Attentats : nous répondons à Michel Houellebecq

Michel Houellebecq vient de s'exprimer sur les attentats. On en attendait pas moins de lui (mais pas plus non plus). Entre vieux rockers, on va s'expliquer. Il parle, on répond. C'est un dialogue inventé (nous ne mentons pas). Les gouvernements successifs ont failli, dit-il. Certes, nous répondons. La population, elle, n'a pas failli, continue-t-il. Elle sait ce qu'elle veut : une femme d'ordre - son nom n'apparaît jamais dans la conversation, mais c'est devenu inutile - et pas de prêchi-prêcha moral sur les réfugiés et les migrants. Et nous, nous disons : mais de quelle France tu parles ? Une moitié de la France, cela ne fera jamais qu'une demi-France. 

PARIS — Au lendemain des attentats de janvier, j’ai passé deux jours, sans pouvoir décrocher, devant les chaînes info. Au lendemain des attentats du 13 novembre, c’est à peine si j’ai allumé ma télé ; je me suis contenté d’appeler les gens de ma connaissance qui habitaient dans les quartiers touchés (ce qui faisait déjà pas mal de monde). On s’habitue aux attentats.

Ndlr : peut-être aussi nous sommes-nous faits à l'idée que les chaînes d'info n'ont rien à dire que nous ne sachions (ceux qui suivaient notre page Facebook ce jour-là ont par exemple été avertis qu'il était en train de se passer quelque chose à Paris dès les premières explosions et l'arrivée d'un hélicoptère au-dessus du stade de France. Et, à l'instant où nous avons cherché à en savoir plus, arrivaient sur Twitter les nouvelles des fusillades dans le onzième. Tout cela non pour nous vanter, c'était un peu un hasard, mais pour dire. La télévision, qui n'a d'ailleurs plus d'images à montrer, est retombée plus bas que la radio qui la précédait. )

En 1986, une série d’explosions a eu lieu, à Paris, dans différents lieux publics. (C’était le Hezbollah libanais, je crois, qui en était responsable.) Il y a eu quatre ou cinq attentats, séparés par quelques jours, parfois par une semaine. J’ai un peu oublié. Mais ce dont je me souviens parfaitement c’est de l’ambiance, dans le métro, la première semaine. Le silence, à l’intérieur des rames, était total ; et les regards des passagers se croisaient, lourds de méfiance.

Ça, c’était la première semaine. Et puis, assez vite, les conversations ont repris, l’ambiance est redevenue normale. L’idée d’une explosion imminente était toujours là, dans l’esprit de tous ; mais elle était passée à l’arrière-plan. On s’habitue aux attentats.

La France tiendra. Les Français tiendront, sans même déployer un héroïsme particulier, sans même avoir besoin d’un « sursaut national ». Ils tiendront parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement, et parce qu’on s’habitue à tout. Et parce qu’aucune puissance humaine, ni même la peur, n’est aussi forte que l’habitude.

Ndlr : Bien sûr. On ne sait pas si c'est très rassurant : d'autres préféreraient sans doute expliquer la résilience d'un pays par son patriotisme, le courage de ses habitants, plus flatteurs que la simple nécessité de continuer à faire des courses. Mais nous savons gré à Michel Houellebecq d'être, dans ces circonstances comme dans toutes, aussi "basique" dans son approche de l'être humain. La France tiendra. Elle ne s'effondrera pas. Qui peut en douter ? Mais ne pourrait-on pas s'appuyer sur cette conscience de la force tranquille d'un vieux pays pour affirmer une bonne fois qu'il est tout aussi improbable que la France se transforme un jour en ce "califat" que voient approcher les prophètes d'extrême- droite - ce qui heurterait encore plus que nos habitudes ? Dire franchement que cet effondrement redouté est essentiellement un fantasme ? Qu'on joue à se faire peur ?

Keep calm and carry on. Eh bien d’accord, c’est ce qu’on va faire (même si nous sommes bien loin, hélas, d’avoir un Churchill à notre tête). Contrairement à une idée répandue les Français sont plutôt dociles, plutôt faciles à gouverner. Mais ils ne sont pas pour autant complètement idiots. Leur principal défaut résiderait plutôt dans une sorte de frivolité oublieuse qui rend nécessaire, périodiquement, de leur rafraîchir la mémoire. La situation fâcheuse dans laquelle nous nous trouvons a des responsables, des responsables politiques ; et ces responsabilités politiques il faudra bien, tôt ou tard, les examiner. Il est peu probable que l’insignifiant opportuniste qui nous tient lieu de chef de l’état ou le demeuré congénital qui fait office de premier ministre ou même les « ténors de l’opposition » (LOL) ressortent grandis de l’examen.

Ndlr : Houellebecq en arrive au grain (LOL).

Qui, exactement, a diminué les effectifs des forces de police, jusqu’à ce qu’elles soient complètement sur les nerfs, et rendues presque incapables d’accomplir leur mission ? Qui, exactement, nous a seriné au fil des années que les frontières étaient une absurdité vieillotte, signe d’un nationalisme rance et nauséabond ?

Les responsabilités, on le voit, sont largement partagées.

Ndlr : Qu'elles le soient, nul n'en doute, sinon ceux qui les exercent, et ne songent nullement à les partager. Mais qui piquait carrément dans les caisses noires de sa propre police pour améliorer son déjà bel ordinaire? Qui s'était fixé comme objectif de diminuer le nombre de fonctionnaires ? Qui n'a cessé de dire qu'il y avait trop d'État en France ? Nous dirions que tous ceux qui ont prôné le libéralisme à tout crin et le recul partout du rôle de l'état sont tout de même plus responsables que d'autres.

Quels responsables politiques ont engagé la France dans des opérations absurdes et coûteuses ayant pour principal résultat de plonger dans le chaos l’Irak, puis la Libye ? Et quels responsables politiques s’apprêtaient, il y a très peu de temps encore, à faire la même chose en Syrie ?

(Enfin j’oubliais, c’est vrai que nous ne sommes pas allés en Irak ; pas la deuxième fois. Mais il s’en est fallu de peu, et il semble bien que Dominique de Villepin restera dans l’histoire uniquement pour ça — ce qui n’est pas rien — pour avoir empêché que la France pour une fois, pour la seule et unique fois de l’histoire récente, ne participe à une opération criminelle doublée d’une connerie.)

Ndlr : Nous sommes d'accord sur tous ces points avec Michel Houellebecq et Dominique de Villepin. C'est dur de le dire. Mais c'est vrai. En cela, nous n'avons rien à voir avec les positions, par exemple, de Libération. Cela suffit-il, pour autant, à nous ranger à droite et parmi les amis des dictateurs ? Nous pensions plutôt que cela décrivait parfaitement George W. Bush, Tony Blair et José Maria Aznar. Le fait que la gauche, en France, et singulièrement les socialistes, se soit prononcée en faveur de toutes les guerres des deux dernières décennies, et semble en demander toujours plus, explique en grande partie la confusion qui règne maintenant en France. Quand on voit Libération titrer : "Faut-il armer l'Ukraine ?", impliquant naturellement que oui, avec des risques insensés, et de très minces prétextes (la Crimée ? Un scandale, vraiment ?), on est vraiment embarrassé de préférer le scepticisme de la droite souverainiste. Mais est-ce notre faute ? Non, c'est celle de la gauche qui n'est plus la gauche. Tony Blair, complètement discrédité aujourd'hui dans son pays, de gauche ? Le seul triste résultat de ces choix de matamores fut, en France, l'extension du domaine de la droite, dans lequel Houellebecq s'est senti (r)avalé. Pour la "gauche morale", ne pas soutenir toutes les aventures néo-coloniales - parce qu'il ne faut quand même pas rêver : personne n'est allé en Irak pour la beauté du geste - au nom de l'union sacrée, c'est être un des "méchants du monde", "valets des tyrans", Mélenchon ou d'extrême-droite. On croit rêver. On ne s'étonne donc pas que la réalité nous échappe.  

La conclusion qui s’impose est malheureusement sévère : nos gouvernements successifs depuis dix (vingt ? trente ?) ans ont lamentablement, systématiquement, lourdement failli dans leur mission essentielle : protéger la population placée sous leur responsabilité.

Ndlr : Un peu facile. Après un attentat, on doit pouvoir dire ça de tous les gouvernements du monde. Le lendemain du Bataclan, la secte des assassins exécutait en Syrie un otage chinois et un otage norvégien. Histoire de dire que, de toute façon, personne n'était à l'abri de ses coups.

La population, elle, n’a nullement failli. Au fond, on ne sait pas exactement ce qu’elle pense, les gouvernements successifs s’étant bien gardé d’organiser des référendums (enfin sauf un, en 2005, mais ils ont préféré ne pas tenir compte du résultat). Les sondages d’opinion, cependant, restent autorisés, et, pour ce qu’ils valent, révèlent à peu près les choses suivantes. La population française a toujours maintenu sa confiance et sa solidarité envers ses forces de police et ses armées. Elle a dans l’ensemble accueilli avec dégoût le prêchi-prêcha de la « gauche morale » (morale ?) sur l’accueil des réfugiés et des migrants. Elle n’a jamais envisagé sans suspicion les aventures militaires extérieures auxquelles nos gouvernants ont jugé bon de l’associer.

Ndlr : La population pourrait-elle faillir ? Que veut dire Houellebecq ? Si on le suit dans tout ce qu'il dit, il semble qu'elle ne puisse faillir. Elle veut la paix, l'ordre, la sécurité. Faisant partie de la population, nous désirons aussi cela. Qui veut la guerre, le chaos, l'insécurité ? Il va donc de soi que la population n'a jamais songé à demander la dissolution des forces de l'ordre. Si c'est tout ce dont nous félicite Houellebecq, c'est vraiment bien peu, et bien naturel. Pour le reste, et c'est là tout notre désaccord avec lui, il nous semble qu'elle a gravement failli (pas elle toute, mais) en un point : maintenir la cohésion et l'unité nationales, sans lesquelles la paix, l'ordre et la sécurité ne risquent pas de durer bien longtemps. La France réelle est plurielle, il faut bien se le mettre en tête. Et l'accepter si on veut construire sur une réalité plutôt que le sable de ses illusions. Elle n'a pas qu'une couleur, elle en a plusieurs. Elle n'a pas qu'une religion, elle en a plusieurs. Elle n'a pas que des croyants, elle a ses athées. Elle n'a pas que ses chasseurs, elle a ses végétariens. Et sa droite a sa gauche et inversement. Or le courant de pensée auquel Houellebecq, parmi beaucoup, fait de plus en plus irrésistiblement penser (ne serait-ce pas celui du Front National ? on le dit de manière taquine, mais ce n'est pas drôle - eux-mêmes sont trop smart pour être FN, mais trop pessimistes pour ne pas désirer un Maître) n'a jamais existé que sur la base d'une guerre civile, d'un affrontement interne au pays, voyant ses ennemis à l'intérieur (l'éternel thème de l'Anti-France, cancer à extirper). Nous les soupçonnons franchement de ne pas vouloir risquer les guerres à l'extérieur du pays pour mieux se concentrer sur l'ennemi intérieur (qu'on pense à la neutralité intelligente de Franco pendant la deuxième guerre mondiale, qui s'est bien moqué de ses patrons nazis et fascistes - mais la boutique d'abord !). Il serait bon que Houellebecq se demande - et d'autres avec - pourquoi lui, si loquace quand il le veut, n'a strictement rien à dire, depuis des lustres, à tant de ses compatriotes, d'autres origines, d'autres cultures, d'autres couleurs. Abyssal silence. Voilà où nous, nous trouvons une "faille, devenue abyssale, entre la population et ceux qui sont censés la représenter". Entre autres ses écrivains. Ceux qui ont le monopole de la parole, et ne parlent qu'entre eux. Blanche exclusivité. Michel, quel est ton message pour les autres ? Les autres français. Ceux qui découvrent ces dernières années qu'ils sont radicalement autres, sans rien pouvoir y faire. Tellement on leur dit et répète. Ceux qu'on veut à la fois assimiler et qu'on dit inassimilables. "Tu dois t'efforcer d'être comme moi. Mais c'est justement parce que tu n'es pas comme moi". Double bind 2015.

On pourrait multiplier les exemples de la faille, devenue abyssale, entre la population et ceux qui sont censés la représenter. Le discrédit qui frappe à l’heure actuelle en France l’ensemble des partis politiques n’est pas seulement massif : il est légitime. Et il me semble, il me semble bien que la seule solution qui nous reste serait de se diriger doucement vers la seule forme de démocratie réelle : j’entends, vers la démocratie directe.

Michel Houellebecq, le 19 novembre

Ndlr : Vivent les conseils ouvriers ! La Commune de Paris ! Non, ce doit être plutôt : "Vite le référendum pour la peine de mort !". Ou pour la "préférence nationale" dans le versement des allocations. Des choses comme ça. Faut pas rêver, comme chantait Patrick Juvet.