L’Indonésie brûle depuis des mois

Les forêts d’Indonésie brûlent depuis des mois, du fait de la production d’huile de palme. La Terre y est en flammes sans qu'on n'y puisse rien. Maintenant, seule la saison des pluies pourra éteindre pareil incendie. Mais combien d'années cela sera-t-il encore possible ?

 

« Une immense étendue de la Terre est en feu. Les images évoquent l’idée qu’on peut se faire de l’enfer. L’air ambiant est devenu ocre : dans certaines villes, la visibilité a été réduite à 30 mètres. Des navires de guerre se préparent à évacuer les enfants ; certains d’entre eux sont déjà morts asphyxiés. Les espèces partent en fumée à un rythme sans précédent. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du plus grave désastre environnemental du XXIe siècle – jusqu’à présent. »

 

Imaginez.

Ce pourrait être une vie à la fin du monde : la nécessité d’apprendre à vivre dans les fumées d’une terre en flammes, dans le silence le plus complet ou dans le chaud d’une habitat bunker filtrant l’air ambiant. 
Il y aurait l’apocalypse, comme un événement parmi d’autres, parce qu’il faut bien continuer et que les horreurs ne manquent pas, ou plutôt parce que la fin n’arrive pas comme un événement mais comme une lente décrépitude. Les médias n’en diraient rien, juste un encart de ci de là, et la lassitude qui nous gagne de lire encore quelque chose à propos de l’énième catastrophe écologique qui se prétend chaque fois la plus grande.

Depuis plusieurs mois, 1.7 millions d’hectares de forêt ont brûlé en Indonésie, et cela brûle encore, un feu sans fin qui brûle toute l’île et provoque des nuages de fumées permanents. Ce ne sont plus des nuages, à dire vrai, mais le nouvel air ambiant qu’on habite avec des masques. À la fin de la COP21, les incendies qui ravagent actuellement l’Indonésie ne seront sans doute pas terminés.

« Ces feux sont un désastre écologique et climatique mondial, avec notamment la formation de nuages de fumée toxiques qui s’étendent jusqu’aux Philippines et à la Thaïlande et ont déjà entraîné des infections respiratoires chez 500 000 personnes. »(Pour Boris Patentreger, porte-parole de trois ONG qui dénoncent la situation)

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

 

La vie humaine y est très difficile, et les orangs-outans, les panthères nébuleuses, les ours malais, les gibbons, les rhinocéros et tigres de Sumatra voient leur milieu de vie partir en fumée. Le monde de milliers d’autres espèces part également dans les flammes. Ce n’est pourtant pas la première fois que des incendies ravagent l’Indonésie, c’est même plutôt courant. À la suite du précédent épisode de feux de forêts en 2007, plus de 15.000 enfants de moins de 3 ans sont morts de la pollution atmosphérique. C’est arrivé avant, mais cette fois, le passage d’un cyclone en plein coeur des incendies a attisé les flammes et les a faîtes non maitrisables. Elles brûlent sans fin.

« Les masques chirurgicaux distribués dans le pays ne suffiront pas à protéger les habitants recouverts d’un brouillard dense que le soleil ne parvient pas à percer. Les députés du Parlement du Kalimantan (la partie indonésienne de Bornéo) ont été obligés de porter des masques durant les débats. La salle est tellement enfumée qu’ils éprouvent probablement des difficultés à se reconnaître les uns les autres. »

Le plus fascinant, c’est que la naissance de ces incendies est intentionnelle. Pour cultiver l’huile de palme, se pratique avec abondance la culture sur brûlis, soit le défrichage par le feu pour : libérer de la « terre », réduire la forêt, accélérer la culture (en déplaçant par les flammes l’azote, pour « transfert de fertilité ») et laisser en jachère ensuite. La politique de la terre brûlée s’applique aussi dans l’agriculture.

 

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Le plus fascinant donc, c’est que des pratiques humaines soient capables de tant avancer à l’aveugle, peu importe si il s’agit ensuite de vivre dans la fumée des flammes. On continue, on verra bien après, peu importe les conséquences, il n’y a pas le choix, il faut toujours produire. Les commanditaires ont des noms et des exigences, Starbucks, PepsiCo, Kraft Heinz, Unilever pour l’exemple. Ils forcent des petits producteurs à brûler la terre qu’ils habitent, et le monde qui va avec. Quand cela ne suffit pas, ils le font eux-mêmes. Beaucoup d’exécutants des compagnies d’huile de palme sont responsables de nombreux incendies, sans en être inquiétés, ni s’inquiéter eux-mêmes de la fumée qu’ils répandent.

 

Le drame toutefois, dans ce cas comme dans d’autres, n’est pas l’absence d’un État qui viendrait rappeler tout un chacun à l’intérêt général et le souci du « bien commun ». L’état ne pourrait rien contre l’économie et ses exigences, sa loi du profit qui condamne à une telle dépendance qu’il faut brûler la terre pour tenir le rythme. Et c’est l’état, de toutes façons, qui affirme par la propriété privée et la souveraineté qui va avec que la terre appartient entièrement à ceux qui la possèdent, même si c’est pour la brûler. Il faudrait pourtant l’apprendre, la Terre n’est pas cette substance inerte tout juste utile à produire, où l’on peut tout faire, où l’on peut exercer sans craintes une souveraineté sans limites comme si user de la terre n’impliquait rien d’autre que la volonté de le faire. Présentement, c’est le sol lui-même qui brûle, pour montrer combien la terre n’est pas seulement quelque chose dont on dispose à l’infini. Les flammes, une fois entrée dans la tourbière, mettent la terre elle-même en flammes (via internet on peut tout au plus tenter de compter les flammes par les images satellites).

Le phénomène n’est pas isolable, il ne se réduit pas aux terres indonésiennes, la terre là-bas comme ici n’est pas plus inerte que clôturable. D’ailleurs, en brûlant, les tourbières et les forêts primaires relâchent dans l’atmosphère, outre la fumée, une quantité massive des fameux « gaz à effet de serre », plus même que dans tout les autres pays du monde. Si on tient compte de ces chiffres, l’Indonésie est le pays qui présente la plus forte intensité carbone.

 

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Certains datent l’anthropocene d’environ 1610, quand la colonisation de l’Amérique a occasionné la destruction de tout les peuples qui l’habitaient et une déforestation massive. Les incendies d’Indonésie sont une autre de ces grandes étapes de destruction massives. On verrait mal pourtant comment parler de pollution carbone, comme on parle des problèmes de pot d’échappements des voitures allemandes. Si l’on en doutait encore, le paradigme de la pollution pour approcher la catastrophe écologique actuelle a quelque chose d’absurde. Il implique de regarder la fumée, et d’oublier tout ce qui la fait naître, l’incroyable course à la production qui pousse à brûler la terre elle-même, quitte à y perdre la vue, la vie et le monde.

D’après Le Monde : 
Quelque 43 millions d’habitants vivent dans les zones touchées. Poussée par les vents, la fumée a envahi l’atmosphère de sept provinces du sud de la Thaïlande, générant, selon les autorités locales, la pire pollution depuis dix ans. Même la très touristique île de Ko Samui, dans le golfe de Thaïlande, n’a pas été épargnée. Le 22 octobre, une cinquantaine de vols ont dû être annulés dans la région, alors que la grande ruée hivernale vers les plages vient de commencer.

Peut-on espérer que la COP21 soit l’occasion d’une action face aux flammes ? Doit-on leur rappeler qu’il faudrait somme toute agir, « pour limiter la pollution carbone indonésienne » exiger un arrêt des flammes ? 
Il faut bien entendre la terre qui pourrait brûler sous nos pieds, cela doit bien dire quelque chose, quelque arrêt quelque part de la politique de la terre brûlée appliquée tant à la terre qu’à l’air ambiant, appliquée au vivant lui-même, la production demande et elle aura ta vie voudrait-on pouvoir dire.

L’état d’urgence actuel en France a nécessairement polarisé les débats autour de la COP sur d’autres questions, de fait plus brûlantes pour nous en France. Pour autant, les flammes d’Indonésie ne sont pas des questions si lointaines. Une même course nihiliste à la destruction lie le front de modernisation économique, les matraques de la police républicaine, et les troupes de Daesh.

 

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Photograph: Ardiles Rante/Greenpeace

Imaginez.
Ce pourrait être une vie à la fin du monde : la nécessité d’apprendre à tout arrêter pour vivre dans les ruines du vieux monde, dans la joie la plus complète ou dans la dureté d’une crise sans fin mais en essayant sans souveraineté d’habiter une terre et des mondes qui n’ont rien d’inertes.