Pourquoi je refuse de servir dans l’armée israélienne – Déclaration de Tair Kaminer
Mon nom est Tair Kaminer, j’ai 19 ans. Il y a quelques mois, j’ai terminé une année de bénévolat avec les Eclaireurs et Eclaireuses Israéliens dans la ville de Sdérot, à la frontière de la bande de Gaza. Dans quelques jours, je vais aller en prison.
J’ai été volontaire à Sdérot une année entière, j’y ai travaillé avec des enfants qui vivent dans une zone de guerre, et c’est là que j’ai décidé de refuser de servir dans l’armée israélienne. Mon refus vient de ma volonté d’apporter une contribution à la société dont je fais partie et d’en faire un meilleur endroit pour vivre, et de mon engagement dans la lutte pour la paix et l’égalité.
Les enfants avec lesquels j’ai travaillé ont grandi au coeur du conflit, et ont vécu des expériences traumatisantes dès leur jeune âge. Chez beaucoup d’entre eux, cela a généré une haine terrible – ce qui est tout à fait compréhensible, surtout chez des jeunes enfants. Comme eux, beaucoup d’enfants qui vivent dans la bande de Gaza et dans le reste des territoires palestiniens occupés, dans une réalité encore plus dure, apprennent à haïr l’autre côté. Eux non plus, on ne peut pas les blâmer. Quand je regarde tous ces enfants, la prochaine génération des deux côtés et la réalité dans laquelle ils vivent, je ne peux que voir la poursuite des traumatismes et de la douleur. Et je dis: Assez !
Depuis des années maintenant, il n’y a aucun horizon politique, aucun processus de paix en vue. Il n’y a pas tentative de quelque nature que ce soit d’apporter la paix à Gaza ou à Sderot. Tant que la méthode militaire violente règne, nous allons tout simplement avoir d’autres générations qui grandiront avec un héritage de haine, ce qui ne fera que rendre les choses encore pire. Nous devons arrêter ceci – maintenant !
C’est pour cela que je refuse : je ne prendrai pas une part active à l’occupation des territoires palestiniens et à l’injustice qui est infligée encore et encore au peuple palestinien dans cette situation d’occupation. Je ne prendrai pas part au cycle de la haine à Gaza et à Sdérot.
La date de mon enrôlement a été fixée au 10 Janvier 2016. Ce jour-là, je me présenterai au Centre d’incorporation deTel Hashomer, pour y déclarer mon refus de servir dans l’armée – et mon souhait de faire un service civil de remplacement.
Lors de conversations avec certaines personnes auxquelles je tiens, j’ai été accusée de porter atteinte à la démocratie en refusant de respecter les lois adoptées par un Parlement élu. Mais les Palestiniens dans les territoires occupés vivent sous la règle du gouvernement d’Israël, bien qu’ils n’aient pas eu le moindre mot à dire dans l’élection de ce gouvernement. Je crois que tant qu’Israël continuera à être un pays occupant, il continuera à s’éloigner de plus en plus de la démocratie. Par conséquent, mon refus fait partie de la lutte pour la démocratie – il n’est pas un acte anti-démocratique.
On m’a dit que je fuyais ma responsabilité dans la sécurité d’Israël. Mais, comme une femme qui considère que toutes les personnes sont égales – et que toutes leurs vies sont aussi importantes – je ne peux pas accepter que l’argument de la sécurité ne s’applique qu’aux Juifs. Surtout maintenant qu’il devient clair et évident que l’armée ne peut pas assurer une protection aux Juifs non plus, tandis que la vague de terreur continue. C’est très simple – on ne peut pas créer un îlot de sécurité au milieu d’une occupation qui opprime. La vraie sécurité ne pourra être obtenue que lorsque le peuple palestinien vivra dans la dignité et la liberté, dans son propre Etat indépendant aux côtés d’Israël.
Il y a eu ceux qui s’inquiétaient de mon avenir personnel dans un pays où il est de la plus extrême importance d’avoir fait son service militaire dans le tissu des relations sociales quotidiennes. Soucieux de mes perspectives d’avenir, ils ont suggéré que je fasse l’armée, indépendamment de mes opinions – ou au moins que je ne rende pas mon refus public. Mais à travers toutes ces difficultés et ces soucis, j’ai choisi de déclarer mon refus ouvertement, pour que tous l’entendent. Ce pays, cette société, sont trop important pour moi – je ne peux pas accepter de garder le silence et je ne le ferai pas. Ce n’est pas la façon dont j’ai été élevée – ne m’occuper que de moi-même et de mes préoccupations personnelles. La vie que j’ai eue jusqu’à présent a tourné autour du don et de la responsabilité sociale, et c’est ainsi que je veux qu’elle continue.
Même si je dois payer un prix personnel pour mon refus, ce prix en vaudra la peine si il contribue à mettre l’occupation à l’ordre du jour du discours public israélien. Beaucoup trop d’Israéliens ne ressentent pas directement l’occupation, et ils ont tendance à l’oublier dans leur vie quotidienne – vies qui sont éminemment sûres comparées à celles des Palestiniens, ou même des Israéliens qui vivent dans le Néguev occidental (zone à la frontière de Gaza).
On nous dit qu’il n’y a pas d’autre moyen que la voie militaire violente. Mais je crois que c’est le moyen le plus destructeur, et qu’il y en a d’autres. Je tiens à rappeler à tous qu’il existe une alternative:les négociations, la paix, l’optimisme, une véritable volonté de vivre dans l’égalité, la sécurité et la liberté. On nous dit que l’armée n’est pas une institution politique – mais la décision de servir dans l’armée est une décision hautement politique, tout autant que la décision de refuser.
Nous, les jeunes, devons comprendre toutes les conséquences d’un tel choix. Nous devons comprendre ses conséquences pour notre société. Après avoir mûrement réfléchi, j’ai pris la décision de refuser.Je n’ai pas peur de la prison militaire – ce qui me fait vraiment peur est que notre société perde son humanité.
"Mesarvot" ("Refusers")
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