Short-Cuts 1, par Nina Rendulic

Au bout de chaque semaine, ce(ux) que je retiens dans la réalité subjective du monde qui nous entoure.


Cette semaine, c’était l’anniversaire de C. Sur la table du salon, deux bouquets de fleurs coupées. L’un, roses en quatre couleurs, dans un vase en cristal épais et orné de formes qui me font penser à la décoration désuète dans la maison de mes grands-parents. L’autre, roses couleur feu et tulipes blanches dans un vase en verre fin, dont les arrondis rappellent les courbes féminines. Hier, j’ai posé les deux vases sur un linge blanc et j’ai photographié les fleurs.

"Dora et le Minotaure"

Sur l’étagère de Nana, des recueils de Sergueï Essénine (et une petite photographie de lui encadrée sur le mur. Je me souviens elle m’a dit qu’il s’était suicidé je ne comprenais pas le mot ni l’horreur derrière lui). Des livres de cuisine. Le livre tibétain sur la mort. Et l’un de Slavenka Drakulić – Peau de marbre. Je ne l’ai jamais lu. Sur la couverture, sculpture, torse d’une femme nue, de dos. Parmi les mots, une mère et une fille. Difficile.

La prose de Slavenka Drakulić semble être between, un peu comme elle, entre l’ex-Yougoslavie et le grand nord suédois. Les mots, entre la prose et l’(auto)biographie, le privé et le public, le documentaire et l’intime. Elle parle du féminisme, du communisme, de Frida Kahlo, des Balkans. Puis dans son nouveau roman, de Dora Maar – photographe surréaliste, muse de Picasso, croate par son père.

En ce moment, elle est en train de faire connaissance avec Picasso. J’hésite à aller plus loin dans les pages. La femme moderne, libre me plaît. Elle est un peu ronde, bien brune, elle a une relation particulière avec sa mère. Ça pourrait être moi. Ensuite, elle abandonnera tout. Elle s’abandonnera dans les bras d’un génie, deviendra une idole, une image, et se laissera écraser. Je n’ai pas envie d’en arriver là (dans le livre ou dans la vie ?).

"La photographie est ma vocation. Car l’appareil photographique me donne la possibilité de décider. Il m’est important d’être celle qui observe les autres, et non celle que les autres observent, tu le comprends ? La photographie me permet non seulement de voir la réalité comme je le veux, mais aussi d’en créer une nouvelle. Il m’importe de créer, papa." (ma traduction)

Christiane Taubira & Nina Violić

C.T., dernier bastion de gauche du gouvernement sous Hollande, est partie du pouvoir sur son vélo hollandais. N.V., actrice croate, a écrit sur Facebook une lettre sur la liberté, amère et sincère. C.T. a fièrement et poétiquement porté jusqu’au bout la loi sur le mariage pour tous. N.V. a dit à voix haute ce qu’un bon nombre de Croates pense de leur nouveau gouvernement : non ! Non au nouveau ministre de la culture qui relativise l’antifascisme, non au gouvernement qui mêle dangereusement l’état et l’église, non au nationalisme, au flicage, au primitivisme. Oui à la Liberté. C.T. est restée fidèle à elle-même : "parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir". Partir, plutôt que de trahir ses convictions.

Au nom du petit peuple dont la voix n’est pas toujours audible, merci à ces deux femmes de défendre, dans mes deux pays, ce qui reste de humain, de libre en nous, ce qui a trait à la résistance, ce qui a trait à des idées.

"Penser, c’est dire non" (Alain, 1924)

Les Barbie avec des formes

Jeudi matin (ou était-ce mercredi? les journées s'assemblent et se ressemblent) une bribe déjà sur France Inter, j'entends le mot Barbie. Dans le train pour Tours je lis les gros titres, Le Monde parle des Barbies, Libération parle des Barbies (samedi matin, la nouvelle, sous-titrée "Révolution", est toujours à la une de leurs top 100...), Jutarnji list parle des Barbies. Les Barbie avec des courbes, les Barbie noires, les Barbie petites, les Barbie aux cheveux courts feront désormais fureur auprès des jeunes filles rangées du monde entier, les créateurs de la belle blonde aux proportions fantasques ne s’essuieront plus des reproches sur le non-politiquement-correct, le non-conforme-à-la-réalité de leurs poupées, et les râleurs de service devront se taire face à cette « diversité » affichée.

Tout ça est très bien. Mais ne nous faisons pas d’illusion : Barbie restera pour toujours blonde et mince et disproportionnée. Les enfants ne cherchent pas la réalité, ils cherchent à en fuir.

Or moi, ce qui me gêne bien plus que les belles Barbie blondes, rêve anodin des jeunes filles aux yeux brillants, ce sont les grand-mères décolorées qui, interloquées, choquées presque, réprimandent d’une voix blasée et basse leurs petits fils : "Mais arrête de regarder ces poupées, c’est pour des filles ! Tu n’es pas une fille quand même, tu ne vas pas jouer aux poupées quand même, tu veux qu’on se moque de toi ?!" Histoire vraie, mercredi, Orléans, un magasin de jouets.

Nina RENDULIC


Nina Rendulic est née à Zagreb en 1985. Aujourd'hui elle habite à 100 km au sud-ouest de Paris. Elle aime les chats et la photographie argentique. Elle vient tout juste de terminer une thèse en linguistique française sur le discours direct et indirect, le monologue intérieur et la "mise en scène de la vie quotidienne" dans les rencontres amicales et les dîners en famille. Vous pouvez la retrouver sur son site : ... & je me dis