Duel de chiens dans nos têtes, par Sébastien Ménard

© AnCé t.

© AnCé t.

Puis c’était le temps des routes : quelqu’un commence par dire qu’il voudrait réenchanter le monde. N’importe quoi. On était d’accord pour l’aider — mais on s’y prenait comme des branques : duel de chiens dans nos têtes.

Soit on louait un van et on partait vers l’est en pleurant dans les rues des capitales. Soit on cherchait un vieux diésel et on ramassait des morceaux de notre moteur sur la route — on riait tard le soir — on s’endormait sur les sièges arrières. Soit on marchait dans la boue un automne en riant et en glissant — et on perdait nos forces de rire et de glisser dans la boue — et c’était beau comme ça — un corps qui glisse dans la boue et qui rit — et peu importe les alentours — le vaste ciel et la quête ordinaire du héros moderne. Soit on attrapait un avion et on était déjà de l’autre côté du continent — et alors on se réveillait douze heures plus tard à la fenêtre d’un appartement avec une histoire à raconter mais endormis presque nos corps épuisés rincés. Soit l’un d’entre nous disait qu’il voulait réenchanter le monde — et tous on se marrait autour. Soit on avait pris nos machines et nos corps — on filait on filait on filait — à la recherche de quelle folie de l’est déjà là dans nos mains. Soit on avait lu dans un livre qu’à l’est tout était possible — et nous étions venus vérifier avec nos yeux nos ombres. On commençait par chercher des trompettes — on n’en voyait pas une seule.

On nous avait dit que là-bas plus à l’est — il y a des histoires à débusquer dans des villages et derrière des collines. On nous avait dit qu’on pourrait écouter les bêtes rentrer le soir et tout le monde pour les attendre devant les maisons. On nous avait dit qu’alors on trouverait le sentiment de l’éternité au soleil couchant. On nous avait dit qu’il était temps — que les chiens errants de Bucarest et d’ailleurs fuyaient disparaissaient (on s’était dit qu’on chercherait leurs routes — on les suivrait comme on suit une carte). On nous avait dit qu’il fallait venir lentement et écouter les vents — sentir un feu de bois — une ville et un col.

Nous — on venait chercher autant de pistes pour nos réels que d’aventures à nous faire trembler et rire — nous — on cherchait des routes blanches et des ciels sans néons — nous venions chercher le silence qui mène à nos errances — on avait cette histoire de quête à régler — et des duels de chiens dans nos têtes.

Cobor, Roumanie,
Sébastien MÉNARD


Sébastien Ménard écrit en continu sur le site diafragm.net. Vous pouvez également le retrouver sur Twitter @SebMenard.