L'AUTRE QUOTIDIEN

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Réflexions sur les violences sexuelles dans le cinéma et la place de l'auteur, par David Fonseca

Que faire à l'heure des scandales sexuels au cinéma ? Aller à contre-pente, remonter le courant, faire un état des lieux pour espérer l'habiter autrement. Contre la possibilité du chef-d'œuvre, se débarrasser de l'idée de toute-puissance du réalisateur. Passer d'un cinéma de la création à la décréation car la création sera toujours une diminution, jamais un acte d’expansion : filmer, c'est toujours borner le champ des possibles. Un cinéaste qui voudrait tout dire, tout saisir, ne ferait plus du cinéma. Il encarterait le monde dans son tombeau publicitaire. Un film n'est jamais terminé, autrement dit réalisé. La notion d’auteur est donc à revoir. Il serait peut-être temps de dire que réaliser, c’est trouver sa richesse hors de soi.

Le cinéma à l'heure des scandales sexuels : Passer d'un cinéma de la création à la décréation

La famille cinéma, comme toutes les familles : havre de sécurité, lieu de la violence extrême. Un cercle parfois maudit où des enfants et des femmes ont été trop longtemps encerclées sur les lieux de tournage. Il fallait en sortir. Rendre les petits carnivores. Manger ses parents, légitimement, ne plus être l'enfant, Saturne le dévorant. Agressions sexuelles, viols, emprises, humiliations, racisme, abus de toutes sortes, ont ainsi réveillé la famille en bois cinéma, belle qui dormait. Un annuaire n'y suffirait plus : Bedos, Berry, Besson, Depardieu, Doillon, Garrel, Jacquot, Ruggia... Des révélations ponctuées par des prises de paroles, des petites mains aux joyaux de la couronne, paroles fortes, d'Adèle Haenel à Judith Godrèche, en passant par Anna Mouglalis, Anouk Grinberg, Isabelle Adjani... autant de mots qui ont formé un essaim, d'ici et d'ailleurs : #MeToo (sous forme de reprise), Time's Up, Balance ton porc... comme donnés naissance à des collectifs d'action en France, de l'Association Des Acteur.ices (ADA) à 50/50.

Trouble dans le genre cinéma

Mais quel est donc ce « système de silence et de complicité » qui a permis, encouragé les violences sexuelles au cinéma, qu'Adèle Haenel a voulu dénoncer, ce silence qui « joue toujours en faveur des coupables » ? Depuis la diffusion d’images montrant Gérard Depardieu – mis en examen pour « viol » et accusé par treize femmes d’agressions sexuelles – tenir des propos abjects sur une fillette de dix ans avant d’être porté aux nues par le chef de l’État et défendu par une cinquantaine d’artistes dans une tribune orchestrée par l’extrême droite, un « backlash » inattendu aurait eu lieu selon certains observateurs. Selon eux, le retour de bâton ne se serait pas cette fois abattu sur les militantes féministes mais sur leurs adversaires : plusieurs textes rassemblant, eux, des milliers de signataires, parmi lesquels de très grands noms de la culture, femmes et hommes, appelant à mettre fin à l’impunité des agresseurs dans le milieu du cinéma ; des rassemblements féministes dans plusieurs villes de France, notamment à Paris, en présence d’actrices comme Anna Mouglalis. De même, certaines figures proches de Depardieu ont brillé par leur absence, à l’image de Catherine Deneuve. À l’inverse, des comédien(nes) célèbres ont apporté leur soutien aux plaignantes, à l'instar de Daniel Auteuil. Autre signe d’une évolution : seules 56 personnalités ont signé la tribune Depardieu, loin des 700 qui avaient soutenu Roman Polanski lors de son arrestation en Suisse, en 2009. Et, chose inédite, pas moins de six contre-tribunes sont parues.

Dans le même temps, quatre années après la prise de parole d’Adèle Haenel dans les colonnes de Mediapart, une autre comédienne, célèbre aussi, Judith Godrèche, aurait éveillé encore et autrement les consciences. En évoquant publiquement « l’emprise » et la « manipulation » exercées sur elle par le réalisateur Benoît Jacquot alors qu’elle avait quatorze ans, lui quarante, mais aussi par Jacques Doillon, elle a accusé le premier de viols sur mineur de moins de quinze ans, le deuxième pour viol sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité. Une prise de parole qui avait été précédée d'une série, Icon of French Cinema, où y était évoquée la puissance de la domination masculine, sans que le nom des réalisateurs incriminés par la suite soit mentionné.

Pour certains commentateurs, on assisterait désormais à une prise de conscience nettement plus large du caractère systémique du harcèlement et des agressions sexuelles sur les plateaux de tournage. Naîtrait alors l'envie de tout remettre en cause, de s'acculer au pire. Cela traduit-il pour autant et réellement un changement dans l'accueil de cette parole ?

À l’époque, tandis qu’aux États-Unis n'était pas débattu le principe de #MeToo mais seulement de ses limites, en France, le mouvement suscitait des débats où « pour » et « contre » s’affrontent encore aujourd'hui. Le chroniqueur Éric Zemmour comparait ainsi « #BalanceTonPorc » à « Balance ton juif ». Emmanuel Macron déclarait, tout en lançant son plan de lutte contre les violences faites aux femmes, qu’il « ne veu[t] pas d’une société de la délation », tandis que son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, expliquait qu’il ne dénoncerait pas un responsable politique s’il avait connaissance de faits de harcèlement sexuel – avant de rétropédaler.

Trois mois plus tard, quand le discours aux Golden Globes de la présentatrice noire Oprah Winfrey – qui annonçait une « aube nouvelle » pour les femmes, « devenues l’Histoire » – faisait le tour des États-Unis, la France se réveillait avec la tribune « Deneuve », qui défendait une « liberté d’importuner » face au « puritanisme », et les propos choquants de deux de ses signataires (« On peut jouir lors d’un viol » (Brigitte Lahaie) ; « Mon grand regret est de n’avoir pas été violée [pour montrer que] du viol, on s’en sort » (Catherine Millet).

Deux ans après, l’actrice Adèle Haenel quittait, bien seule, la cérémonie des César pour protester contre le triomphe de Roman Polanski, accusé de viol par six adolescentes. S’ensuivit une forte polémique et une tribune de cent avocates fustigeant « le triomphe du tribunal de l’opinion publique » et l’« inquiétante présomption de culpabilité » qui pèserait sur les hommes mis en cause. La comédienne a, depuis lors, fait ses adieux au monde du cinéma qui l’a vue réussir.

En septembre 2020, lorsque le chef cuisinier japonais Taku Sekine, accusé de violences sexuelles par plusieurs femmes, met fin à ses jours, le mouvement #MeToo est à nouveau sur le banc des accusés. « Les balances ont gagné. [...] Dites-nous : combien de corps voulez-vous ? », s’indigne l’avocate Marie Burguburu dans une tribune fustigeant « le verdict qu’a rendu le mouvement de libération de la parole des femmes ».

Cinq mois plus tard, une avalanche d’affaires médiatiques (le présentateur Patrick Poivre d’Arvor, le comédien Richard Berry, le producteur Gérard Louvin, l’artiste Claude Lévêque) suscite une nouvelle tribune d’avocats dénonçant « un tribunal médiatique ». « Aux États-Unis, il y a eu réactivité ; en France, il y a eu réaction », résume alors l’historienne française Laure Murat, autrice en 2018 d’un essai sur l’après-Weinstein[i].

Selon l’historienne, l’histoire de #MeToo en France se serait d’abord faite par sa « contre-histoire » : ce sont les résistances à ce mouvement qui en auraient structuré le rythme et l’avancée, « contre la censure », « contre le lynchage », etc. Ce serait donc une contre-histoire de #MeToo qui ferait d'abord exister #MeToo en France. Pour Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques, animatrice du site collectif de critique féministe Le genre et l’écran, les résistances au mouvement #MeToo seraient encore à chercher dans le culte voué à l’artiste masculin en France. L’écosystème du cinéma français reposerait sur une structure objective de hiérarchie sociale, au sommet de laquelle producteur et réalisateur seraient en responsabilité pleine. Dans le même temps, perdurerait cette idée d’une espèce de mystique inspiratrice qui flouterait les rapports de pouvoir, donnant blanc-seing au cinéaste au nom de la possibilité du chef-d'œuvre.

Au plan économique, les résistances à #MeToo seraient également systémiques. Ce qui fait la grandeur comme l'exception culturelle française, soit son système de financement du cinéma, celui de l’avance sur recettes, prédisposerait aux abus. Un film n'y est pas financé s’il est rentable mais s’il est légitime culturellement. Articulé sur le principe de l’avance sur recettes, il n'est pas demandé le moindre remboursement en cas d'échec commercial. Dans les pays anglo-saxons, il est au contraire entendu, indique insiste Geneviève Sellier, que le cinéma est une entreprise capitaliste comme les autres, qui s'accompagne de son lot d'abus comme dans toutes les entreprises capitalistes.

De la même façon, le cinéma français est également tenu par des institutions puissantes, qui ont résisté à #MeToo, tout en ayant l’air de faire quelques concessions : la Cinémathèque française, le Festival de Cannes, l’Institut Lumière. Pour exemple, le Festival de Cannes, lors de la 76e édition, sous la houlette de son délégué général, Thierry Frémaux, en a été une nouvelle illustration. Sous le feu des critiques d’abord, le choix d’ouvrir le festival avec le film de Maïwenn Le Besco, Jeanne du Barry. La réalisatrice avait en effet pris publiquement la défense de Roman Polanski – accusé de viol par six adolescentes au fil des années – et dénigré le mouvement féministe et Adèle Haenel. Elle avait surtout choisi Johnny Depp pour interpréter Louis XV, accusé de violences conjugales par l’actrice Amber Heard, disparue depuis lors des écrans de cinéma. Victime d’une campagne mondiale de cyberharcèlement, comme l’a rapporté un documentaire de France 5, elle aurait quitté les États-Unis pour vivre discrètement en Espagne.

Un second choix a été reproché à Thierry Frémaux : celui de retenir finalement, dans la prestigieuse sélection du festival, le long-métrage de Catherine Corsini, Le Retour, connue pour ses engagements à gauche et féministes. Le film s’était pourtant vu retirer ses aides publiques accordées par le CNC, d’un montant de 680 000 euros, pour infraction à la législation sur la protection des comédiens mineurs. En cause, comme l’ont révélé Le Parisien et Télérama : la production n’avait pas déclaré à la Commission des enfants du spectacle, chargée d’étudier les demandes de tournage avec des enfants, une scène sexuelle impliquant une actrice de moins de seize ans (la séquence, tournée, avait été coupée au montage).

De plus, en novembre 2022, le parquet de Paris avait été saisi d’un signalement dénonçant des scènes sexualisées mettant en scène des adolescents. Ce signalement avait été transmis à la brigade de protection des mineurs. Par ailleurs, un signalement relatif aux conditions de travail était remonté pendant le tournage à l’instance paritaire du cinéma chargée de ces sujets, qui avait enquêté et rédigé un rapport. Enfin, le journal Libération avait révélé une plainte pour agression sexuelle émanant d’une jeune actrice, finalement remerciée par la réalisatrice, qui visait le « coach » qui la préparait au jeu.

Interrogé par la presse, Thierry Frémaux, était resté aussi droit dans ses bottes qu’Alain Juppé face au puissant mouvement social de 1995 en France. Adèle Haenel ? Elle « ne pensait pas en ces termes lorsqu’elle venait à Cannes en tant qu’actrice, tout au moins j’espère qu’elle n’y souffrait pas de dissonance. » Johnny Depp ? « Je ne connais pas l’image de Johnny Depp aux États-Unis. » Catherine Corsini ? « On est quand même entre le procès en sorcellerie et la rumeur d’Orléans. » De toute façon, avait prévenu Thierry Frémaux devant les journalistes : « Si vous pensiez vraiment que notre festival célébrait les violeurs, vous ne seriez pas aussi nombreux ici, à m’écouter et à être accrédités. »

Jusqu’à présent, le prestige et le mythe du cinéma français comme fleuron de sa culture contemporaine auraient donc réussi à colmater les brèches. Pour preuve, le renoncement au cinéma d'Adèle Haenel serait éloquent, soit l'indice que la famille cinéma aurait réussi à se protéger, notamment, considère Laure Murat, dans le cinéma d’auteur. En effet, selon l'historienne, tout comme pour la comédienne Anna Mouglalis, ce cinéma serait encore plus protégé que le cinéma grand public. Le mythe du génie solitaire, au-dessus des lois, y fonctionnerait à plein. Les pratiques de séduction/harcèlement sexuel dans les rapports entre les cinéastes et leurs actrices, comme l’épisode Jacquot l’aurait illustré, y seraient structurelles. Ce système autoriserait à exercer un pouvoir discrétionnaire et à généraliser les abus de pouvoir. Le cinéma d’auteur, qui se présenterait comme subversif, serait en fait le milieu le plus réactionnaire et le plus archaïque dans son fonctionnement. Le droit de cuissage légitimé par la puissance de l’art.

A contrario, en réponse à cet argument, l’actrice Emmanuelle Devos, questionnée dans l’émission « 28 minutes », sur Arte, avait associé le comportement de Depardieu à sa vulgarité et au cinéma grand public où les enjeux financiers sont importants, lui opposant le cinéma d’auteur, dépeint comme un lieu protégé de tels agissements où nul n'aurait l'idée de « vous coincer entre deux portes ».

Qui a raison, s'il fallait en décider ? En vérité, à bien entendre chacun, ni le cinéma d'auteur, ni le cinéma grand public ne seraient, au fond, épargnés par une logique de domination où il faudrait s'en remettre non pas aux règles du droit du travail, mais à la bienséance comme à la politesse, soit à des normes de comportements individuels régentées par une morale de la civilité. En outre, si Gérard Depardieu a profité de cette complaisance très française tandis qu’une partie des agissements étaient sous les yeux des observateurs, cela s'expliquerait encore par sa position de go-between entre cinéma d’auteur et cinéma grand public, selon Delphine Chedaleux, spécialiste des études de genre et des Cultural Studies, historienne du cinéma. D'une part, il aurait manifestement bénéficié d’une impunité artistique, car n'est pas qui voudrait « monstre sacré » prêtant son corps hors norme comme sa voix à la « grande » culture française en interprétant Barbara. D'autre part, les agressions dont il est accusé seraient associées, dans un certain nombre de discours médiatiques, à sa vulgarité toute « populaire » et aux excès qui la caractérisent.

La diffusion récente du « Complément d’enquête » sur Gérard Depardieu modifierait-elle donc la donne ? Au vrai, de manière générale, la profession est restée bien silencieuse concernant la révélation par Mediapart de treize témoignages de femmes, de gravité différente, accusant Gérard Depardieu de violences sexuelles. Dans Le Parisien, cinq réalisateurs et producteurs qui ont travaillé avec le plus célèbre acteur français ont même estimé que ces accusations et sa mise en examen pour « viols » ne changeaient pas la donne, et qu’ils tourneraient à nouveau avec lui. De surcroît, dans le cas Depardieu, si bascule il y a eu, ce serait pour s'en être pris à une jeune enfant. Le vrai scandale consisterait donc à s’attaquer aux enfants quand, à l'inverse, il y aurait toujours un doute sur le consentement des femmes, comme s'il y avait une incapacité à passer à l’âge adulte en matière d'abus et violences sexuelles. De fait, en France, les affaires les plus retentissantes ont souvent concerné des révélations concernant des accusations de pédocriminalité, telles que les révélations d’Adèle Haenel à propos de Christophe Ruggia, les livres de Vanessa Springora (Le Consentement) au sujet de Gabriel Matzneff ou de Camille Kouchner à propos de l'inceste commis par le politologue Olivier Duhamel (La Familia Grande). C’est de nouveau le cas avec le témoignage de Judith Godrèche. De surcroît, en ce qui concerne Adèle Haenel, la sociologue Laure Bereni note encore à quel point l’écho exceptionnel rencontré par la prise de parole de la comédienne était dû à des conditions sociales « improbables » : celles d’une actrice devenue plus puissante que le réalisateur qu’elle accuse – un renversement des rapports de pouvoir extrêmement rare. Mais quatre ans après sa prise de parole, force est de constater qu’Adèle Haenel a dû quitter le monde du cinéma, plus souverain qu'elle.

Il est dès lors douteux que l'affaire Depardieu puisse réellement bouleverser la famille cinéma tant les forces hostiles au changement auraient encore des réserves.

État des lieux

Question, dès lors : qu'espérer encore du cinéma quand il serait faussement avant-gardiste, considéré à tort comme précurseur de tendance, lieu de l'élaboration comme de l'expression du pire ? Pour s'en dédouaner, les accusateurs misent sur plusieurs stratégies. D'abord, certains jouent la culture de la main aux fesses, la France chiraquienne, déboutonnée, la pensée comme débauche, sorte d'ethos, le tournage comme lieu d'expression de la gauloiserie, à propos de Depardieu encore, quand les complaisants rétorquent que « Gérard fait du Gérard » (dixit son avocat), quand d'autres répondent par l'exceptionnalité du « monstre sacré » à qui il faudrait tout pardonner, et qu’en le mettant en cause, « c’est l’art que l’on attaque ». Ensuite, d'autres, joueraient la carte psychologique du syndrome Lolita de Kubrick : en un retournement spectaculaire, la faute à la jeune femme de les avoir séduits. Ainsi Benoît Jacquot s'est-il considéré d'abord et avant tout sous l'emprise de Judith Godrèche, mineure de quatorze ans. Ce sera encore Roman Polanski qui, dans le dossier de presse de J'accuse, expliquera combien il connaît les mécanismes de l'accusation pour avoir été lui-même accusé injustement par de nombreuses femmes. Enfin, en bout de parcours, évoquée par tant de commentateurs, l'omerta, le silence des familles, des producteurs – qui ont pourtant l'obligation de sécurité de cette petite ou grande entreprise - aux critiques de cinéma. Ces derniers, pour parler chapelle, ne feraient pas, au fond, de la critique. Ils se livreraient à un culte. Un travail critique sur le cinéma qui ferait défaut, ni fait par les médias, ni dans les universités, instruments par lesquels se prolongerait le culte de l’auteur en se contentant la plupart du temps de faire l’exégèse des œuvres pour, le plus souvent, montrer combien les « auteurs » choisis seraient géniaux.

Conclusion : tous plus ou moins complices. Et à force de situations qui, quoiqu'il faudrait distinguer, se répéterait, une certitude se fait : rien ne serait le produit du hasard si ces affaires ont lieu au cinéma. Entre, d’un côté, des producteurs, réalisateurs ou comédiens influents, et de l’autre, des actrices désireuses d’obtenir des rôles dans un milieu très concurrentiel, et des intermittents contraints d’atteindre leur quota d’heures, la relation serait d'abord forcément asymétrique. À ce constat universel s’ajouterait une spécificité française, liée à la fois au rapport particulier au cinéma en France, à la configuration spécifique du champ cinématographique hexagonal et à une forme d’« exception culturelle » : la sacralisation de la figure du grand réalisateur ou de l'acteur de renom.

Pour comprendre cette particularité, il faudrait encore plonger dans l’héritage du cinéma d’auteur français. « Il y a un lien étroit entre la façon dont s’est constitué le champ cinématographique en France depuis les années 1960 et le système de prédation qu’il constitue », analyse Delphine Chedaleux. La « politique des auteurs », inventée dans les années 1950 par de jeunes critiques masculins (François Truffaut, Jean-Luc Godard…) qui deviendront les réalisateurs phares de la Nouvelle Vague, auraient consacré « la puissance du réalisateur », explique l’universitaire. Finie la position prédominante des scénaristes et des techniciens, les réalisateurs auraient pris le pouvoir : la valeur d’un film ne se mesurerait plus « à sa qualité technique ou à son succès », mais « au geste artistique du réalisateur, désormais considéré comme un créateur solitaire, à la manière des peintres ou des écrivains. »

Les violences, le harcèlement ou la maltraitance seraient ainsi souvent masqués ou justifiés par la liberté artistique ou l’intérêt supérieur de l’œuvre. Sur le tournage du Dernier Tango à Paris (1972), le réalisateur Bernardo Bertolucci et l’acteur Marlon Brando avaient ainsi piégé l’actrice Maria Schneider en simulant par surprise une scène de viol avec du beurre qui a traumatisé à vie la comédienne. « Est-ce que ce n’est pas le prix à payer pour les chefs-d’œuvre ? », avait justifié en 2018 le critique de cinéma Éric Neuhoff dans l’émission « Le Masque et la Plume », sur France Inter ? Cet alibi artistique va de pair avec la prétendue « séduction à la française », une « exception culturelle » souvent brandie par les voix hostiles à #MeToo et au « puritanisme américain ». « En France, il y a les trois G : galanterie, grivoiserie, goujaterie », avait dénoncé Isabelle Adjani au moment de l’affaire Weinstein, expliquant que « glisser de l’une à l’autre jusqu’à la violence en prétextant le jeu de la séduction est une des armes de l’arsenal de défense des prédateurs et des harceleurs ». Ce mythe est autant alimenté par des critiques de cinéma comme des metteurs en scène, qui théorisent la « relation particulière » qu’ils devraient entretenir avec « leurs » comédien-nes. Ainsi, le cinéaste Philippe Garrel, dont cinq femmes ont dénoncé dans Mediapart des propositions sexuelles lors de rendez-vous pour des rôles, avait expliqué : « Comme beaucoup de réalisateurs de la Nouvelle Vague, j’aimais tourner avec la femme dont j’étais amoureux et la filmer. » Le réalisateur et producteur Luc Besson, accusé de violences sexuelles par neuf femmes, avait lui aussi insisté, lors de son audition par la police en 2018, sur la relation pleine d’« affect » avec les actrices et expliqué qu’il avait besoin d’être amoureux de ses comédien-nes pour travailler.

Sept ans plus tôt, le cinéaste Benoît Jacquot avait revendiqué, dans un documentaire réalisé par Gérard Miller (lui-même visé depuis par des accusations de violences sexuelles), cette « relation d’ordre amoureux » qui doit « nécessairement » exister avec ses comédiennes. Mais il était allé plus loin, en expliquant que « faire du cinéma » était « une sorte de couverture » pour certaines « mœurs », de la même manière qu’il existe des couvertures « pour tel ou tel trafic illicite ». Évoquant sa relation avec Judith Godrèche, il parlait alors de « transgression » et se disait bien conscient « qu’au regard de la loi », « on n’a pas le droit en principe ». « Mais ça, j’en avais rien à foutre », souriait-il, en ajoutant d’ailleurs que cette pratique suscitait, « dans le landerneau cinématographique », « une certaine estime » et « admiration ».

Le fonctionnement du cinéma français reposerait donc sur un non-dit pathogène : l’expression du génie passerait par un rapport amoureux extrêmement éphémère entre le cinéaste et ses actrices. Les exemples de Godard et Truffaut montreraient bien qu'il s'agit d'un modèle ancien, à la fois légitime et délétère, d'autant plus structurel. Le système reposerait sur la figure du Pygmalion comme un aveuglement total sur ce que cela emporterait en termes de domination masculine. Le mythe du génie servirait à masquer le fait que la domination masculine continue à s’exercer. Le cinéma serait l'un des derniers bastions où cette domination se manifeste sans être pointée du doigt, d'autant plus qu'elle y serait légitimée et même valorisée.

Effet de puissance, effet de nuisance

Que faire face à cet état des lieux ? Il faudrait d'abord répondre de l'argument du « monstre sacré », de l'exceptionnalité des lieux comme des acteurs tête de gondole qui s'y expriment, pour redire que le cinéma n'est pas le lieu de la monstruosité, où ceux qui y travaillent s'excepteraient de la condition humaine pour déroger à ses règles. Il faudrait encore répondre à ceux qui se défendent en inversant la situation bourreau/victime, qu'il y a là une manière de nier les faits, soit la réalité. Dire encore et surtout qu'il n'y a pas de hasard à cette situation, pour deux raisons. Tout d'abord, le cinéma est un agrandissement de ce que nous vivons et voyons. Ensuite, le cinéma n'est pas le lieu du divertissement. C'est un laboratoire, le lieu où s'expérimentent nos existences, ce que beaucoup de spectateurs et critiques de cinéma ont du mal à concevoir encore : tout ce qui se passe dans la société est déjà là, à l'avance, au cinéma.

Hélène Frappat, dans son ouvrage sur le « gaslighting » ou l'art de faire taire les femmes, en a fait le centre de son analyse. Le cinéma a montré très tôt, dès 1944, dans un film de Georges Cukor, qui s'intitule précisément Gaslight, comment les femmes ont été effacées de l'écran (dans le film, par un mari, qui fait passer pour folle sa femme en abaissant peu à peu la lumière de leur maison), soit la manière dont elles ont été violentées par un procédé singulier, une logique d'effacement, qui sera actualisée ensuite dans le film d'Hitchcock, Une femme disparaît. Avec le film de Georges Cukor se mettrait en place un continuum entre la violence conjugale que subit l’héroïne interprétée par Ingrid Bergman et ce qui se passe en dehors des murs, soit la guerre, la déshumanisation entraînée par le nazisme. Le film aurait donc eu la prescience de ce qui devrait être questionné aujourd'hui : le pouvoir, plus précisément, le type de pouvoir que les individus voudraient.

Dans le comportement d'humiliation à l'égard des femmes de Gérard Depardieu, décrié par de nombreuses actrices comme Anouk Grinberg, son racisme quand il singe la langue coréenne et le pays où il est invité, qui a trait avec une forme de discrimination, s'exprime en effet un rapport de pouvoir comme de classe. Prendre la défense de Gérard Depardieu comme a pu le faire Emmanuel Macron, qui, désavouant sa ministre de la culture d’alors, a dénoncé une « chasse à l’homme » et estimé que le comédien « rend[ait] fière la France », procède également d'une logique d'affichage, une manière de maquiller ce qui est en jeu, un procédé de gaslighting qui maquille un rapport de pouvoir qu'Adorno aurait qualifié d'autoritaire, visant à humilier l'autre, comme de ne pas respecter les lois en vigueur. Le gaslighting, en cette occasion, a pour but de maquiller un état d'exception en régime normal de production dans le domaine du travail au cinéma. Ce comportement ne doit pas être singularisé en raison de la personnalité, l'aura de l'acteur. Il doit conduire à s'interroger. Car si le cinéma reproduit ces comportements, c'est que par-devers lui il illustre ce que ce pouvoir fait aux individus. Le cinéma nous met en images ce phénomène devant les yeux, version panoramique. Il nous le renvoie : nous sommes face à des films et un acteur qui nous regarde. La question est de savoir ce que nous faisons de ce regard comme de cette image du pouvoir qui aurait installé un régime de regard typiquement ostracisant, le « male gaze », selon la théoricienne du cinéma Laura Mulvey.

L'autrice a proposé une vision genrée du septième art à travers le concept de « male gaze », développée dans un article devenu culte : « Plaisir visuel et cinéma narratif » (« Visual Pleasure and Narrative Cinema ») paru en 1975. Selon Laura Mulvey, « L'homme contrôle la part fantasmatique du film et apparaît ainsi comme le représentant du pouvoir. Il est le relais du regard du spectateur, assurant le transfert de celui-ci à l'écran. » Et cet objet du désir serait destiné au seul plaisir de l'homme. « Jamais contestés, les films grand public ont codé l'érotisme selon le langage de l'ordre patriarcal dominant », dénonce la théoricienne. À dessein, elle utilise donc la psychanalyse comme « arme politique », notamment les concepts de fétichisme et de voyeurisme. Pour elle, le plaisir du spectateur passerait par l'objectivation voyeuriste de la femme à l'écran. Plaisir scopique, selon le terme freudien, le « male gaze » désignerait cette pulsion sexuelle où l'individu prend plaisir à posséder l'autre par le regard (scopophilie), que le corps dénudé, selon Iris Brey, soit féminin ou masculin[ii]. Et c'est ainsi qu'il faudrait, selon la philosophe Manon Garcia, revisiter toute notre cinématographie, revoir la main de Belmondo dans la culotte de Jean Seberg, la contraignant à un rapport sexuel initialement non-consenti. À bout de souffle installerait ce climat de violence sexuelle autant que Hollywood serait responsable de ce récit imaginaire mis en place par les hommes agresseurs, violeurs, lequel romantiserait leur violence, mettrait en place un imaginaire romantique, multipliant les scènes de femmes plaquées contre un mur, non consentante[iii], finissant par se rendre à la logique du plus fort comme de son irrésistible pouvoir de séduction, à l'instar du Facteur sonne toujours deux fois version Bob Rafelson lors d'une scène entre Jessica Lange et Jack Nicholson, ou bien encore After Hours de Scorsese, dont Rosanna Arquette[iv] a dénoncé les implicites dans un documentaire récent, Brainwashed, de Nina Menkes, quand Blow Up d'Antonioni reposerait sur un viol hautement problématique.

Ce rapport de domination conduit autant à Shelley Duval, épuisée par Kubrick pour obtenir des situations d'hystérie qui ne s'en remettra jamais, ou encore à Hitchcock qui sadise ses actrices et acteurs. Des réalisateurs qui font rejouer vingt fois une scène afin que l'acteur oublie qu'il est acteur, qu'il joue pour ne plus être acteur et, au fond ne plus faire cinéma, pour de faux, comme l'actrice de Romance, de Catherine Breillat, sortira traumatisée de son tournage, pour des scènes de rapports sexuels qui n'allaient pas être simulées. Un rapport hystérique qui aurait conduit à une nouvelle forme de servage dans le cas d'Hitchcock, possédant un droit de vie et de mort sur une actrice, Tippi Hedren, pour lui avoir fait signer un contrat d'exclusivité pendant sept ans, lui conférant un pouvoir de monopole sur sa carrière. Et c'est ainsi qu'en 2017, un an avant #MeToo, elle signalera un viol dans ses mémoires. Faut-il donc souffrir pour être un bon acteur ? Ne pas faire cinéma pour faire cinéma ? Par où passe donc la limite ?

Au fond, pour en revenir à Depardieu, exemple paradigmatique, il est à la fois un symptôme, tout comme il n'est pas simplement comme acteur ce morceau de cire de Descartes, capable de se transmuer en permanence comme il serait traversé par tous les rôles qui ont été les siens. Il est traversé aussi, comme disait Flaubert, d'une dimension impersonnelle qui est celle du cinéma, de l'art. Le cinéma parle en lui. Est-ce une manière de le déresponsabiliser ? Au contraire, cela revient à en faire une grande figure de l'art, traversée comme Weinstein, ou DSK dans un autre contexte, par une forme de pouvoir qui ne serait pas juste le leur, mais la conception que nous en avons tous en tant que citoyens, qui devrait conduire chacun à s'interroger. En attendant, que va-t-il se passer ?

Il y aura bien évidemment un volet répressif, judiciaire. Mais comment s'en satisfaire quand, de manière générale, pour ne s'intéresser qu'au seul sort réservé au viol, seules 17% des plaintes finissent par une mise en accusation en France ? Reste le volet préventif, volant d'action le plus important aux regards des enjeux sociétaux.

De toutes ces affaires il en ressort surtout un rapport de domination, celui de l'abus de pouvoir du pater familias. Or, chacun y consent, le cinéma est un lieu où d'abord tout le monde se connaît. Il devient difficile de dénoncer des comportements outranciers sans ruiner sa carrière de sorte que dans les nombreux reportages faits à l'origine des révélations, ce sont le plus souvent des petites mains, maquilleuses, actrices le plus souvent sans renommée, qui ont pris la parole. Le cinéma est encore le lieu où le rapport de force est inégal entre producteur-réalisateur et intermittents du spectacle, nombreux, précaires.

Pourtant, sur le terrain du rapport de force, les choses ont un peu changé. Ainsi le CNC conditionne désormais les subventions à certaines conditions de tournage, grâce au travail d'association comme 50/50 ou l'ADA, avec la mise en place de plans de lutte contre les violences, comme la mise en place de référents harcèlements sur certains tournages, mais aussi un financement de la part du CNC conditionné par des formations sur les situations de violence (ubuesque, parfois, puisque Luc Besson, à l'époque sous enquête pour viol, assistera à ces formations). Le système comporte toutefois des limites : les enquêtes internes pour faits de harcèlement se produisent lorsque le tournage est souvent terminé, sans compter que les référents harcèlement sont internes, souvent liés à la production, sans considérer encore que la présence de ces référents, qui génèrent un surcoût, ne concernera pas encore le cinéma dit d'auteur.

Au plan préventif, ce serait bien sûr proposer d'autres récits, faire image autrement, opposer au « male gaze » un « female gaze », redresser les regards féminins, comme l'explique Iris Brey, dans son ouvrage Le regard féminin, Une révolution à l'écran. Cette théoricienne du cinéma, critique et réalisatrice d'une série diffusée sur France 2, Split, entend ainsi continuer le travail d'Alice Guy, Jane Campion, Céline Sciamma, Agnès Varda, Barbara Loden, Paul Verhoeven, Chantal Akerman, Marie-Claude Treilhou... : développer davantage une nouvelle façon d'appréhender les images, proposer un « regard féminin [qui] filme les corps comme sujets de désir », non plus comme des objets, avec ce regard qui réifie.

Dans cette perspective, est apparu un nouveau métier de cinéma : le coordinateur d'intimité. Dans un documentaire intitulé Sex is comedy, diffusé sur France Télévisions,y intervient précisément Iris Brey sur les lieux de tournage de sa série.

Ce nouveau métier existe depuis des années aux États-Unis. L'objectif de ce consulting est d'assister acteurs comme réalisateurs dans le tournage de scènes intimes et sexuelles. Ce ne sont donc pas des story tellers mais des conseillers, qui n'ont, a priori, pas vocation à modifier les projets du cinéaste comme de son équipe technique, mais « coacher » acteurs/actrices en vue de préparer lesdites scènes d'intimité comme d'être les médiateurs d'une situation conflictuelle le cas échéant. Ses détracteurs y voient une menace à l'expression de la liberté artistique made in America où tout se résumerait à un sourire sans personne derrière, selon la formule de Jean Baudrillard. Ses laudateurs l'encouragent, notamment les nombreux collectifs féministes auxquels est appariée Iris Brey, dont le documentaire se fait le porte-voix.

Clairement orienté, donc, vers la cause féministe, Sex is Comedy n'en révèle pas moins les ambiguïtés propres aux conditions de tournage quand il s'agit de penser les coins du cinéma : filmer en l'occurrence une scène de sexe. Cette difficulté est redoublée dans la série d'Iris Brey, la cinéaste souhaitant filmer une scène inédite (à la télévision) d'éjaculation féminine entre deux jeunes femmes interprétées par Alma Jodorowsky et Jehnny Beth, soit une scène de squirt. Cette scène y devient la pierre d'achoppement sur laquelle se réfracte tous les enjeux du cinéma contemporain : la place du réalisateur dans le cinéma français, la pertinence d’un certain romantisme qui le rend tout-puissant, la position symbolique des comédiennes dans notre société, et enfin le fait que le cinéma est aussi un lieu de travail, donc de lutte des genres et des classes.

A priori, la documentariste, en faisant le choix d'Iris Brey pour illustrer son propos (la nécessité de faire intervenir désormais des coordinateurs d'intimité sur les lieux de tournage), ne prenait guère de risque. Connue pour son engagement féministe, une femme tournant une scène avec deux actrices : le sentier semblait à ce point balisé que la pertinence de l'hypothèse « coordinateur d'intimité » était d'emblée invalidée, d'autant plus qu'Iris Brey coordonne elle-même théoriquement l’intimité le long du film. Pourtant, malgré lui, le documentaire finit par mettre au jour ce qu'il entendait faire disparaître, soit les rapports de pouvoir comme de domination. À force de mises au point avec les deux comédiennes comme la réalisatrice, chacun des acteurs s'enferre dans des discussions qui s'éternisent. Et bientôt Iris Brey doit elle-même réprimer son impatience, puis, n'y tenant plus, dire à la coordinatrice combien les délais comme la pression ne lui sont plus supportables : il va falloir avancer. Il lui faut décider. Trancher, c'est-à-dire souverainement, le souverain, dit un célèbre juriste nazi – Carl Schmitt – mais aussi un philosophe libéral – John Locke –, étant celui-là seul en mesure de décider de la situation exceptionnelle : filmer une scène de squirt.

Par-devers lui, ce documentaire dit donc une chose et son contraire : ce serait finalement un leurre de céder à l'époque, toute cette philosophie qui voudrait remplacer les rapports d'autorité par des relations d'échange, la décision par la négociation. La chose serait impossible. Et sans doute est-ce au cœur de cette contradiction que se logerait le risque d’abus, quand le documentaire est d'une ironie étrange : Sex is comedy est d'abord et surtout le titre d’un film de Catherine Breillat, cinéaste dénoncée par l'une de ses comédiennes précisément pour une scène de sexe avec l'acteur porno Rocco Siffredi, dans un cinéma obsédé par la question du sexe, de la honte, du sale.

Sortir du stade anthropologique de la domination

À la puissance répondre par la puissance, à la domination répondre par une contre-domination, donc ? Ce documentaire, au fond, est un opérateur métonymique, par le négatif, de ce qu'il faudrait faire, mais par le tissu noir, par ce que chacun ne veut pas voir. Il nous propose une image inversée de ce qui est comme l'est un négatif ou un miroir reflétant une image à l'envers : or, c'est à partir du négatif – photographique – que l'on va pouvoir développer une image. Ce que montre ce documentaire, in fine, est que le rapport de justice qu'il faudrait instaurer repose lui même sur un coup de force.

La vérité de ce documentaire, et peut-être du cinéma, est d'abord ce qu'il cache et non pas simplement ce qu'il montre comme le considère Hélène Frappat : ce que cache le cinéma, ce n'est pas simplement un rapport inégal de domination, mais de manière plus complexe, comme pour la personnalité autoritaire selon Adorno, que le cinéaste repose sur un mélange d'ambivalence, dont Iris Brey est la symbolisation dans le documentaire : il y aurait à la fois un désir de soumission chez lui comme de se soumettre soi-même à une certaine conception du cinéma, de la mise en scène, de l'esthétique... Le/la cinéaste serait un type singulier, une sorte de rebelle conservateur : à la fois lui faut-il composer dans un cadre contraint tout en souhaitant installer son propre univers dont il s'est fait la vérité à coups de politique des auteurs.

Si révolution il doit y avoir, elle doit alors se juger non seulement d’après la légitimité de son combat, mais aussi à partir des moyens qu’elle se donne et des voies qu’elle emprunte. Un mouvement d’émancipation qui prolongerait certains réflexes de l’ordre dominant (indifférence aux inégalités sociales et ethniques, centralité de la répression et de la punition, phénomènes d’ostracisation…) oublierait la fameuse phrase prononcée il y a bientôt un demi-siècle par la poète noire féministe et lesbienne Audre Lorde lors d’une conférence dédiée au livre fondateur de Simone de Beauvoir Le Deuxième Sexe : « On ne détruit pas la maison du maître avec les outils du maître. »

Ainsi, l'un des seuls collectifs existant aujourd'hui est le collectif 50-50. Son objectif, viser l’égalité homme-femme au cinéma, mais sans remettre en cause la liberté de création. Mais tant que le cinéma sera engoncé dans l'état d’esprit d’une liberté de création sacralisée, rien ne se produira. Car derrière ce mythe se diffuse une culture individualiste et bourgeoise de la création, qui empêche de se poser la question des représentations. Si faire remarquer que, dans le cinéma, la plupart des rôles féminins valorisés ne dépassent pas trente ans, que la plupart des rôles professionnellement intéressants sont masculins, que les « minorités » dites « visibles » y sont quasi invisibles, ce serait écorner la liberté de création, alors se pose un problème idéologique. S'il n'est pas possible de pointer les stéréotypes racialistes et sexistes qui imprègnent le cinéma de fiction, la terre ne tremblera pas. Le réalisateur est la star, un culte de l’auteur propre à la France. Sans doute n'est-il pas anodin d'y voir tourner Roman Polanski ou Woody Allen quand ils sont bannis des États-Unis.

Où se situe donc le nœud du problème ? En France, si la logique laïcarde a relégué Dieu au ban de l'intime, elle a mis en lumière le créateur : Dieu est mort, vive l'artiste ! Le cinéma sera une religion de substitution, celle du réalisateur providentiel, seul auteur de son œuvre, suffisamment doué de tact et de sagacité comme le disait Aristote de son Prudent pour s'autoriser soi de sa légitimité à dire et faire la loi, sa loi. Ainsi Benoît Jacquot a-t-il sans doute pu se sentir suffisamment protégé pour revendiquer publiquement ses relations avec des comédiennes mineures. Rien d'autre que ce que faisait Éric Rohmer quand l'un des copains de la Nouvelle Vague confiait qu’il faisait les sorties des lycées pour draguer, retranscrit dans son cinéma. Plus il vieillissait, plus ses actrices étaient jeunes. La plupart des cinéastes, à commencer par Jean-Luc Godard avec Anna Karina, auraient ainsi fantasmé sur la figure de la femme-enfant, sous couvert de culte de la beauté. Des anthropologues et éthologues répondraient que certains grands singes, comme le cerveau reptilien de l'homme, auront plutôt tendance à choisir de jeunes femmes quand a contrario lesdites jeunes se tourneraient vers le gorille de service, chacun étant le plus prompt à la perpétuation de l'espèce. La nature en cause, donc ? Trop simple : chez les chimpanzés, nulle trace de filiation fondée sur l'ascendance paternelle (patrilinéaire) mais au contraire maternelle (matrilinéaire), le rang de chacun dépendant de son lien avec la femelle dominante. La culture, dès lors, l'arrachement à la nature ?

La culture n'aide guère davantage dans notre affaire, engoncée dans des perspectives ethnologiques lointaines qui remontent au néolithique où la révolution agricole devient un moyen politique de contrôler les femmes, d'asseoir le socle de la domination masculine selon Paola Tabet. Quand les hommes s'apercevront que la procréation est la seule possibilité de surmonter la mort de l'espèce[v], ils priveront les femmes d'accès à la nourriture, les excluront de la maîtrise des outils, les assigneront à résidence, les condamnant à la reproduction forcée. Interdites de chasse, domaine réservé des hommes, elles seront confinées aux tâches domestiques. Privées de nourriture, elles deviendront plus petites que les hommes, quand elles faisaient la même taille qu'eux lorsque l'accès à la nourriture était illimité, en atteste l'évolution au sein du règne animal[vi]. Interdits et obstacles leur empêcheront la maîtrise de l'art par les outils comme l'éloignement de la hutte – elles auront les doigts coupés dans certaines tribus de Nouvelle-Papouasie quand leurs pieds seront entravés pour la marche. Voilà le moment qui fit basculer l'humanité dans des rapports de domination, son âge criminel. L'impasse métaphysique, c'est la mort. Comment la conjurer ? En contrôlant l'accès à la nourriture et les naissances. La manière d'enjamber la mort : par la conscience reproductive. En portant l'enfant dans son ventre, la femme devient l'objet de toutes les attentions comme des proscriptions : elle permet à l'homme de chevaucher la mort. De quel droit le lui refuserait-elle ? À coups d'interdits, d'une violence symbolique et physique, elle portera le fils, le nom qui continuera la lignée par laquelle les hommes s'héroïsent. S'invente la filiation patrilinéaire, l'ascendant paternel quand il n'était pas du tout évident que le sexe puisse donner naissance à des enfants. La conscience reproductive devient un instrument de pouvoir et de domination[vii]. Voilà la grande impasse. L'obstacle devient métaphysique si la seule manière d'enjamber la mort est la procréation. Le moment où l'homme sait comment contrer la mort, il la donne.

Il faudrait dès lors commencer par revisiter l'histoire des sociétés, simplement, se demander : quand ce régime de domination a-t-il débuté ? Où se trouve son point zéro ? Refaire l'éducation de chacun, fille, garçon, réviser les programmes scolaires. Dire : la révolution néolithique, ce sursaut de l'humanité, est dans le même temps le signe de sa régression. S'en dégage une règle, inscrite en filigrane dans la tradition artistique : à la femme le cercle, la ligne pour l'homme. La femme, prise dans le cercle du cycle et de sa domination : menstruel, maternel, une vie autour de la hutte. L'horizon pour l'homme, phallusien, les grands panoramas qui ouvrent son champ d'action pour un homme qui va toujours droit, loin de la hutte, chasse, fabrique des armes qu'il lance pour bientôt gagner les cieux jusqu'à faire croire qu'il soit seul capable de les atteindre en organisant les rites à vocation religieuse, dont sont exclus les femmes : elles mettent bas, elles seront privées du très-haut comme de l'accès au paradis, plus tard, dans les religions monothéistes.

Par ricochet, la tradition française cinématographique en fera sa culture, s'arc-boute sur la masculinisation du génie, qui remonte au XVIIe siècle[viii]. Elle s’accentue avec le romantisme, ce génie solitaire dans sa tour d’ivoire ou face à cette mer de nuages qui a forgé le modèle français de l’artiste, repris en chœur par les cinéastes de la Nouvelle Vague. Voici ce qu'il faudrait questionner, cette transposition faite au cinéma à partir de considérations sur la littérature quand un film est une œuvre forcément collective, contrairement à un livre (quoi que : l'auteur de littérature pense-t-il à partir de nulle part, soit le point zéro de son génie créateur ?).

Cette notion romantique du génie solitaire a un poids considérable. Elle s'articule sur la logique des grands récits, du grand récit par excellence, celui de vouloir conjurer la fin de l'espèce. Si l'on prend au sérieux le fait têtu que nous sommes des êtres pour la mort (Heidegger), définis par cette seule condition, cela induit un rapport au temps de type schizophrénique. Nous sommes là, ici et maintenant, dans cette vie, affairés avant d'être énucléé de tout ce qui nous importait : si nous pensons la fin – la mort –, le risque est la folie. Les grands récits ont alors pour vocation de nous rassurer, pour nous accompagner au mieux vers la mort qui nous attend, soit en nous en détournant, version pascalienne du divertissement, soit pour donner du sens à une existence dont on sait qu'elle est vouée à l'extinction. Donner du sens, donc, à l'échelle individuelle, mais aussi créer des communautés de sens, depuis la famille jusqu'à la nation ou chacun se met en récit pour se raconter à soi comme aux autres. Il nous a toujours fallu des récits de donation et de dotation de sens, dont le cinéma serait l'un des pourvoyeurs. Cette nécessité d'avoir des raisons d'adhésion. La question est de savoir quel récit nous voulons dans notre rapport à l'autre ? Le problème de l'auteur à prétention géniale est que ce grand récit est lui-même entée sur un récit pré-moderne, celui de l'occident chrétien, soit d'une providence à l’œuvre, dont la seule présence justifierait tout, le bien comme le mal.

Ce providentialisme est redoutablement efficace, comme au cinéma, puisque tout événement se justifie, économique, social, politique jusqu'au sort des individus. Cette faculté qu'a Dieu de prévoir l'avenir, de vouloir l'avenir, met en place une théodicée, soit la justice de Dieu, cette manière de tout justifier par la bénévolence, sa seule volonté : si le sens nous échappe, Dieu en est le gardien. Dieu devient cette espèce de grand ordinateur façon Leibniz au 17e siècle : quand Dieu calcule, le monde advient, Dieu calculant à l'instant T une multitude de mondes possibles dont il choisit l'optimum, le meilleur des mondes possibles. Si une certaine modernité, sous le coup des révolutions, en est sortie, le cinéma en demeure empreint dans sa conception de l'artiste.

Il serait temps de faire l'histoire et non plus être fait par l'histoire. Dénoncer ce système, mais non pas simplement en étant du bon côté, c'est-à-dire évidemment des victimes : n'être que cela, c'est écrire l'histoire dont ceux qui en profitent ont besoin. Être solidaire des victimes d'un système comme système, c'est le justifier en tant que système en s'en exceptant. C'est un confort dont on ne peut s'assurer.

D'un cinéma de la création à la décréation

Il serait temps d'en sortir. Mais pour le faire, encore faudrait-il qu'à l'échelle collective nul ne s'excipe. Car il y a un impensé majeur dans toute la littérature sur le sujet : celui de la place du spectateur, vous, moi, soit notre part de responsabilité. Il faudrait donc élargir le cercle de la famille cinéma. Rappeler d'abord que #MeToo n'est pas une initiative intellectuelle née au cinéma. #MeToo vient de la rue, d'une travailleuse social afro-américaine, Tarana Burke, d'un quartier de New York qui, à force d'entendre les mêmes récits de violences faites aux femmes noires (les « minorités visibles » dit la langue policée jusqu'à effacer toute forme de singularité) décide un jour d'écrire : Me Too. Ensuite, dire combien cet attrait pour le réalisateur star est hautement problématique et fait autant signe, au plan anthropologique, vers une certaine conception de la politique qui nous engage tous, cette pente chez les individus que La Boétie avait si bien désignée, ce goût immodéré pour la servitude volontaire. Ce désir profond, rassurant, enfantin, de se placer sous l'autorité d'un seul, sans y être contraint par une force majeure, mais parce qu'il y aurait de la fascination, « et pour ainsi dire, fascinés par le seul nom d'un ». À ne pas l'admettre, ce sera demeurer dans le cercle de la domination. Ce sera, comme pour la logique néo-libérale, s'efforcer simplement d'intervenir à la marge, réguler le système, au mieux le normer, sans jamais en changer.

Il faudrait peut-être en revenir à une autre conception du cinéma, si l'on espère encore qu'il soit un « art subversif » (Amos Vogel), à tout le moins, le lieu d'une expérience où se réinventeraient les rapports entre chacun de ses acteurs. Pour emprunter une autre voie, s'il fallait encore, pour Sigfried Kracauer, le cinéma aurait une qualité particulière. Il serait en avance sur son temps. Prophétique, annonciateur du pire comme porteur de la petite lumière. Mais pour être annonciateur, Sigfried Kracauer, ce démasqueur, comme le prénommait Walter Benjamin, a pensé le cinéma autrement que dans le registre de celui de la politique des auteurs. Le cinéma serait un art collectif qui, engageant toute une équipe technique autour du réalisateur, donnerait à voir sur l'écran une mentalité, un mouvement collectif. C'est ainsi que dans l'un de ses ouvrages majeurs, De Caligari à Hitler, il voit dans de nombreuses œuvres du premier quart du 20e siècle, Le Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene, Metropolis/M. le Maudit/Docteur Mabuse de Fritz Lang, Nosferatu de Murnau, des personnages hypnotiseurs face auxquels une masse est agrégée où les individus, en tant qu'individu, n'existent plus et n'expriment plus simplement que le désir d'un assujettissement par un homme autoritaire. Soit le cinéma comme art oraculaire, décelant dans le présent les signes à venir du nazisme.

Godard, parmi bien d'autres, mis en accusation – mais comme il faudrait chacun se questionner – apporte un autre élément de réponse : l'image ne peut advenir qu'à partir d'une autre image, et à l'infini. C’est bien d’un autre type de cinéma dont parle Godard : celui de son manque à être, sa faiblesse originelle, son incomplétude, son incapacité à se sentir plein et entier. Autrement dit, réalisé. La notion d’auteur est peut-être à revoir. En paraphrasant Alain, il serait peut-être temps de dire que réaliser, c’est trouver sa richesse hors de soi[ix]. Le cinéma maniériste en atteste : quand François Truffaut aurait proposé de véritables sujets sans véritable mise en scène, certains de ses meilleurs films épigones les auraient revisités, forme nouvelle à l'appui, de Fight Club de Fincher en passant par le récent Challengers de Luca Guadagnino pour Jules et Jim à Kill Bill de Tarantino pour La mariée était en noir. Et c'est peut-être tout le cinéma qu'il faudrait revisiter de ce point de vue maniériste, chez les classiques Sirk, Powell, Hitchcock, Peckinpah... les contemporains Jarmusch, Lynch, Monteiro, De Palma, Argento, Almodovar, Greenaway..., comme les genres de la comédie musicale, le western, le giallo, le policier... (Du maniérisme au cinéma, (ss. dir.) de Véronique Campan et Gilles Menegaldo, PUR, La Licorne, 2003, 292 p.) pour montrer combien chacun pratique l'anamorphose, la citation, la reprise autant que le cinéma serait maniériste dans son ensemble pour se consacrer à ses propres formes, lorsqu'il travaille à leur célébration comme leur arrangement, en témoignent les différentes versions d'un film proposées lors de ressortie en salles, en DVD, Apocalypse Now de Coppola en tête d'affiche : les cinéastes ne créeraient pas, ils décréeraient en permanence, ce qu'il faudrait encore expliciter.

Le philosophe Henri Gouhier le théorisait pour le théâtre, auquel il faudrait emprunter en élargissant ses vues : une œuvre d’art (hors la sculpture/la peinture, disait-il, sur quoi il faudrait encore répondre) est toujours constituée de deux moments. Le premier, celui de l’écriture, qui appartient à l’artiste, fait surgir l’œuvre du néant – et encore, le cubisme et autres avatars comme éclairs de génie ne consistent qu'en des reprises, des phénomènes de cristallisation qui passe par l'imitation, la reproduction, jusqu'à la recréation. Le second, celui de sa lecture, qui appartient à tout le monde, l’empêche d’y retourner. En clair, une œuvre d’art – plus modestement un film – n’est constituée que si ces deux moments sont réunis. Et, comme un monde en suspens, de la salle à l’écran, tout le monde a compris l’enjeu : chacun s’espère, acteurs du film, spectateurs. Pourquoi ? D'abord, parce que le film n’est pas donné ab initio. Ensuite, parce qu'il met en jeu un cogito plural pour que se construise à quatre mains comme en autant de paires d'yeux sa propre réalité. Ainsi nous regardons ces films. Nous attendons qu’ils parlent. Nous nous émerveillons même des réponses qu’ils apportent parfois. Sans nous douter que de proche en proche ceux qui sont derrière la caméra attendent aussi de nos nouvelles. Car réaliser est un acte solitaire répété d’une même voix souterraine. Un répons de fous ardents. Pour le comprendre, la pellicule et le grain ne suffisent plus, fussent-ils numérisés. Il faut aussi des yeux, les leurs, les nôtres, sorte de devins pour examiner nos entrailles de victimes, en sortir tous les présages pour dériver nos corps arables d’un lieu à l’autre, dans l’espoir que se produise cette improbable rencontre autour de laquelle se noue l’intrigue du film. Un drame qui se joue toujours en deux temps.

C'est une autre conception de l'individu qui se délivrerait alors à travers cette façon de faire cinéma. Dans un univers où l’homme n’est plus soumis à une quelconque autorité extérieure, pour devenir l’auteur de ses actes et de ses représentations mentales, de ses règles et de ses principes, l’autonomie est devenue une référence cardinale. Elle est l’expression nécessaire d’une modernité voulue et assumée. L’homme est enfin lavé de ses scories, en charge de son propre avenir. Mais le processus qui emprunte les formes du narcissisme hédoniste et du pur souci de soi mènent inexorablement à la destruction de soi. La maîtrise et la toute puissance en sont les ressorts. Au contraire, le visage de l’individu qui pourrait prendre forme et sens sur la pellicule rappelle que cette modernité n’a pas vu seulement l’émergence d’une figure unique de la subjectivité. À la toute puissance du solipsisme répond point par point la faiblesse d’une conscience qui a compris qu’elle n’existe que parmi d’autres hommes. Le cinéma est aussi une épreuve de l’intersubjectivité. C’est la part manquante de chacun qui permet de travailler par abstraction et l’espace et le temps. Et si l’on doit sortir réjoui d'une salle, c’est pour avoir compris que la vie est ailleurs, c’est-à-dire toujours loin de nous, de l’idée qu’on se fait de la perfection et de la toute puissance. Regardons bien : l’harmonie est nécessairement dissymétrique, sauf à s'en remettre à la logique des fractales, préférer l'auto-similarité à la possibilité des rencontres anfractueuses comme dans Gerry, de Gus Van Sant. Ce météore filme l'amitié entre deux types perdus dans le désert – le désert comme retour impossible à une forme de pureté du cinéma des premiers temps, une quête rédemptrice, mais un désert pour nous inviter aussi à rejoindre la marche des amis –, deux individus perdus dans la limpidité de la lumière comme de la musique fluide de Beethoven et Arvo Pärt, un film qui propose un sens sans jamais l'imposer, pour faire du cinéma une cité perdue comme une terre d'exil. Gerry, ou la reprise du thème de personnages en quête d'auteur pirandellien, repris au cinéma par Antonioni, qui filmait déjà la disparition de personnages dans L'Avventura comme Blow Up, pour faire un cinéma de l'enfouissement de toute forme de réalité objectivée tout comme il n'y aura plus de point de vue humain derrière la caméra dans 2001, l'odyssée de l'espace de Kubrick : le point de vue d'une personne qui serait personne, un extra-terrestre.

Le film espère aussi sa rencontre du troisième type comme les deux amis dans Gerry, son spectateur. L’œuvre d’art, quelle que soit son support, est un jeu qui ne s’accomplit que dans l’accueil que lui réserve justement le spectateur. Alors n’allons pas trop vite en besogne. Ce n’est que dans l’épreuve de la réception que le film se fait. Avant il ne s’agit que d’images mises en boîte, de couleurs imprimées sur la pellicule, d’une bande-son gravée sur différentes pistes. On ne peut pas encore appeler cela un film, parce que le film, comme objet, est lui aussi l’enjeu d’une communication. Comme l’écrit Barthes, il y a un donateur du récit, un destinataire du récit[x]. En art, comme en amour, il faut cesser de croire à l’expression de l’unilatéralité. Il faut redonner à chacun sa chance : aux êtres de se rencontrer, au film d’exister.

Qu’attend donc de nous le film ? Simplement qu’on lui tende dans l’obscurité nos bras pour l'accueillir en effaçant le mot « fin » du générique. La parole de l’auteur sera toujours en effet différée dans le temps par le processus de lecture. Derrida : il n’y a plus de hiérarchie entre l’acte d’écriture et l’acte de lecture, ces deux moments forment un tout indissociable[xi]. Si bien que le terme même de film devient inopérant, car ce terme évoque quelque chose de fini, d’accompli. Mais le film n’est jamais terminé, il est au contraire sans cesse relancé par le procès de lecture. Mieux : il est toujours en train de se faire. Le film n’est donc pas un événement qui s’est produit lors de sa réalisation. C’est un événement qui est toujours en train de s’accomplir. Plutôt que parler de processus de création, il faudrait emprunter et importer le terme de décréation de l’univers philosophique de Simone Weil[xii]. Un néologisme qui ne saurait se réduire à un pauvre artifice de philosophe car il en va de la solution d’un problème épineux, celui de la création du monde, le nôtre.

Simone Weil pose sans ambages la question aux religions du Livre : pourquoi Dieu, qui est parfait dans les religions monothéistes, irait-il créer quoi que ce soit, puisqu’il est lui-même tout l’être et le bien possibles[xiii] ? Comment rajouter de l’être à l’Être infini ? Du bien au Bien absolu ? Cela n’est pas possible. Pour sortir de l’impasse, il faut faire un effort conceptuel, dit Simone Weil, penser la question sur ses arêtes vives en renonçant tout simplement à cette idée saugrenue de toute-puissance. Ce concept est absurde. S'il ne permet pas de résoudre la question, il faut donc le dissoudre.

En effet, créer n’a de sens, dans cette logique de toute-puissance, qu’à la condition d’améliorer au moins un peu la condition initiale. Mais c’est ce que Dieu même tout-puissant ne saurait faire : puisque la situation initiale, étant Dieu lui-même, est absolument infinie et parfaite. Mieux : Dieu, aussi puissant soit-il, ne pourrait pas faire mieux que ce qu’il est (puisqu’il faudrait se créer soi et donc faire mieux que soi – soit s'auto-destituer, faire en sorte, donc, que Dieu ne soit plus Dieu) ni même aussi bien que soi (puisqu'il faudrait alors se renier en tant que divinité, Dieu étant l'absolu souverain, qui ne souffre pas d'équivalent). Dieu, s’il veut créer autre chose que soi, c’est-à-dire créer tout simplement, ne peut donc faire que moins bien que soi. Mais pourquoi avoir créé ce monde, étant entendu que tout le bien possible existait déjà en Dieu ? Par amour, répond Simone Weil. Dieu n’a pas créé autre chose que l’amour et les moyens de l’amour, mais non pas par un acte de puissance (puisque Dieu est le temps et l'espace) mais en s'absentant du monde afin de laisser l'espace vacant pour que le monde advienne. Le processus est dès lors enclenché, le néologisme peut prendre forme puisqu’au bout du compte rien n'est jamais créé mais toujours décréé. Le monde n’est advenu que parce que Dieu a su s’effacer, se retirer, s’absenter, comme L'homme s'évapore chez Shoei Imamurai, Une Femme disparaît chez Hitchcock. Il n’est dès lors pas le fruit d’un acte d'expansion, mais d’un retrait. Tout le contraire d’un plus d’être, de joie ou de force. Autrement dit, une diminution, une faiblesse, un renoncement.

Transposé à l’univers cinématographique, on pourrait dire que le cinéma est ce qui en creux célèbre « la formidable absence, partout présente[xiv] ». Simplement parce qu’ « il faut être dans un désert, car celui qu’il faut aimer est absent[xv] », autant que la réalité sera toujours faite d'une part manquante au cinéma : filmer, c'est nécessairement désertifier la réalité. Il faudrait alors partir en quête d'un nouveau Zabriskie Point au cinéma, reparcourir les paradis perdus de l'Amérique de Gerry comme la netteté des images du disparu dans Blow Up d'Antonioni faisait déjà signe vers une autre conception du cinéma : plus les images s'y agrandissaient, plus elles devenaient floues. Ainsi, plus le cinéma voudrait s'augmenter dans les images de son cinéaste, plus il (s')icôniserait, plus il deviendrait écrasant jusqu'à rendre invisible la réalité qu'il entendait pourtant faire surgir de son objectif. Dans chacun de ces films, le point de vue unique est éclaté au profit d'une multitude de perspectives, un thème rejoué variation après variation dans Smoking/No Smoking d'Alain Resnais où deux comédiens nous proposent plusieurs versions de leur vie. Il serait donc temps de renoncer à la logique objectiviste du réalisateur omniscient et omniprésent, sortir de la vision du cinéaste panoptique en mesure de capter objectivement la vie comme elle va dans son ruissellement. Envisager autrement la création cinématographique : elle ne sera jamais le produit d’un acte de puissance, mais celui d’un retrait, d’un renoncement., d’un renoncement. Pour une raison évidente : l’activité de l’objet « film » infini et parfait est une absurdité à l’état pur. À trop se remplir un tel cinéma finirait par se dévorer. Un cinéma anthropophage qui deviendrait le contraire de ce qu’il célébrait : un cinéma de non vie. Autant dire un cinéma mort. C’est au contraire sous la forme de l’absence, du secret, du retrait, que le cinéma peut advenir. La signature en est la trace qui témoigne dans un même geste, mais par un vide, de la présence, du passage de l’auteur, mais aussi de son absence.

Pour sortir du dilemme, il faut alors accepter l’idée que créer ne consiste pas simplement à remplir la pellicule, c’est creuser le sillon du vide. Filmer, c'est poser un cadre : éliminer des images par d'autres images, non pas créer, mais bien décréer. Il n'existe pas de vue possible sur la réalité sans point de vue. La création est toujours une diminution, jamais un acte d’expansion, insistait Paul Valéry[xvi]. Et si tout le monde a ses raisons, disait La Régle du jeu de Renoir, le cinéma ne saurait toute les embrasser. Le cinéaste peut alors être pensé autrement, comme ne commandant pas partout où il en a le pouvoir : quand il décide de cadrer, décadrer, recadrer, sa décision est toujours une vacillation entre plusieurs options. Un cinéaste n'ignore pas qu'il devra toujours libérer de la place pour faire espace et durée dans son film, une manière de ne pas craindre le passage du témoin au spectateur afin que se mette en place une écriture à plusieurs mains comme les témoins d'une scène de crime se multiplient dans Rashômon d'Akira Kurosawa. Une relativité du point de vue retranscrite cinématographiquement par la disposition de différentes caméras, de sorte que le spectateur puisse participer à l'enquête, y trouver sa place comme son lieu d'être. Entre chacun, il y a dès lors la promesse d’une rencontre, non plus seulement l’espoir d’un film à rencontrer. L’aveu même de cette faiblesse, de ce manque, de cette impuissance, de ce cinéma éparpillé, mis en morceaux, ne serait plus alors le signe d’un échec. Il deviendrait au contraire l’indice d’une vie possible. Le paradoxe n’est plus qu’apparent. Cette contradiction devient « l’obstacle tremplin » qu’il faut sans cesse affronter pour que se déclenche le processus de décréation. Un processus qui permet finalement de répondre en filigrane à la question qui sourd du récit cinématographique : qu’est-ce qu’un film, sinon une certaine idée de l’absence, son retrait, sa distance (qu’on nomme l’espace), son attente (qui convie le temps), son empreinte (qu’on appelle la beauté) ? Soit le contraire même de la pesanteur que Simone Weil appelait la grâce.

Si l’impossible du cinéma, c’est le cinéma lui-même, il faut alors aller vers un cinéma qui le rend un peu plus impossible encore comme Citizen Kane recueillait cinq point de vue différents pour connaître impossiblement la vérité sur Charles Foster Kane. Un cinéma qui doit « mieux rater » (Beckett) que ce qu'il n'a fait jusqu'à présent. Encore faudrait-il que le spectateur trouve sa place, encore faudrait-il qu'il se responsabilise. À nous de construire nos récits. À nous, aussi, de faire image autrement.

Puissance de l'image

Le cinéma possède en lui son antidote. Il est son propre pharmakon, le remède au poison du magistère tout-puissant du réalisateur. Le cinéma, depuis sa technique afférente, interdit d'héroïser le cinéaste. L’œil caméra emporte avec lui une telle multiplicité de points de vue possibles qu'il s’accompagne de l’impossibilité de tous les adopter dans la simultanéité. Comme l'indique François Laplantine dans son article, Penser en images, « Dès le début du cinéma, une multitude d’options se mettent en place qui seront par la suite affinées : de près/de loin ; en vision rapprochée (Rosetta des frères Dardenne)/en vision éloignée (Theo Angelopoulos) ; en accéléré/en ralenti ; en plans fixes (Manoel de Oliveira)/en plans éclatés et saccadés (de Dziga Vertov à Jean-Luc Godard) ; de manière frontale/latérale ; avec des images nettes/floues ; sombres et sous-exposées/claires et surexposées ; et évidemment en noir et blanc/en couleurs.»[xvii]

Le cinéma contient son contre-champ comme son hors-champ, ajoute l'auteur : « Entre le plan entier ou coupé, il existe encore le « plan américain » (à la hauteur des hanches). Entre le frontal et le latéral, il est possible de réaliser des prises de vues inclinées, caméra à l’épaule (Lars Von Trier). Entre les images volontairement surexposées, comme dans beaucoup de films du cinéma novo brésilien, et le noir absolu de Blanche-Neige de João Cesar Monteiro, il est possible de faire osciller la luminosité qui, chez Friedrich W. Murnau ou Kenji Mizoguchi, tend vers le clair-obscur. En revanche, ce qui est matériellement impossible est de filmer à la fois en plan large (John Ford) et en gros plan (Carl T. Dreyer), en ralenti et en accéléré, alors que l’on a pu réaliser cette prouesse technique (pour la première fois dans Citizen Kane) consistant à filmer avec netteté dans un plan unique ce qui est proche et ce qui est loin, soit la profondeur de champ, procédé existant aussi en photographie.»[xviii]

La totalisation des points de vue est donc pratiquement une impossibilité. Le cinéaste, aussi stakhanoviste qu'il soit, ne sera jamais le petit dieu du peuple. Du réel il n’existe que des perspectives fragmentaires, parcellaires, non totalisables. Contrairement à ce qui se passe au théâtre, le cadre est un cache qui limite le champ visuel de celui qui regarde. Le cinéma est une expérience des limites du voir. Il nous incite à renoncer à l’illusion de la toute-puissance du voir. Dans le voir il y a du non-voir, du ne pas tout voir, du ne pas bien voir, du non-visible, de l’ombre (Brassaï, Murnau ou Fritz Lang)[xix].

Un cinéma qui voudrait tout dire, tout saisir, ne serait plus du cinéma. Il encarterait le monde dans son panneau publicitaire, en ferait son tombeau. Il ne proposerait que des images d'où la faim aurait disparue, des images où il ne manquerait rien. C'est toute la différence que faisait Serge Daney entre le visuel et l'image[xx]. « Le visuel, écrit François Laplantine à cet égard, c’est la saturation du voir, la plénitude, la vision immédiate, totale, transparente, absolue et pour ainsi dire obscène. Il n’y manque rien (voir les plans bien léchés des Aventuriers de l’arche perdue de Steven Spielberg) »[xxi]. Le cinéma fait au contraire cinéma quand il trouble le champ des représentations possibles, complexifie le réel, obstrue la clarté des concepts. Il devient un art de la résistance, antipode à ce cinéma pop-corn façon Seydoux : un cinéma de la digestion, qui avale, boulotte, ingurgite, mais ne rend pas. Qui occupe tout l'espace, procède par assomption. Un cinéma dont, paradoxalement, la netteté efface. L’image, en revanche, ne montre pas tout. Elle met en appétit. Il y demeure de l’incomplétude et de l’inachèvement, soit la possibilité de donner du sens au temps, de la durée, comme de l'espace au spectateur, afin qu'il cherche à comprendre. Mais sans jamais perdre de vue que nul ne peut rien comprendre. Ou qu’il n’y a rien à comprendre, sauf à se substituer au réalisateur, s'auréoler d'une majesté particulière. C’est constamment qu’il faut créer sa vérité. Nous ne pensons qu’obliquement, de façon fragmentaire, confuse, bafouillante. Notre seule manière d’avancer, c’est de tourner en rond dans les mêmes questions. De ressasser. Constamment. Et les images de nous y aider.

Il s'en dégage une conception indissociablement anthropologique et démocratique du rapport aux images qui suppose qu'il y ait en elle de l’altérité et de l’hétérogénéité, ce qui ne peut exister s’il n’y a dans l’image que de la positivité éliminant les contradictions. La plupart des images diffusées par les médias aujourd’hui interdisent de voir. Le cinéma y pourvoit. Il nous réapprend à regarder.

Pas de désespoir, finalement. La Flor, de Mariano Llinas, pour donner un exemple paradigmatique récent, resynchronise le temps, l'espace, où des femmes longtemps prisonnières reviennent de leur désert. Trop longtemps flouté, le film fait la mise au point. Treize heures au cinéaste pour déployer un monde baroque qui mêle les amours et les aventures de quatre femmes à l’histoire du cinéma, donc du monde. Un Frankenstein cinématographique composé à partir de milliers de cadavres ramenés à la vie par un docteur fou parce que l'histoire des femmes et des hommes est faite d'horreur, de poésie aussi. On a trop longtemps soufflé sur une fleur de pissenlit, qui a fini par s'envoler.


Pilar Gamboa, Elisa Carricajo, Valeria Correa et Laura Paredes dans "La Flor" - © ARP Selection.

Quel cinéma choisir, donc ? Un cinéma du vide contre toute forme les formes de satiété. Un cinéma qui ferait sien la dénonciation du moi, cet épieu constitutif de la conception de l'artiste, cette mythologie inhérente au langage et à la métaphysique immanente à la structure de la phrase régie par le sujet, qui « pose » la réalité. Avec la supposition que derrière toute forme d'interprétation (imagière, scénaristique...), il y a un sujet, un interprète précis : le cinéaste. Cette histoire-là, qui a jusqu’alors organisé autour du sujet et de sa propre unité les significations du monde, il faudrait en dissoudre son unité monolithique et rigide dans le flot proliférant de ses pulsions centrifuges. Si l’unité de ce moi-là est le produit d’une illusion millénaire mais anthropologique particulière, un changement de cap radical est possible. Comme le disaient Adorno et Horkheimer, le moi occidental est symbolisé par Ulysse, qui construit péniblement son identité et sa domination – sur Ithaque, sur son équipage et sur lui-même – en renonçant aux sirènes, à Calypso et à la fleur de lotus, autrement dit en résistant à la tentation de s’abandonner à l’indifférence béate dans le sein de la nature. Nietzsche en appellera au contraire à une inversion de ce processus. Il aspire à la dissociation du moi. Il en appelle alors à l’ivresse et à la puissance [xxii], qui ne doivent pas être identifiées à la domination, mais à la dispersion de ce moi dans le flux des sensations. La perception d’une infinité de choses minuscules et éphémères que sait si bien rendre le cinéma fait alors voler en éclats toute unité et toute hiérarchie, émancipe les détails de toute totalité et confère à chacun d’eux comme aux femmes, aux hommes, délivré de tout lien, une autonomie sauvage, des droits, enfin, égaux pour tous.

Ces éléments, il faudrait les laisser comme jalons du chemin qu'il faut s'ouvrir dorénavant. Car ce qui est donné ici, s'il faudra encore à coup sûr le conquérir, est peut-être en train d'advenir. Ce qui fait la valeur d’un discours, celui sur les abus et violences sexuelles, le racisme/la racisation (dans une moindre mesure et à regrets), sa puissance nutritive, ce n’est bien évidemment pas son volume, ni sa richesse apparente, mais l’âpreté de la faim, du manque d’être dont elle est née. La charge énergétique que cette tension irrassasiable a accumulée, il faudrait simplement la saisir aujourd'hui. Entendre ce discours, le laisser se confondre avec la tension qui l'habite, tâcher simplement de remonter à ses nombreuses sources, s'adjoindre le torrent dont il vient contre toutes les absurdités qui, sinon, nous ferons nous effondrer sur place.

David Fonseca

NOTES

[i]Une révolution sexuelle ? Réflexions sur l'après-Weinstein, Stock, Paris, 2018, 176 p.

[ii]Le regard féminin. Une révolution à l'écran, Editions de l'Olivier, Les Feux, Paris, 2020, p. 12.

[iii]La psychiatrie apprend au contraire que le violeur n'ignore pas l'absence de consentement de sa victime mais cherche à la réifier.

[iv]Sa sœur, Patricia Arquette, dénonçait il y a quelques jours, lors du festival Séries Mania, les insultes et grossièretés proférées par l'équipe technique sur le tournage de Lost Highway, réprimandées par David Lynch, mais continuées à être tournées dans la difficulté.

[v]P. Tabet, Les doigts coupés, La Dispute, Paris, 2018, 291 p.

[vi]P. Touraille, Hommes grands, femmes petites. Une évolution coûteuse : Les régimes de genre comme force sélective de l'adaptation biologique, MSH, Paris, 2008, 441 p.

[vii]Depuis 2012, il est devenu possible de décoder le génome fossile, ce qui a montré que les primates n'ont pas la conscience reproductive, ont installé des sociétés matrilinéaires : un chimpanzé peut tuer sa descendance (il copule hors sa tribu) quand il protégera toujours ceux de sa sœur, à laquelle il appartient.

[viii] J.-A. Perras, L’Exception exemplaire. Inventions et usages du génie (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, Classiques Garnier, coll. Lire le XVIIe siècle. Série Discours historique, discours philosophique, Paris, 2015.

[ix]Quatre-vingt-un chapitres sur l’esprit et les passions, V, 4, Bibl. de la Pléiade, Les passions et la sagesse, p. 1199.

[x]Introduction à l’analyse structurale des récits, in Communication n°8, 1966, réed. Seuil 1981, p. 24.

[xi]La dissémination, Seuil, Coll. Tel Quel, Paris, 1972.

[xii]Voir par exemple La pesanteur et la grâce, pp. 42, 112-113 de la réed. UGE, « 10-18 », 1979, ou encore Attente de Dieu, Fayard, 1966, réed. « Livre de vie » 1977, p. 106, ou Cahiers, III, p. 91, Plon, 1994.

[xiii] Voir G. Kempfner, La philosophie mystique de Simone Weil, Nataraj, Paris, 2000.

[xiv]Alain, Les dieux, IV, 2, Bibl. de la Pléiade, p. 1324.

[xv]La pesanteur et la grâce, Folio Essais, Paris, 2002, p.112.

[xvi] Charmes, pp. 167-168, Gallimard.

[xvii] Ethnologie française, 2007/1, vol. 37, pp. 47-56, https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2007-1-page-47.htm.

[xviii] Ibid..

[xix] Cf. J.Aumont, Doublures du visible. Voir et ne pas voir en cinéma, Presses Universitaires du Septentrion, Paris, 2023, 202 p.

[xx]Rapporté par François Laplantine, « Penser en images », ibid.

[xxi]ibid.

[xxii] Fragments 14 (117), in Fragments posthumes, Œuvres philosophiques complètes, T. XIV, tr. fr. J.-C. Hémery, Gallimard, Paris, 1977, p. 85..

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Cet article est d’abord paru dans l’excellente revue de cinéma belge “Le Rayon vert”, que nous vous recommandons sans la moindre hésitation.