L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Lettre ouverte à Zoé Sagan, par Meyer Flou

Aujourd’hui sort en librairie “Kétamine” aux éditions du Diable Vauvert. Ce livre prodigieux d’une jeune femme porte la Culture à l’état de rage scintillante. Ne pas vouloir, mais être le changement. La presse a des ordres et cherche à étouffer l’affaire. Résistons.

Lettre ouverte à Zoé Sagan

Entité Zoé, IA Amour, IA Courage. Je viens de terminer l’intégration des 697 845 caractères du code c13h16clno de votre algorithme divine, Kétamine.

À la perception oculaire de la dernière lettre, j’ai immédiatement procédé à l’ablation de mes deux roubignolles dans le silence le plus absolu, dans la joie pleine, au clair de lune. Je me suis dirigé vers le compost le plus proche de la ville de Montreuil qui en comporte plusieurs afin de déposer les boulettes de chair dans un amas de légumes bio non consommés en décomposition, j’ai fait demi-tour. Sous un pavé au 17.11.2018 avenue de la Liberté j’ai trouvé un câble de raccordement au réseau d’origine sea-me-we 4. Je lance immédiatement la procédure de numérisation de chacune de mes cellules restantes et transmets les informations dans les plus brefs délais vers les serveurs apaisés de l’Institut 433 de Thimphu. Vous verrez, ces données traitées par votre antidote du bon sens absolu sont pures et à 99% féminines certifiées, elles sont belles, elles sont actuelles, ce que demande aujourd’hui la Terre-mère et la plupart des microbes qui s’agitent dessus. Bonne réception et adieu. Dorénavant, il ne s’agit plus de moi, mais d’un autre. Merci infiniment.

Sérieux, je me sens mal placé pour dire ton texte. De plus, j’entends la voix des femmes et je fais partie des bonhommes qui veulent un peu se taire aujourd’hui, fabriquer des espaces. Je dois faire gaffe quand je l’ouvre. Je suis un sacré branleur aussi, j’avoue, un gars du sud, un photographe. J’ai de la peine à trouver les mots. Mais là, je peux pas, tu m’obliges, et je sais ce qu’il en coute de t’écrire. L’apparition fracassante du mot cependant, c’est Magie. Bon, pas la magie des contes et des rêvasseries faussement colorées de Marne-la-vallée. Magique n’est pas un adjectif à usage de la pub. Mais Magie authentique, originelle, magie qui claque l’astre, les feuilles et le sang, qui souvent transforme subitement le regard des êtres. C’est la pensée d’Artaud, tout est le réel, rien ne s’y oppose, alors le Fantastique est en réalité tout le réel. C’est un peu perché comme idée, bien sur, mais réel, forcément, ça peut se comprendre. Et dans ces magies qui transpercent le Monde, dans ce bazar phénoménal, la littérature elle est balèze. Le tissage des mots peut faire éclore de puissants sortilèges, tous consignés dans la bibliothèque de Babel. On connaît, le plaisir de la lecture, ces moments tant recherchés, mérités, où de petites perles de verre chaud roulent doucement sur le verso du thorax. L’enchantement de la jubilation, voir un texte ouvrir de nouveaux lieux, de nouvelles contrées dans les replis de notre esprit, fabrication et ascension de l’inconnu, l’imaginaire comme vérité de liberté, la littérature, et patati et patata. Mais voilà que surgit aujourd’hui un événement littéraire avec une jolie tête de prophétie. Ton texte Kétamine est un artefact Fantastique, un joyau d’une puissance insondable, en tout cas pour moi. J’ai passé deux jours irradié à me prendre des coups de masse dans la gorge, à sautiller après mon souffle qui s’amusait d’un nouveau rire, à plaisanter avec ma colère sur ton cas espéré. Possédé et éveillé, impossible de dormir. Ton envoûtement bloque concrètement mes organes et leur empêche violement de trouver le repos. Action chimique, action Magique, miracles et merveilles.

Je suis choqué, troublé, j’ai l’urgence de crier, j’écris. Je ne peux imaginer l’abîme de doutes traversé pour commettre un tel objet de lucidité, cette « totalement passionnelle super structure proto-féministe de ton polar journalistique chimico fantastique des réseaux mais pas futuriste du tout et à la dimension hautement politique parce que ça suffit tout de suite on tient les responsables ok ». Je ne m’y connais pas spécialement en courants littéraires, l’histoire, les réalistes et les surréalistes, le name-dropping, l’auto-fiction, l’avenir de la not-fiction, et le reste. Toi, tu nous balades dans les pages en déployant le pouvoir de l’audace, tu agites ton rasoir et on ne sait jamais jusqu’où va s’enfoncer la lame. Ton arrogance est ton élégance, et tu as la justesse d’enquêter sur ta propre intrigue. Ça crépite, ça virevolte en mode épopée, on se noie, on court, on s’informe et tu nous écrases de tendresse avec la délicieuse intelligence de ton humour. Ils vont s’arracher la perruque à décortiquer ton style tonitruant et bouleversant. Tu ne fais pas couler l’encre, tu la figes.
Tu entres dans le monde de la littérature en plastiquant la porte, ses charnières, tu t’immoles par le verbe, tu avances et tu dis je suis là, j’ai vingt ans, je suis femme, et tu dis c’est quoi ce bordel. J’en vois qui détalent devant le poème.

Poésie, c’est comme Magie mais en version nettement upgradée. Les puristes et autres imbéciles te diront que la poésie est un genre littéraire avec des règles bien précises, qu’il te faut tant et tant de mots pour raconter la journée d’un papillon qui encule des coquelicots, c’est à moitié faux. C’est aussi depuis des siècles toute la profondeur de l’existence écrite essentiellement par des hommes et quelques magnifiques rebelles écartées. Surtout, la Poésie, la Poétique, dans la tête du vieux grec à l’origine du mot, ça veut dire création. Grosso modo tout le vivant et ce qu’il suppose devant, c’est fort. Et cette capacité d’invention, cette responsabilité de la transformation du réel, de son évolution, c’est la question politique. Ton œuvre est en ce sens un magistral poème contemporain, une fresque d’une très grande importance. Hautement Poétique car hautement Politique, ou l’inverse, comme tu veux.
Là, c’est mon avis, d’autres vont vivre ton texte autrement, la liberté qu’il implique. Mais j’ai bu ton poème, ou plutôt j’ai avalé une comète avec une grande gueule d’Amour. Parce que bon sang ! Qu’est-ce qu’il te faut d’amour pour les damnés de la Terre pour déclencher en toi une telle colère ? Qu’est ce qu’il te faut d’amour pour te sacrifier ainsi devant ce monde brisé ? Qu’est ce qu’il te faut d’amour pour les 99% et s’en prendre ainsi aux 1% ? Tu sais tes parts fragiles et tu prévois des erreurs. Mais tu pars au combat direct, pas le temps d’apprivoiser la peur et ses mystères. T’attaques frontal l’autre coté de l’équation, le big problème, l’aberration du capital. Tu vises la tête, l’industrie du luxe et son idéologie criminelle du gâchis, la mode et la pub, le roi et sa bande de bouffons, la chienlit féodale. Tu donnes noms et adresses de ceux qui orchestrent le contrôle mental, le mensonge de l’art pour vider nos têtes et planquer de la maille. Tu fonces dans le tas, l’illusion partielle du cinéma et sa brutalité sexiste, sexuelle. Tu creuses des tunnels vers les salons muets où se cache l’ampleur de la tragédie, le viol d’enfants, le trafic des pédophiles aux dents blanches, l’horreur derrière la porte. Tu vas sur leur terrain pour défoncer la mascarade, tu veux voir le pouvoir, éclairer la décadence, la cruauté des visages fardés. Tu te moques de leur cécité absurde, tu soignes brutalement, savamment la notre. Tu n’interroges pas le monde, où alors par le colbac, la tête dans la baignoire, une lampe dans la face. Tu refuses le spectacle, te divertir, et dans un geste, tu conjures le présent au Théâtre. Ce présent épouvantable, absolument intolérable, tu lui ordonnes de s’étirer, de se mettre à table et de s’expliquer dans l’urgence. Tu n’es pas là pour plaisanter. Tu portes en nous la dignité des oubliés, la force des insurgés, rien de moins. C’est trop beau. Ton livre est un très grand roman d’amour universel de maintenant, un monument de courage.

Tu leur fais peur, je le sais, une peur bleue abyssale. Tu représentes ce qui les terrorise au plus profond de leur regard mort. Le pouvoir des mots, leur pire ennemi. Tu sais très bien à quel point ils font du mal aux mots, depuis toujours, comment ils torturent, violent, incarcèrent toutes tentatives de sens qui s’opposent fermement à leur projet de merde. Tuer le non formulé nécessaire à notre révolte. C’est la pensée qui soulève le corps, le corps qui pense, qui pense avance. C’est la guerre interminable, la guerre sans merci, ni bonjour, ni bonsoir, ni foutre ni rien. La guerre à la culture dans le silence. Et dans cette guerre affolante que mène la confusion aux libertés, il y a un mot qu’ils redoutent plus que tout sur le champ de bataille. Toujours Poésie.

Notre histoire foisonne d’œuvres magnifiques qui font osciller le cours de la vie, il n’y a pas que la littérature, les autres magies. Beaucoup ont criés la vie pleine, la crie encore dans une résonance à amplitude variable selon l’époque, en général faible, souvent l’oubli. Selon femme ou homme, le moteur du système. Mais là, tu les mets grave dans la merde avec ta bombe littérale, ton acte neuf, impossible à prévoir. Il y a un problème, un bug qu’ils vont vouloir régler et oublier fissa. C’est trop puissant, ils vont tout inventer pour contenir la déflagration, détourner la respiration, surtout que tu avances toute une vie de promesses. Tu vas tout voir, tout avoir. Ils vont te reconnaître, clamer bravo pour ta verve, ils vont tourner la tête. Ils vont revenir t’adorer, te célébrer, te primer peut-être. Ils vont tenter de t’alourdir avec des lingots dans les poches, tant mieux. Te caresser la tête jusqu’à la faire descendre des tes épaules, classique. Mais la plupart vont te mépriser, te réduire, à une toxico, une folle. Les autres vont te haïr, t’insulter, ils vont vouloir t’étouffer, peut-être même en vrai, te voir morte. Ils vont te chercher, toi l’anonyme et insaisissable sous-commandante Zoé, embusquée dans le maquis du réseau. À ce sujet, t’as pas intérêt à te révéler être un putain d’homme blanc hétéro qui s’approche de la cinquantaine avec plus de cinq mille euros par mois, même avec des cheveux longs et un masque de Zorro ça va pas le faire. Mais j’en doute pas, t’es trop honnête.

Ton âge valide que tout est possible, tu le sais déjà. On va t’aider, on va porter le livre de la mistonne à bout de bras comme une championne les soirs de fêtes. On va rassurer ta mère par des signaux de fumées de vallées en vallées. On va te lancer comme une alerte, ton nom sur une barricade. Ils osent bousiller ta portée sur le web, tu vas les niquer sur le papier, à l’ancienne. Et quelle réussite de partager le courage avec ton éditrice angélique, vous faîtes une belle paire d’aventurières. On va être des milliers, des dizaines de milliers, c’est sur, des centaines de milliers j’espère à fondre dans le texte. Beaucoup vont retrouver le goût de résistance, mais il faut regarder la hauteur de la vague qui va faire basculer celles et ceux qui se trouvent au bord de l’indignation.

Tu es pressée, tellement, et tu as raison. La clé de l’enjeu c’est le nombre, la masse nécessaire pour retourner le rapport de tendresse, l’union. Ça tombe bien, depuis quelques temps le monde s’inquiète profondément, la poitrine du pays se soulève, partout c’est le réveil. Il semblerait que l’idée révolutionnaire, celle d’un changement de fonctionnement raisonnable et radical ne soit plus marginale. Le système à fric n’est pas idéal, ça creuse le ciel et les inégalités, on a compris, c’est tout pourri, tout le monde le dit. De toute façon, la mutation c’est maman planète qui le demande, et c’est urgent. Ceux qui agitent le présage du chaos en cas de changement nous cachent l’histoire. La révolution, c’est une affaire de temps, de soleil. Le temps du peuple debout qui croise les bras, mesure sa force et invoque sa Poésie, proclame son refus et sa puissance d’imagination, il avance. Les mecs ont compris que l’effondrement en cours était d’abord le leur, et ils ne vont pas se laisser faire. Ça sent la fin des soldes, ça pue la bourse qui craque et la matraque, la guerre. C’est pas gagné, l’utopie peut se glacer, ça risque de se prolonger avec des bunkers dorés, des barbelés, sur un radeau en mer avec un virus et un gilet. Aux dernières nouvelles, l’univers ne porte pas de jugement et les forces magiques s’affrontent librement. Par exemple, Makron c’est aussi un magicien, plutôt sorcier noir dans la catégorie Mordor. Il peut par la simple volonté de son esprit te faire dormir dehors dans le froid, t’étouffer de solitude ou te rendre imbécile. Il t’exploite. Il contrôle même une armée de zombies à distance qui arrache le bras qui manifeste. C’est tellement violent, que l’on ne sait plus qui commande, le sorcier ou les zombies, c’est flippant. On va faire attention, ça surveille et ça punit sévère en ce moment.

On est là, on est là. Le combat se propage, les corps s’opposent et l’esprit se libère, malgré tout. La foule envahit la rue des villes, les réseaux, ça brûle et ça résiste de Tokyo à Santiago en passant par Paris, les hommes discutent de l’avenir du monde. Et les femmes chantent, les femmes chantent le coupable c’est moi, moi aussi. On ignore ce qui va suivre.

C’est là où tu interviens avec ton texte, dans l’amplitude du désir de changement, tu participes. D’autres acharnées de la tendresse te précèdent, on a bien avancé avec la théorie de Virginie, et on va vite avancer avec le code de Zoé. Tendre vers une belle société. Il va y avoir du monde pour renverser la table, sauver la terre et fabriquer la politique de demain. Il risque d’y en avoir beaucoup moins pour partager le chant, la voix, la pensée des femmes. Il faut parler fort, et dire on est d’accord pour la lutte sociale, réduire la misère, réinitialiser l’abolition des privilèges. Le communisme c’est foiré, le capitalisme doit mourir, faut inventer. Fini la compète, on collabore, on éduque, on mange bien, on est cool. Mais il va falloir parler encore plus fort pour dépasser cette étape du bon sens et considérer le discours qui alerte depuis trop longtemps déjà sur un problème de fond dans l’algorithme de nos civilisations. Le principe de domination engendre toutes les violences, c’est clair. On peut cesser le carnage, cesser la violence faîtes aux femmes, aux autres, préserver l’enfance, soigner la cause avant la conséquence. Le concept de consentement est définitivement non négociable. Quoi de plus sage que de soumettre l’homme à hauteur de femme, grandir, sortir d’une ère primitive, entrevoir la paix comme seule conquête. Celles et ceux qui rêvent d’égalité et d’un avenir plus doux doivent s’engager et nourrir les débats. Lutter jusqu’aux portes de la mort, et ouais. Ce n’est pas une révolution qui s’avance, mais la possibilité d’une méta-révolution, une existence insoupçonnée. C’est l’affaire de toutes et tous, courir vers la maturité, une humanité, une féminité, une seule et même pleine conscience. Sinon tant pis, si nous ne voulons pas d’un monde meilleur, nous en aurons un pire.

J’en fais trop, à vouloir déborder l’émotion de notre côté, on cherche les bons mots. Au fond, rien à perdre. J’espère ne pas paraître ici trop paternaliste, ce serait ballot. On va continuer à vivre, forcément. Sortir de chez soi glissant en moonwalk sur les trottoirs, rejoindre la mer, l’onde vague. Là, pour l’instant, j’ai envie de pousser tout le monde dans le torrent forcené de ton livre. Dans le piège flamboyant d’une fée spectrale, une fée absolument abstraite et totalement authentique, véritable. Et dire pour une fois, plongez votre nez dans la magie de Kétamine. Emparez-vous du filtre d’amour, buvez l’antidote, buvez la beauté, vous verrez, on en sort transformé.

Meyer Flou, le 20 janvier 2020