pression sur ceux qui y seront tombés. Ça nous permettra de respirer, de penser et d'agir ensemble.
Sur les côtés, à l'arrière, loin ou près de la manif, ce qu'il nous faut, ce sont
Des cortèges de tête partout!!
Si nous parvenons à ouvrir une brèche, si nous réussissons à dégager un espace de liberté d'expression et d'action, nous nous donnons la possibilité de refaire enfin de la politique, de saboter le cirque sinistre qu'ils osent appeler démocratie et sa mise au pas électorale (allez-vous vraiment voter Juppé "pour faire barrage à Le Pen"?), et au passage nous pourrons continuer à remettre en cause la loi "Travaille!".
Serge Quadruppani
Essayiste, traducteur et éditeur littéraire libertaire français, auteur de romans policiers et traducteur de la série des Commissaire Montalbano d'Andrea Camilleri, Serge Quadruppani tient un blog où il s'exprime sur l'actualité "en attendant que la fureur prolétarienne balaie le vieux monde" : Les contrées magnifiques. Une saine lecture.