En entrant dans Čičov, par Sébastien Ménard
Nous avions voulu retrouver ce qui ne porte pas de nom — disons que ça ne portait pas de nom. Où plutôt — disons que nous voulions redonner un nom aux choses. Ce n’est pas que les choses ne portent pas de nom — mais plutôt que nous l’avions perdu — or — nous avions cette sorte de précipitation lente à vouloir réapprendre le nom des choses. Et alentour ce monde se vautre lamentablement.
On voulait promener nos faces vers l’est — on imaginait que la solution apparaîtrait comme apparaissent les rêves aux matins et alors on garde en bouche un goût de langue et de route — une idée de poussière et de fatigue — celle qui nous fait tenir encore.
Alors nous nous étions dirigés vers les fleuve — nous avions voulu remonter les fleuves — descendre des fleuves — chercher la source des fleuves — se mettre à l’eau dans les fleuves — cuisiner là — au bord des fleuves — écouter les rafiots — on imaginait des fêtes des lumières et ceux qui vivent là. Voilà pourquoi nous étions entrés dans Medved’ov.
Il pleuvait ce jour-là — il pleuvait une de ces petites pluies presque chaudes et légères qui tombent parfois sur les routes de l‘est — une de ces petites pluies qui suffisent pour que l’asphalte brille et que des types attendent sous un arbre en tirant une tige en fouillant des poches — il pleuvait une de ces pluies qui donnent aux pneus des vélos des bagnoles un reflet brillant — aux herbes une odeur d’herbe — aux rades des allures de cabanes l’été.
En entrant dans un shop il y avait cette profusion de petites choses — l’alignement des paquets les prix — deux frigos pour tenir assez de bières de fromages et de yaourts — une radio presque silencieuse mais pas tout à fait — une porte à droite pour aller où ?
Nous avions filé plus à l’est car c’était notre truc et car il y avait la vérité sans doute un peu plus loin. Nous avions passé Kl’účovec et les premiers bancs au bord des maisons — un homme pour porter sur son vélo et dans un sac quels trésors — un autre pour être là et regarder – en quittant la rue principale s’étirait une longue langue de bitume laque filant au sud entre les baraques et les bagnoles.
En entrant dans Čičov il y avait ces vieux bâtiments d’une autre époque et une odeur de fiente — des bêtes là sous les tôles sans doute — un camion rouge devant — du béton éventré et un panneau pour signifier quoi. On ne comprenait pas vraiment la langue d’ici mais on filait — on filait jusqu’à un magasin et son nom en grand c’était Coop — la porte s’ouvre et on s’imagine d’autres temps mais tout est faux — tout est faux car nous ne savons rien et cette histoire James Plant te le dira plus tard se déroule ici et maintenant — une femme passe qui éteint la lampe d’un réfrigérateur — des viandes sont derrière une vitre — cinq ou six personnes pour discuter à côté d’un présentoir dans leur tenue blanche et Coop en lettres vertes sur la poitrine.
Nous avons suivi les panneaux Trávnik puis Kližka Nemá — nous avons roulé sous le soleil humide et tiède des journées de petites pluies de l’est — nous avons nommé des routes et des baraques — nous avons noté la couleur des petites barrières (le vert usé — le rouge rouillé) — nous avons écouté le son d’un diésel noir et de la pierre d’un briquet — nous avons prétendu comprendre et nous nous sommes arrêtés dans un jardin pour enfants — un jardin entouré de sa clôture rouge vert jaune bleu — un jardin et ses jeux. Un homme est venu qui poussait un vélo. Son petit-fils (nous avons imaginé que c’était son petit fils) a pris le vélo et a fait un tour du parc. L’homme a poussé l’enfant sur une balançoire en bois. Un camion a hurlé d’acier et de gasoil. L’homme et l’enfant se sont parlés assis près d’une table en bois. Nous avons imaginé des mots. Derrière eux un bâtiment blanc éblouissait l’ensemble. Là un panneau indiquait le café K.K. à trois cent mètres. L’homme et l’enfant filaient. Quelques minutes s’écoulaient. Une grande berline accélérait. Un chien. Un type dans son fourgon blanc poussière. L’homme et l’enfant — à nouveau là. Et nous avons nommé en silence ce qui devait être nommé.
Il s’agit de Čičov mais ce pourrait être une autre ville — une autre ville de l’est. Il s’agit de Čičov car c’était notre route et alors nous avons cru y trouver exactement ce que nous cherchions.
Budapest,
Sébastien MÉNARD.
Sébastien Ménard écrit en continu sur le site diafragm.net. Vous pouvez également le retrouver sur Twitter @SebMenard.