Prinzessinnen Garten, Berlin, un jardin nomade
Nous aimons tous les jardins, l'idée (au moins l'idée) des potagers, et plus encore quand ils sont en ville, en vert et contre toute la grisaille de nos vies urbaines confinées aux trottoirs. Aussi allons nous faire le tour des jardins sauvages et potagers urbains disséminés comme du pollen dans les villes par des passionnés. L'idée de nourrir véritablement une ville entière à partir de ces potagers requiert un espace peut-être trouvable dans des cités industrielles en ruine, comme Detroit, mais reste une utopie dans des capitales comme Paris, où chaque mètre carré est disputé par des intérêts contradictoires et coûte une fortune. Mais peut-être trouvera-t-on d'autres formules. L'expérience du Prinzessgarten de Berlin, installé sur une place longtemps vide et désolée, et qui a attiré des milliers de gens, est intéressante parce que conçue pour être mobile (tout pousse dans des sacs et des structures faites pour être mises à l'abri l'hiver), et donc indépendante du sol d'origine du lieu d'implantation, qui pourrait aussi bien être bétonné à la base (ou presque), ouvrant donc de nouvelles possibilités d'implantation aux potagers et jardins urbains, et organisée comme un lieu regroupant plusieurs activités (bar, restaurant utilisant les produits du jardin, boutique) pour lui donner le minimum de rentabilité que n'autorise absolument pas la seule vente de légumes, comme l'explique très bien dans cet entretien un des créateurs du jardin, Robert Shaw.
Interview de Robert Shaw
by Ellen Mey, translated by Naomi Hanada
Quel était le concept pour le jardin ?
J'ai eu l'idée de commencer un jardin quand j'étais à Cuba. Là-bas, beaucoup de gens, y compris dans les villes, font pousser leur propre nourriture. Ce qui m'intéressait au début, c'était le contraste visuel entre ville et campagne, vert et gris. Quand j'ai poussé plus loin, d'autres contrastes sont apparus, par exemple entre le socialement conscient et le purement économique. Quand j'ai vu que cette idée pouvait fonctionner de manière durable à Cuba, j'ai commencé à m'intéresser aux raisons derrière tout ça, aux motifs de ce choix, et c'est comme cela que s'est dégagé le concept derrière mon projet de jardin; Au début, c'était juste une idée avec une motivation personnelle derrière elle. Je venais de devenir père, et je me voyais pas continuer la même vie avec un enfant. Je travaillais dans le théâtre et voyageais constamment. Je voulais passer du temps avec mon enfant et avoir un projet que j'ai réellement envie de défendre. Dans mon deuxième voyage à Cuba, j'ai revu le même jardin qui m'avait plu deux ans plus tôt, et j'ai commencé à me demander s'il ne serait pas possible de faire la même chose à Berlin. Au début, j'étais naïf dans mon approche, en me disant qu'il y avait plein d'espaces vides et abandonnés dans la ville, et que les gens seraient heureux de voir quelque chose s'y passer. L'idée est devenue plus intéressante quand j'ai commencé à explorer ses possibilités dans le détail. Je me suis demandé : est-ce que je peux vraiment faire ça ? Peut-on réellement amener un jardin dans une ville ? Et peut-on réussir à en vivre, si on doit y passer tout son temps ?
Alors quel aspect est devenu le plus important, entre le plaisir personnel de créer un jardin et le côté socialement conscient, engagé, de se lancer dans une telle entreprise dans un lieu comme Berlin ?
Disons que c'est une multitude de raisons qui ont rendu le projet intéressant. La tension entre faire quelque chose de bien d'un côté et la nécessité de gagner sa vie avec a toujours été présente. La question est comment on combine les deux. Pourquoi jardiner ? Je pense que cela attire tout le monde parce que nous avons tous un lien profond avec la question de la nourriture. C'est universel.
Pouvez-vous décrire cette image? Comment imaginiez-vous le jardinage ?
Au départ, j'avais l'idée très romantique et plaisante que cela consisterait pour moi à arroser amoureusement mes radis en discutant avec des amis et des visiteurs sympathiques, qui partagent ma passion. J'avais complètement sous-estimé la montagne de travail d'organisation et de communication autour du projet d'un potager en ville.
Qu'est-il advenu de cette image romantique quand est venu le temps de penser à gagner votre vie avec le jardin ?
C'est tout un processus : pour commencer, il a d'abord fallu commencer par comprendre l'aspect financier. Je me suis toujours dit qu'il fallait en tenir compte. Évidemment, on pouvait trouver des lieux facilement. Les terrains vagues ou inoccupés ne manquent pas. Mais la réalité, c'est qu'on ne peut même pas couvrir les besoins basiques de l'existence en ville en faisant pousser des légumes. Vendre nos légumes n'aurait pas eu de sens. C'est la raison pour laquelle pratiquement tous les fermiers reçoivent une aide d'état de nos jours. J'ai donc imaginé que la seule solution était d'utiliser nos produits pour créer un restaurant, les vendre dans un café, trouver un moyen de faire venir les gens à nous. On a gardé un espace dans le jardin pour les gens qui veulent s'occuper d'un potager, nous donnons des cours de jardinage, mais ce n'est pas moi qui m'en occupe. Je n'ai même plus le temps de vraiment m'occuper des légumes. Alors, pour moi, aujourd'hui, le côté romantique du jardinage, c'est surtout arroser le jardin, pas le jardin lui-même.
Un extrait du livre sur le Prinzessinnengarten, Berlin