Les étonnants "Voyages" de Pierre Vassiliu enchantent
Si Pierre Vassiliu tient une place à part dans la chanson française, c’est qu’il est passé de la chanson grivoise, comme Ricet Barrier, à autre chose, vraiment. Pour beaucoup, on ne connait que sa moustache télévisée pour “Qui c’est celui-là”. Mais c’est passer à côté d’un parcours vraiment atypique en France, comme cet album de raretés le prouve, Vassiliu voyageur amateur de l’Afrique et des îles. Suivez le guide !
1967, Rio de Janeiro. Vêtu de blanc, Eddie Barclay cherche des artistes pour son label. Il tombe sur le trio Camara et leur chanteuse Tita Lobo, la trouve incomparable et les convie à Paris graver un disque. A St Germain des Prés, ils deviennent les branchés du moment, Pierre Barouh leur propose de sortir un 33 tours instrumental sur son label Saravah, il sera enregistré au studio Davout par Yves Chamberland, qui à son tour propose au trio de créer le premier album de bossa en français. Une bande de chanteurs et d'auteurs se monte autour du projet 'Les Masques' : Anne Vassiliu, Nicole Croisille, des membres des Swingle Singers et Pierre Vassiliu. Pierre chante à l'unisson sur trois chansons et en solo sur une, qu'il a écrite: 'Initiation' où il cherche ce qui se cache derrière les lieux communs sur le Brésil. Alors en pleine remise en question de sa carrière dans l'humour, il montre sur ce disque aux chanteurs masqués une facette authentique qui amorce le virage vers une musique personnelle.
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Sa sœur Anne présente la bande à Bernard Lubat, Bloch-Lainé, Berteaux et Claude Engel. Ce dernier sort avec Anne, ça les rapproche. C'est lui qui a l'idée d'une chanson brésilienne pour le single de 1973, 'J'ai trouvé un journal dans le hall de l'aéroport'. Le percussionniste Emmanuel 'Pinpin' Sciot en était: «Il y avait tellement d'idées et d'inspiration. La chanson passe par des phases très différentes. Le passage des chœurs, quelle galère, on manquait de pistes. Les harmonies étaient inspirées par Crosby Stills & Nash, la musique venait de Bach. Nos héros s'appelaient Maurice Ravel et Claude Debussy.»
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Premier effort après le foudroyant succès de 'Qui c'est celui-là', 'Voyage' sort en 1975. Il est rythmé par les secousses d'un train qui zigzague entre variétés, rythmes latins et jazz-funk inspiré de l'album de Herbie Hancock 'Headhunters', comme le prouve 'Pierre bats ta femme', un morceau au groove ricain, habillé de slaps de basse et de Clavinet (signé Georges Rodi) détonant un peu avec le thème du mari abandonné. Et le moins qu’on puisse dire c’est que cela groove à hauteur du modèle évoqué… Chronique de la vie ou prémonition, son couple avec Marie explose peu après, Laura est déjà dans son cœur. Il prend le large, son succès l'encombre. Mais poussé au cul par la maison Barclay, il tente de pondre un nouveau tube Brésil: 'Tais-toi', suivi de 'Qu'il est bête ce garçon', nettement plus réussi, en 1977. Laura y est présente, c'est elle qui répète la phrase-refrain. Ces singles n'auront pas de succès.
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En 1978, il a changé. Auprès de Laura, il se sent rajeuni. Presque vingt ans les séparent. Son entourage musical bouge: Denis Van Hecke, le violoncelliste avant-gardiste belge, s'impose. Suit une bande de jazzeux hétéroclites contenant un pianiste martiniquais et des proches de Gong. A leurs côtés, Pierre se lâche dans l'improvisation, la voix qui aboie, les paroles qui ne riment plus. L'album s'appelle 'Déménagements', sur la pochette on le voit avec Laura, leurs enfants respectifs et leur camion. Pas un camion pour déménager, un camion pour vivre. «On l'avait transformé en camping-car, raconte Laura. Un copain nous avait fabriqué un faux permis poids lourd. On adorait ce camion. On était toujours en voyage. La bougeotte éternelle.» Le morceau d'ouverture, 'L'oiseau', voyage sur les terres de la poésie jazz et offre un trip halluciné à l'intérieur de son moi. Mais l'album sera son chant du cygne chez Barclay. Pas assez de succès. Un point de vécu de l’époque, comme aujourd’hui les animateurs de talk-show, autrefois, les programmateurs radio des périphériques - c’était avant les radio-libres, Deezer et YouTube… faisaient la loi et ne passaient que ce qui leur semblait convenable - ou susceptible de fonctionner -, passant à l’as tout ce qui ne collait pas au moule fétide variétoche du moment. On redécouvrre seulement aujourd’hui par des flots de rééditions ce que racontaient vraiment les artistes de l’époque- et cela a une autre gueule que ce qu’on entendait en dehors de chez Blanc-Francard, Villers, Lenoir, Foulquier, Hebey et George Lang… Et Vassiliu après, Celui-là n’a jamais retouché le gros lot; ce qui l’a passablement dégoûté d’un business duquel il vivait depuis le début des années 60 et l’a incité aux voyages pour ne pas devenir dingue.
De ses amours brésiliennes à l’Afrique et aux îles, il va franchir le pas et trouver longtemps une certaine paix au Sénégal, y ouvrant même une boîte, un temps. Revenu en France, il tournera avec une troupe de musiciens et danseuses, imposant sans le savoir la World music touch en France, avant le Paris-Mégamix de la fin des 80’s… Puis, il poursuivra sa route, de petit label en parutions confidentielles avant d’être rattrapé par la maladie de Parkinson qui le mettra bas en 2004. Depuis, il nous manque. Pour son humour, son sens de la mélodie, son chant, sa bonhomie et le vent de a liberté qu’il portait avec lui. ô cong !
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Jean-Pierre Simard le 5/12/19
Pierre Vassiliu - En Voyages - Born Bad