L'AUTRE QUOTIDIEN

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Pasolini, les ragazzi, la vie, la mort

Vrai classique de la littérature du XXe siècle, premier roman de Pier Paolo Pasolini qui y abandonne la poésie pour une prose incandescente, les Ragazzi restent un choc sur la vie du lumpen-prolétariat romain d'après-guerre. Nu comme la beauté, fort comme un éveil à la vie.

Peut-on parler de roman au sens strict ? Avec Les Ragazzi (1955) de Pier Paolo Pasolini, il s’agit en effet d’une suite de récits – chacun précédé d’un titre qui le singularise – sans un unique véritable protagoniste. Nous sommes en présence d’une pluralité de personnages dont Riccetto paraît être le plus marquant, le plus suivi, mêlé tout de même à la petite foule qui l’entoure. On peut voir dans ce choix de présentation de l’œuvre un raccord possible avec la tradition italienne de la nouvelle instaurée par Boccace. Le choix de cette forme, d’un entre-deux que l’on pourrait considérer comme « mineur », constitue déjà un choix programmatique important, partagé, en une certaine mesure, à la même époque, avec Italo Calvino.

Ragazzi di vita met en scène et ausculte un monde adolescent entièrement masculin. L’âge de ces « ragazzi », désignés par un mot générique en italien, tant il inclut de variations – entre sept et quinze ans – en fonction du sens ou de la perception contextuels, demeure, même au terme de la lecture, indéfini. Du coup, « ragazzo » n’indique pas, sinon approximativement, à quels équilibres renvoie cette désignation. Ils n’ont pas plus de prénoms que de noms, juste des surnoms qui, eux, précisent en revanche, par la langue, une assignation, une spécificité qui résume le trait essentiel par lequel ils se reconnaissent à l’intérieur de leur « être commun » : Riccetto, frisotté, Cappellone, grand chapeau, Caciotta, fromage, Ciccione, gros lard, Lupetto, louveteau, Pisciasotto, qui se pisse dessus, Roscetto, rouquin, et ainsi de suite. Cela en fait des protagonistes bien vivants, et certainement des « individuations » plutôt que des individualités.(extrait de l'introduction du traducteur Jean-Paul Manganaro)

C'est le roman de la rage pré-politique et c'est aussi dans le ton, un peu celui de nos années balbutiantes de vieillesse démocratique… La rage est là, elle ne porte pas de nom, car elle a épuisé tous les autres. Une grande baffe dans une langue savoureuse et étrange.

Jean-Pierre Simard

Pier Paolo Pasolini - Les Ragazzi - Collections Point Signature (Seuil)
traduction et préface de
Jean-Paul Manganaro

Ernest Pignon-Ernest, hommage à Pasolini sur un mur de Naples, 2015