L'AUTRE QUOTIDIEN

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Sarah Tritz avance : j’aime le rose pâle et les femmes ingrates

Vous savez que c’est ce qui se passe continuellement : on juge que c’est laid — c’est ainsi qu’on me juge depuis vingt ans. Et on a parfaitement raison, parce que c’est laid. Pour ma part, je pense que c’est beaucoup plus intéressant quand cela paraît laid, parce qu’on y voit l’élément de la lutte. (Gertrude Stein, « Comment l’écrit s’écrit » in Lectures en Amérique (1935), Paris, Christian Bourgois, Coll. Titres, 2011, p. 211.)

Vue de l’exposition J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, pensée par Sarah Tritz pour 29 artistes invité.e.s, le Crédac, 2019 © André Morin / le Crédac

Sarah Tritz imagine une exposition personnelle dans laquelle ses nouvelles productions dialoguent avec les œuvres de 29 artistes invité.e.s, - Fabienne Audéoud, Alexandra Bircken, Valérie Blass, Benjamin Bonjour, Bruno Botella, Paul Bourdoncle, Anne Bourse, Stéphanie Cherpin, Claude Chevalier, Maria Corvocane, Morgan Courtois, Liz Craft, Nicole Eisenman, Eugène Engrand, Paul Hugues, Dorothy Iannone, Ana Jotta, Anne Kawala, Maria Lassnig, Alfred Leuzinger, Stephen Maas, Monica Majoli, Camila Oliveira Fairclough, Gerald Petit, Hélène Reimann, Alberto Savinio, Philipp Schöpke, Hassan Sharif, Maxime Thieffine - au travers d’un parcours ayant pour fil conducteur le corps comme contenant, telle une boîte dont le langage serait l’un des principaux outils. L’exposition relie ce qu’il est commun de percevoir comme deux formes de plaisirs distincts, alliés et inséparables : celui proprement érotique (le glamour) et le plaisir cognitif (la grammaire).

Sarah Tritz réunit ainsi des artistes dont les œuvres nous interpellent sans pudeur avec une physicalité indéniable tels la sculpture Me Princess de Liz Craft ou encore le double autoportrait  Gehirstroeme  [Courants du cerveau] — de Maria Lassnig, qui n’aura cessé de faire d’elle-même son sujet en évitant toute complaisance. Nombre de ces artistes ose incarner des pensées névrotiques, et démontre une réciprocité entre l’attitude de l’artiste au travail et ce qu’illustrent leurs œuvres.

Vue de l’exposition J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, pensée par Sarah Tritz pour 29 artistes invité.e.s, le Crédac, 2019© André Morin / le Crédac

Pour son exposition, Sarah Tritz a choisi des œuvres d’art brut, empruntées aux collections du LaM (Lille Métropole musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut), qui donnent à voir la construction d’un cheminement mental. Ces dessins, à vertu cathartique, sont caractérisés par l’écriture, la symétrie, la clarté du contour des formes figurées. Ces motifs sont traités comme autant de données conceptuelles qui attestent de la force du langage, aussi insaisissable soit-il. Au-delà des générations et des parcours des artistes, bruts et contemporain, Sarah Tritz compose un corpus éclectique, qui apparaît comme un réseau de connivences esthétiques, sans cloisonnement.

Vue de l’exposition J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, pensée par Sarah Tritz pour 29 artistes invité.e.s, le Crédac, 2019© André Morin / le Crédac

Au fil de l’exposition, l’artiste présente en regard une série de nouvelles pièces envisagée comme une scène d’intérieur, mentale et domestique. Inspirée de la préciosité et de la fantaisie du mobilier Art déco, elle conçoit avec la complicité de savoir-faire artisanaux, un buffet aux atours anthropomorphes, dont les portes aux expressions stylisées et aux poignées en forme de vulve donnent accès à un certain théâtre intérieur.

La théâtralité — depuis longtemps présente dans le travail de Sarah Tritz — s’exprime tant avec une famille de marionnettes acéphales à fil, cousues main, qu’avec un mini peep-show ou les Theater Computer, de modestes ordinateurs bricolés articulant des claviers aux alphabets inintelligibles, à des écrans recto-verso. L’artiste représente sur leurs « fenêtres » les démons et les désirs de personnages guidés par leurs besoins primitifs, sexuels et gourmands.

Née en 1980, Sarah Tritz est artiste, enseignante à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon entre 2014 et 2019, à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris à la rentrée 2019.

À l’automne, les œuvres de Sarah Tritz seront présentes du 16 octobre 2019 au 5 janvier 2020 dans l’exposition Futur, ancien, fugitif — une scène française (cur. Franck Balland, Daria de Beauvais, Adélaïde Blanc, Claire Moulène) au Palais de Tokyo.

Vue de l’exposition J’aime le rose pâle et les femmes ingrates, pensée par Sarah Tritz pour 29 artistes invité.e.s, le Crédac, 2019 © André Morin / le Crédac

Luc Mouillé le 14//11/19

Sarah Tritz et 29 invité.e.s - J’aime le rose pâle et les femmes ingrates - 15/12/19
CREDAC Ivry - La Manufacture des Œillets - 1, place Pierre Gosnat 94200 Ivry / Seine