Devoir trimer et en plus sourire - la réalité du travail aujourd'hui

Devoir trimer et en plus sourire

Si aujourd’hui pour la grande majorité d’entre nous travail ne rime pas avec usine et chaîne de montage, ce n’est pas pour autant qu’il est devenu une activité émancipatrice à laquelle on se rend gaiement. Les conditions de travail aliénantes n’ont pas disparu. Au contraire, elles se sont largement étendues aux métiers dit « de service » : passer des articles 8 heures d’affilée sur une caisse de supermarché, servir des assiettes brûlantes à des clients avec le sourire, assembler toutes ses soirées des plats préparés pour la livraison rapide, trier des papiers pour des grandes entreprises des journées entières dans des open-space de 100 personnes... Bref, le travail répétitif, abrutissant et mal payé a un bel avenir devant lui, toujours au bénéfice de la classe dominante. Le statut d’ouvriers des services se précarise toujours plus. Refuser de faire des heures sup’ en CDD ou en Interim est vite synonyme de non-renouvellement de contrat. Alors, faire grève relève d’un petit exploit. Le léger sentiment de dignité qu’on y gagne est rapidement contrebalancé par le risque de perdre son taf.

Pour d’autres, le quotidien ressemble à de l’auto-exploitation permanente : conducteur VTC toujours disponible pour récupérer des clients, auto-entrepreneur pour vendre des journaux, travailleuse semi-bénévole dans une association... Ce faux choix est bien plus décidé sous la contrainte matérielle que derrière une quelconque « liberté de travailler quand je veux où je veux ». On assiste tout simplement au retour du travail à la tâche. Si on ne travaille pas toujours beaucoup, on n’est jamais vraiment au repos. La frontière entre le temps de travail et de non-travail se floute complètement, le tout pour des revenus souvent incertains et sans aucunes garanties sur l’avenir.

Ces boulots de service absurdes et cette idéologie de l’auto-entrepreneur qui gère et maîtrise sa vie ont en commun de ne plus seulement nous demander de travailler, de faire le job pour avoir de quoi survivre, mais exigent aussi de nous d’adhérer pleinement au projet de l’entreprise et de la société du travail. L’apparence, la motivation, le bon feeling dans la relation avec le client ou entre collègues deviennent aussi importants que le travail fourni en soi. Il faut être dynamique, présentable, sociable, et si possible plus que le collègue. L’évaluation est permanente et intégrée, que ce soit à travers les brimades des petits chefs ou les notes d’appréciation des sites internets et des réseaux sociaux. C’est parfois difficile de ne pas associer un échec professionnel au sentiment d’être trop faible, trop moche ou trop con pour cette société. C’est la mise en concurrence de tous contre tous pour quelques places qui n’ont d’ailleurs pas grand chose d’enviables. L’avenir du capitalisme ne sera radieux que pour une classe de privilégiés et d’exploiteurs. Pour nous, ce sont des conditions d’existences toujours plus précaires.

Place occupée, mais où sommes-nous ?

Alors, la loi travail n’est qu’une étape parmi d’autres dans ce processus. Mais, pour le moment, tout ne se passe pas comme prévu et c’est très enthousiasmant. Le contexte d’une forte mobilisation n’était pourtant pas favorable entre état d’urgence, appel à l’union nationale et gauche au pouvoir disposant de ses habituels relais pour maintenir un semblant de paix sociale. On pourrait même dire que c’est original un mouvement contre une réforme liée au travail avec le Parti Socialiste aux affaires. Nous, ça fait longtemps qu’on y croit pas mais au moins maintenant les choses sont claires pour tout le monde. Finie la croyance dans l’alternance qui devait enfin défendre les aspirations des travailleurs, chômeurs et précaires. Plus question d’esprit de responsabilité aux prochaines élections : la gauche au pouvoir depuis 35 ans n’a fait que poursuivre une gestion capitaliste, raciste et autoritaire de l’Etat français.

L’autre chose, c’est que même si elles n’ont bien sûr pas disparues, ce mouvement arrive dans une période de décomposition des organisations politiques traditionnelles. Et ça fait du bien de se débarasser un peu de la puissance des bureaucraties syndicales et politiques, de leurs manoeuvres pour tout encadrer et récupérer la contestation, de leurs chefs providentiels et de leurs services d’ordre qui n’hésitent pas à donner du coup de poing en manif si on ne suit pas leurs ordres.

L’enjeu est d’éviter que cette désagrégation ne débouche sur davantage d’isolement et d’individualisme dans les luttes. Les changements que nous pourrons obtenir ne viendront que d’un rapport de force avec le pouvoir. Ce qui ne découle pas de l’addition d’individus mais de notre capacité à s’organiser collectivement. Avoir des lieux publics, ouverts, où se réunir, se rencontrer, s’organiser et même s’embrouiller est l’une des premières nécessités d’un mouvement. Face aux fermetures administratives des universités et aux difficultés de tenir un lieu grand et accessible à Paris, l’occupation de la Place de la République apparaît de fait comme une réponse à cette nécessité. Evidemment hétéroclite, confuse et chaotique, il n’en demeure pas moins que cette initiative réunit des milliers de personnes chaque jour et tient en dépit des opérations de police (et de la pluie).

Espérons juste que cette occupation ne centralisera pas toutes les énergies et que d’autres initiatives participeront à la dynamique du mouvement. Espérons surtout que cette occupation ne s’enfermera pas dans une idéologie qui, en se prétendant en permanence citoyenne et démocrate, annihile de fait toute analyse de la conflictualité sociale et toute possibilité de s’organiser concrètement. Voter frénétiquement en AG toutes les propositions (le plus souvent sans réalisation effective derrière) ne garantit en rien l’implication du plus grand nombre et la transparence de la décision. Cela avalise bien davantage un rapport individuel et abstrait à la lutte : tu peux voter pour les cahiers de doléances à la sortie du métro, contre le déménagement de la cantine, t’abstenir sur le vandalisme sans jamais ni t’impliquer ni t’organiser collectivement.

Le risque également de cette idéologie citoyenno-démocrate est une dépolitisation, une simplification à l’extrême et un déni de la conflictualité sociale derrière des slogans comme « les 99 % face au 1 % » ou « la police avec nous ». La police tue dans les quartiers, tabasse en manifs, mutile à coup de flashballs. Ils sont et seront toujours du côté de l’Etat et des dominants. Alors, non, nous ne construirons rien avec eux. Pour nous, la lutte des classes n’a pas disparu avec le déclin de la société industrielle. Ce système capitaliste continue plus que jamais de profiter à une classe dominante qui ne cèdera que sous la pression d’un rapport de force et pas d’un bulletin de vote ni de 80000 smiley sur Périscope.

Alors, essayons de profiter du joyeux bordel pour être moins isolés, se retrouver dans une assemblée générale, une occupation d’ un subway, un blocage d’un magasin H&M, un saccage de boîte d’interim, une manifestation sauvage... Et la liste est encore bien longue !

LES PATRONS ET LE GOUVERNEMENT NE COMPRENNENT QU’UN LANGAGE : GREVE, BLOCAGE, SABOTAGE !

Des exploité-e-s pas si atomisé-e-s

Dédicace à tous les chômeuses et chômeurs, précaires, rsastes, autoexploité-e-s, ouvriers et ouvrières de la société de services

Paris-banlieue avril 2016