Banana Split, par Kenny Ozier-Lafontaine

Que ça à foutre que colorier les pierres avec mon sang ? que trébucher ? manger des beignes ? et fléchir, osciller entre la pierre et l'autre pierre ? C'est qu'on a mis le feu au lion, avec les copains,

faut marcher maintenant, marcher, marcher, marcher, suivre cette foutue lumière. J'avais dîné descroquettes pour chien, c'était hier, bu à l'écuelle du chien, et depuis l'ingestion presque accidentelle des aliments de Médor ou Truc, je marchais fort, j'avais pris des forces pour la nuit. J'avais compté, bien compté, les bananiers de la lumière, je veux dire, combien de régiments par bananier, combien de bananes par régiment, les fruits jaunes, boomerangs immobiles et mous accrochés au sucre à la lumière. Le lion cramait, ça traçait de jolies flammes, couleurs myrtilles rouges rigolotes, dans la brousse, je marchais encore, comptais de mieux en mieux, ne marchais plus, descendais, comptais les bananiers, comptais le sucre jaune. Et les nègres en chocolat m'observaient, avec mon calepin, mes notes, tranquilles, assis, dans leurs vieilles huttes de paille et de manioc, ne me quittaient plus des yeux ces enculés. Prêt à me tomber dessus, à plusieurs, pareil qu'hier, avec leurs lances leurs boutous, ça allait encore être ma fête (à tout les coups), fête aux points sutures sparadrap albuplast tulle gras arnica, tout ça tout ça. J'en voyais sourire, déjà, un ou deux, avec leurs dents toutes blanches toutes propres. Là que je leur ai dit et sans trembler, en les regardant bien pour qu'ils comprennent, au marabout, aux autres types en chocolat, qu'il allait falloir semer des yeux, des globes, des yeux, les jeter du haut de la falaise machin chouette, les catapulter dans le grand trou, à la manière des neiges les tropicales, de cendre, qui faudrait y regarder bien comme il faut, bien bien, au fond du trou, coûte que coûte, pour y voir ce qui s'y tramait, qu'il allait falloir faire vite vite, sinon on y passerait tous. Et puis je me suis réveillé, bave aux lèvres. Ça reniflait (autour de moi) drôlement l'eau de toilettes de vieilles dames, l'amidon, l'ammoniaque et l'urine.

Kenny OZIER-LAFONTAINE


Kenny OZIER-LAFONTAINE (parfois Paul Poule) est poète, plasticien, vidéaste, né pour la première fois à Fort-de- France, Martinique.
Illustration © Didier Estival