Short-Cuts (7), par Nina Rendulic

© Nina Rendulic

© Nina Rendulic


au bout de chaque semaine, ce(ux) que je retiens dans la réalité subjective du monde qui nous entoure

 

semaine du 29 / 2 / 16

Cette semaine on vous a offert 86 400 secondes en plus.

Qu'en avez-vous fait ?

Berlin (prologue)

Your face holds all the love in the world.  Il est à toi, Berlin. Tu me l’as prêté jadis, le temps de quatre jours et cinq nuits, l’espace d’un désir et de la neige en avril. Je ne le voyais que dans tes yeux, Berlin. Je voyais la rotonde sur Potsdamer Platz et mes chaussures rouges dont les lacets étaient défaits. Je voyais les tags à l’intérieur de l’ange doré, et les crocus bleus… qu’est-ce qu’ils étaient bleus. Je voyais les bonshommes de Giacometti, le passage au-dessus de la S-Bahn, le château face à la Spree et tes mains sur le mur. Je me voyais dans ta Néfertiti. Je te voyais glacée dans ce café turc après les puces, je voyais du bleu et du blanc et du gris. Berlin est gris dans tes yeux. Gris et doux. Berlin se reflète dans tes yeux et dans un nombre infini de miroirs cassés. La topographie de Berlin, nous l’avons tracée minutieusement et avec amour. Point stratégique entre ton ouest et mon est. Nous avons failli y rester.

Que reste-t-il, de ton Berlin, huit années plus tard ?

Where have all the flowers gone / Long time passing / Where have all the flowers gone / Long time ago

Where have all the flowers gone / Young girls picked them every one / When will they ever learn / When will they ever learn

 

Marchés aux puces

Orléans, samedi matin, une image en mots :

température ressentie -5°C / maigres rayons de soleil à travers les feuilles mortes mais tenaces / vent d’ouest (aucun obstacle depuis la mer) / poussière lourde et statique

à gauche trois chaises en formica couleur ocre

le renommée des vendeurs se lit dans les supports sur lesquels ils étalent leurs biens : d’épaisses bâches vertes côtoient des tables de camping, des boites en carton recouvertes de nappes aux petites fleurs bleues, des étagères improvisées en palettes superposées et de vieilles couvertures miteuses.

à droite sous un cadre un papillon épinglé couleur glauque irisée

la cartographie des visiteurs : il y a des dames âgées qui fouillent dans le tas des vêtements à deux euros. de petites piles successives se forment de gauche à droite au rythme des mains qui les prennent, dévisagent et reposent. il y a des couples BCBG, Orléans chocolaterie royale, bras dessus bras dessous, qui cherchent les toiles refoulées des grands maîtres. il y a des étudiantes Erasmus, Europe de l’Est, qui achètent des grigris à trois sous, qui promènent leurs fausses fourrures, qui s’émerveillent devant des minitels. il y a Josef Nadj qui vient d’acheter un Kodak à soufflet. il m'interpelle. nous parlons Polaroïds, Budapest et Berlin.

à gauche dans un carton le service agreste sarreguemines, bon état

à droite un tas de colliers de perles en verre translucide. je m’en approprie un à trois euros

à gauche un vieux cadran et des cache-pots en émail

à droite des poupées ébouriffées, entières ou démembrées

à gauche un tapis turc et des revues X des années 80

à droite la sortie. la suite d'un jour sans fin

Nina RENDULIC


Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis