L’odeur du gasoil à la frontière syrienne (3/6), par Sébastien Ménard
3.
...Dans ce quartier de la ville on cherche le bon plan sans le trouver — il fait quarante-cinq degrés sans doute et on vient de traverser un morceau du désert — dans nos sacs il y a du sable c’est pas parce qu’on voulait l’emmener mais il s’est glissé là — sur le bitume on va d’une bagnole à une autre on voulait retrouver une grosse américaine — non en fait on voulait retrouver la grosse américaine celle qu’on avait eue à l’aller et surtout le type avec les michtos pour qu’il appuie sur l’accélérateur oui c’est ça — parce que c’était le temps de l’appuiement sur l’accélérateur justement.
Contre le trottoir il y en a une vieille c’est une américaine aussi mais le type il demande encore plus de dollars — en fait il a bien vu qu’on attendait et qu’on voulait partir le jour même et c’était pas à notre avantage.
Alors c’est à ce moment là que certains ont refait leurs poches pour effacer toute trace possible ce qui veut dire : enlever les pièces le visa sur papier libre et les prospectus écrits dans une autre langue et surtout — effacer l’autocollant sur le passeport – cacher la carte mémoire de l’appareil photo et en mettre une autre dedans.
Pour le passeport on a trouvé une bouteille d’alcool — en fait c’est un parfum on l’a acheté dans la capitale mais c’est un faux et puis l’odeur c’est pas possible de mettre ça — l’un d’entre nous dit que ça va le faire avec ça il prend un morceau de tissu il laisse le parfum s’écouler dessus et il se met à frotter doucement sur nos passeports — le petit autocollant s’enlève doucement et la colle avec – en quelques minutes on ne voit plus rien — si on fait ça c’est surtout parce qu’un type nous a dit que ça passerait pas à la frontière et qu’ils risquaient de nous recaler : nous ça nous arrangeait pas on avait un avion à prendre à Istanbul et plus assez de tune pour autre chose.
Quand on finit par trouver un type prêt à nous emmener on passe le marché et il est d’accord pour douze dollars par personne et plein Nord — avant de monter il nous demande quand même d’où on vient alors on lui dit pas — on file plein Nord donc et lui pied au plancher il parle pas il roule — on s’endort vite et il nous réveille à la station-essence avant le poste frontière c’est déjà la nuit — on boit des flottes on prépare les passeports et on s’invente une petite histoire qui ne sert à rien.
Ceux du pays ils nous laissent passer sans poser une question ils mettent un coup de tampon et puis c’est tout après on remonte dans la vieille tire et il fait vraiment chaud — le type il répète qu’il faut se presser mais nous on doit acheter un autre visa on se met dans la colonne pour les européens — c’est quasi vide et devant nous il y a trois types qui attendent avec leurs passeports — quand un type apparaît au bureau ils le donnent et ils disent qu’ils n’ont pas effacé les autocollants on leur dit qu’on l’a fait et le type derrière le bureau il appelle son chef et ils partent avec les passeports — nous on achète un visa sous les néons blancs pendant que les types tous fument des clopes et finissent des cafés — en réalité ça dure au moins trente minutes et quand on ressort il y a toujours ces grosses tires ou des 4x4 immatriculées dans le Golfe qui accélèrent vitres noires vers le Nord.
Sébastien Ménard, vendredi 18 avril 2014
Sébastien Ménard écrit en continu sur le site diafragm.net. Vous pouvez également le retrouver sur Twitter @SebMenard. Et découvrir son livre Soleil gasoil sorti chez Publie.net