RELIRE MURRAY BOOKCHIN À L'HEURE DE L'ÉCO-SOCIALISME
Le Monde Diplomatique (n°748) a exhumé, dix ans après sa mort, la figure quelque peu oubliée de Murray Bookchin (1921-2006), théoricien de l’écologie sociale. Le plein de sa bibliographie en langue française remonte aux années 1995-2000, années où l’altermondialisme a trouvé sa température d’ébullition intellectuelle et politique. Son Arcadie se trouve plus sûrement du côté du Canada, mais l’essayiste décroissant Vincent Gerber s’est particulièrement intéressé à cette figure à travers deux essais biographiques, Murray Bookchin et l’écologie sociale (Écosociété, Montréal, 2013) et en collaboration avec Floréal Romero, Murray Bookchin, pour une écologie sociale et radicale (Le Passager clandestin, Neuve-En-Champagne, 2014).
L’auteur de l’article, Benjamin Fernandez, introduit drôlement l’influence de cet intellectuel américain qui chercha à combiner écologie, social et " municipalisme libertaire " et qui, post-mortem, a su convertir les marxistes-léninistes durs de fer du PKK d’Abdullah Ocalan. En effet, le 6 janvier 2014 les cantons du Rojava, dans le Kurdistan syrien, se sont fédérés en communes autonomes selon le modèle sociétal proposé par cet écologiste radical, né de parents juifs à New York en 1921. La traçabilité des idées est parfois savoureuse.
Son pamphlet datant de 1964 a déclenché sa notoriété : Écologie et pensée révolutionnaire annonçait une couleur nouvelle, alors que le terme d’écologie ne signifiait pas encore grand-chose dans les opinions publiques des nouvelles sociétés de consommation.
" Il est impossible de parvenir à une harmonie de l’homme avec la nature sans édifier une communauté humaine qui vive dans un équilibre durable avec son environnement naturel."
Pour Bookchin, la révolution sociale est la clé du changement écologique, et réciproquement. Ce paradigme est clairement affiché dans ce que l’on peut considérer comme le texte fondateur de sa théorie : " le propos de l’écologie, c’est l’équilibre de la nature. Or, pour autant que la nature englobe l’homme, ce dont traite cette science c’est fondamentalement de l’harmonisation des rapports entre l’homme et la nature. Une telle approche a des implications explosives, non seulement parce que l’écologie est intrinsèquement une science critique – à un point que n’ont jamais atteint les constructions les plus radicales de l’économie politique – mais aussi parce que c’est une science qui intègre et qui synthétise. Et ce dernier aspect, si l’on en tire toutes les implications, rejoint, en gros, la critique anarchiste de la société. Car, en dernière analyse, il est impossible de parvenir à une harmonie de l’homme avec la nature sans édifier une communauté humaine qui vive dans un équilibre durable avec son environnement naturel."
Bookchin s’impose dès lors comme un poids lourd de la nouvelle gauche américaine. En 1976, dans le Vermont, sur les terres d’un certain Bernie Sanders, il fonde son Institut pour l’écologie sociale qui, de l’apprentissage de l’agriculture bio aux études sur des énergies renouvelables en passant par la promotion de l’éco-féminisme ou de l’histoire révolutionnaire, expérimente les différentes facettes de l’écologie politique.
Selon lui, le sujet révolutionnaire est le citoyen dominé, non le travailleur exploité.
L’éditeur Christian Bourgois diffusa ses idées en France en 1976, en publiant Pour une société écologique... L’article du Diplo décrit ainsi son idéologie : "Bookchin insiste sur la nécessité de répondre aux enjeux écologiques plutôt que d’organiser la classe ouvrière. Selon lui, le sujet révolutionnaire est le citoyen dominé, non le travailleur exploité. Il redéfinit l’anarchisme comme une solution pour les jeunes désireux non pas d’être menés par une avant-garde, mais de s’émanciper des valeurs de hiérarchie et de domination- dont le marxisme n’est pas exempt." L’écolo radical rencontra plusieurs oppositions. Technophile, il se trouva en butte contre des mouvements culturels radicalement contraire. Les anarchistes n’adhérèrent pas du tout à ses thèses sur le municipalisme libertaire et ses fameux gouvernements municipaux qui par un effet graduel recouvriraient une forme confédérale, qu’ils virent eux comme autant d’États-nations d’opérette miniaturisant jusqu’à la caricature, la tyrannie du plus grand nombre.
Plus socialiste qu’anarchiste, reste de la pensée Bookchin cette vision d’un capitalisme en conflit permanent avec l’environnement (il ne croyait pas du tout au "capitalisme vert") et un effort continu à intégrer et mettre en cycle la composante écologique dans les références traditionnelles de la gauche socialiste, communiste et anarchiste.
Cet article est d'abord paru dans "Les Influences", l'expression en ligne de la revue "Panorama des Idées", disponible dans les librairies ou par abonnement, avec laquelle L'Autre Quotidien collabore pour sa rubrique Idées. Pourquoi ? Parce que nous savons reconnaître deux choses : la suite dans les nouvelles idées, que cherchent inlassablement, trouvent et évaluent Emmanuel Lemieux et Jean-Marie Durand depuis des années, et nos limites. Les idées, il est mieux de les avoir à plusieurs.