Short-Cuts 15, par Nina Rendulic
au bout de chaque semaine, ce(ux) que je retiens dans la réalité subjective du monde qui nous entoure
krajem svakog tjedna, ko/čega se sjećam u subjektivnoj stvarnosti svijeta oko nas
semaine du 25 / 4 / 16
The world is yours
Heureux sont ceux qui habitent la capitale. Dimanche 24 avril, 18h30, Paris 6e. Dans l’air un air de fête. On sort de l’Odéon. Isabelle porte Phèdre(s) dans le sang qui coule de sa féminité dans l’espace de sa chevelure blonde dans les muscles derrière ses bas résille dans de petites gouttes de sueur et sa voix suave et contradictoire. Dans l’air des aires d’un mégaphone. Des étudiants, peut-être ? On traîne devant les grilles latérales du théâtre. En face, une librairie, une fromagerie et un café. Une grande voiture noire vient se garer, sur le siège passager deux baguettes. Dans l’air des cris, des revendications. Encore ces étudiants ? On voudrait et ne voudrait pas apercevoir Isabelle. Un jeune à vélo demande au gardien de la porte latérale de le laisser entrer. Il refuse. Pourquoi, on se demande. Isabelle ne sort pas et c’est tant mieux. Trois gouttes de pluie. Et si on marchait jusqu’à la place de la République avant de reprendre le train ? Le vent se lève. On contourne. Sur la façade frontale du bâtiment, quatre affiches (noir – blanc – rouge) : Nous somme repus mais pas repentis (Déjeuner chez Wittgenstein), La Mouette, Les Palmiers sauvages, Phèdre(s). Puis, en haut, trois nouvelles : De l’argent, il y en a, construisons de nouveaux droits, Pas de droit du travail sans droit au chômage, et, froissée par le vent, Nuit débout à l’étoile rouge. Une liesse de résistance se propage sur les lèvres des passants. On sourit à son voisin, cet inconnu. Sans savoir, sans concevoir, on est bien. Sortons danser au rythme du vent nouveau. Les jours seront longs et les nuits sans fin.
The world is yours
Trente ans depuis Tchernobyl. Aujourd’hui, des images : un manège jaune envahi par de la mousse, une salle de classe, craies et cahiers tombés par terre, des feuilles mortes et du verre brisé, des animaux sauvages aux yeux verts luisants. Le temps des hommes s’y est arrêté. J’aimerais pouvoir me dire que personne ne soupçonnait à l’époque les dangers de ce nuage aux particules invisibles, nuage qui tend la main et happe les atomes, puis les cellules, puis le sang, puis les organes, puis le corps, et avec le corps l’âme, la mémoire, les souvenirs, la vie, la vie, la vie. J’aimerais pouvoir me dire ça. L’ignorance. L’inconnu. L’insoupçonnable. Je pense que je me dirai ça, oui. Car il serait affreux de devoir se dire qu’ils le savaient depuis le début, inertes, assis, gros, qu’ils le savaient depuis le début, et que rien n’avait été fait pour éviter que l’horreur advienne (quid de la fatalité de l’horreur ?). Tchernobyl, lieu où l’homme n’est plus. Les forêts garderont en mémoire nos rires et notre souffle.
Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis