Comment faire passer l'idée d'un revenu de base garanti - l'expérience finlandaise
En Finlande, près de 70 % de la population soutient le revenu de base. Et pour la première fois, plus de la moitié des parlementaires y sont également favorables. Le philosophe et coordinateur de BIEN-Finlande (l’association promouvant le revenu de base en Finlande) Otto Lehto livre son analyse et sa vision tactique du paysage entourant le revenu de base en Finlande.
Les gens ont des vues variées sur ce que devrait être une société idéale, mais ils peuvent s’accorder sur le fait qu’un revenu de base garanti est une bonne idée. La lutte pour le revenu de base devrait être tournée vers un projet politique précis et ne pas rester un idéal utopique. C’est pourquoi nous nous efforçons d’en faire une réalité. C’est tout. Nous sommes impliqués dans un projet ambitieux avec un cadre défini. Nous ne cherchons pas à trouver une panacée résolvant la faim dans le monde, les violences domestiques ou le réchauffement climatique. Tout ce que nous cherchons, c’est une masse critique de citoyens, et quelques politiciens habiles, pour aller dans le bon sens et qu’ils votent en faveur du revenu de base.
En Finlande, près de 70 % de la population soutient le revenu de base. Et pour la première fois, plus de la moitié des parlementaires y sont également favorables. Historiquement, le revenu de base est défendu en Finlande par le parti écologiste, l’alliance de gauche et le parti centriste, rejoints récemment par le Parti Pirate. Nous avons aujourd’hui des soutiens dans tous les partis politiques et parmi l’ensemble des composantes de la société. L’union nationale des étudiants Finlandais soutient officiellement un revenu de base, de même que nombre d’universitaires et de think thanks. Les post, comme les néo-keynésiens l’appellent de leurs vœux, tout comme les intellectuels de gauche. Même le banquier Björn Wahlroos est plusieurs fois intervenu dans les journaux et à la télévision en faveur du revenu de base alors qu’il est un des hommes les plus riches du pays et un défenseur du libre marché.
Nous avons besoin d’un consensus large si nous voulons voir le revenu de base devenir une réalité. Comme rapporté récemment par de nombreux médias autour du globe, une expérimentation de revenu de base sera bientôt lancée, sous le gouvernement de centre-droit mené par Juha Sipilä, premier ministre et membre du Parti du Centre. Elle doit débuter en 2017. On peut espérer que ce ne soit qu’un prélude à une expérimentation de revenu de base à l’échelle du pays tout entier.
Ce n’est pas une tare que d’être utopiste et de vouloir des solutions radicales. Mais ce n’est pas une condition nécessaire pour se lancer dans la bataille pour le revenu de base. On peut le voir autant comme un principe socialiste que comme un instrument du libre marché. Car nous reconnaissons tous la nécessité d’une solution universelle, inconditionnelle et simple. Nous n’avons pas besoin d’être d’accord sur le reste. Nous pensons que le revenu de base est essentiel car il réalise trois choses.
Il éradique l’extrême pauvreté. Il réduit la bureaucratie. Et il pose les bases d’une relation nouvelle et durable entre les états et les marchés.
Pour y arriver, nous devons nouer des alliances entre les utopistes et les pragmatiques de divers horizons. Au BIEN-Finland [1], nous sommes confrontés quotidiennement aux positions politiques et aux aspirations de nos membres. Nous célébrons notre diversité même si c’est parfois source de friction et d’animosité. Une approche unidimensionnelle du revenu de base réduirait sérieusement les perspectives de le voir se concrétiser.
Nous devrions nous inspirer des luttes sociales qui ont su nous fédérer massivement, comme le mouvement pour le droit de vote des femmes, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Le suffrage universel était alors défendu par des classes et des groupes sociaux de tous horizons. Mus par un idéal commun, paysans et ouvriers défilèrent ensemble. Les femmes furent rejointes par leurs maris. Des journaux de toutes obédiences soutinrent l’idée. Et au bout de quelques temps, s’y opposer devint mal vu. Ce n’était pas le combat des seuls marxistes, des syndicats, des sociaux-libéraux, ou encore des aristocrates ouverts aux Lumières. C’était une lutte qui concernait l’ensemble de la population. D’abord compris comme une idée marginale, le suffrage universel est devenu l’évidence. Certes, l’opposition n’a pas disparu spontanément, mais elle s’est progressivement essoufflée, jusqu’à devenir un vestige du passé, privée de réel pouvoir. Le revenu de base réussira quand il aura aussi atteint un large consensus populaire. Notre but est de faire passer de mode l’opposition au revenu de base, jusqu’à la rendre un jour presque répréhensible.
Le danger n’est pas que de « mauvaises personnes » aiment l’idée, mais plutôt que certains tentent de s’en approprier le nom pour appliquer des politiques qui lui sont contraires. Si une proposition de revenu de base ne permet pas de couvrir les besoins humains essentiels comme se nourrir, se loger et se vêtir, alors il faut dire que ce n’est pas un revenu de base. Le revenu de base ne doit pas non plus être confondu avec les aides dépendant des revenus, ou les dispositifs d’assurance-chômage qui exigent des contreparties. Nous devons être clairs là-dessus car en Finlande, nous voyons bien que la position du gouvernement oscille entre un réel revenu de base et des mesures d’austérité ou de travail contraint.
Un revenu de base universel devrait remporter l’adhésion des marxistes, des syndicalistes, des néo-libéraux, des entrepreneurs, des professeurs, des paysans, des féministes, des technophiles, des milliardaires étas-uniens comme des éleveurs de poules au Niger. L’arrivée des mouvements citoyens, l’attention médiatique accrue et la montée du débat intellectuel autour du revenu de base constituent une opportunité inédite pour notre cause.
Bien sûr, nous ne devons pas croire naïvement que l’humanité va subitement dépasser ses différences grâce à l’engouement pour le revenu de base. Ni que la manière de penser le revenu de base par la droite conduira au même résultat que par la gauche. Les mouvements en faveur du revenu de base doivent être des espaces démocratiques pour des personnes de milieux différents. Certaines sont naturellement inspirées par des visions utopiques diverses. Et potentiellement, une vision consensuelle du revenu de base peut permettre de faire vivre une plateforme de débats populaire, où des visions concurrentes de ce que devrait être une société juste peuvent se discuter avec intelligence. Afin de mettre en avant une solution commune et simple. Il faut que les gens soient en mesure de mettre leurs différences de côté — au moins pour un temps.
Dans ce mouvement qui avance, on ne peut pas savoir à l’avance qui sont nos vrais amis. Certains de nos alliés nous effraient (Il est d’ailleurs probable qu’ils nous retournent le compliment). Mais nous devons malgré tout vivre avec eux sous le même toit. Si la population est capable, dès maintenant, de se mettre d’accord sur le revenu de base, alors nous avons déjà gagné. Et que ceux qui aiment se chamailler le fassent sur d’autres sujets. Il y a largement de quoi faire !
Croyez moi ! Rongez votre frein et soyez fin stratège. Souriez à vos adversaires. Serrez la main à tous, y compris à ceux qui vous déplaisent. L’activiste souriant du revenu de base est un assassin silencieux et mortel. Si nous voulons voir grand en politique, nous devons agir furtivement. Nous n’avons pas le luxe de choisir nos alliés.
Otto Lehto
[1] Le BIEN est l’association promouvant le revenu de base en Finlande (NdT).
Otto Lehto est philosophe et militant politique. Il est le coordinateur de BIEN-Finlande.
Article original : Lessons from Finland: think BIG but act with pragmatism
Adaptation française : Maxime Vendé Revenu de base Info