L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les sons divers de 2023 : round about jazz not dead

Au plus fort de l’hiver, le rendez-vous annuel au-delà du périphérique et incidemment intra-muros de Sons d’Hiver bat le rappel d’un idiome jazz et plus qui, non seulement conforte les aficionados mais, cherche même à convaincre les néophytes en déployant ses ressources au delà des concerts avec masterclasses, séances d’écoute, actions culturelles. Revue de détail de cette 32e édition… 

Damon Locks Black Monument Ensemble

Les propos liminaires du directeur Fabien Simon, pour en donner la mesure (à temps) : Sons d’hiver, 32ème édition, du 27 janvier au 18 février 2023 : 30 concerts, plus de 160 musiciennes et musiciens venus de plus d’une quinzaine de pays différents, des actions satellites (masterclasses, séances d’écoute, actions culturelles).
Un festival dédié au jazz, aux musiques improvisées, et plus largement aux musiques créatives d’aujourd’hui, qu’elles viennent d’ici ou d’ailleurs, qu’elles relèvent de formes savantes ou populaires. Un festival itinérant sur un territoire : le Val-de-Marne, avec quelques incursions à Paris en forme de ponts entre la banlieue et la capitale. Un festival qui prend le temps de l’échange, de la concertation, de la coopération, de la co-construction, avec pas moins de quinze lieux partenaires. Un festival dont l’identité s’est forgée autour d’un axe artistique transatlantique franco-américain, mais qui étend désormais ses recherches à d’autres scènes, à d’autres inspirations, à d’autres cultures, conscient que les musiques de demain s’inventent aux quatre coins du globe.

La singularité franco-américaine de la programmation de Sons d’hiver s’articulera autour de l’idée de dialogue entre les générations, et de mariage entre mémoire et avenir, axe au cœur de l’identité du festival sera le premier axe. Le second verra le résultat du travail de programmation qui pointera l’urgence de présenter tel ou tel artiste à un moment de son parcours et de la vie du monde où son travail devient essentiel et gagne, à notre sens, la priorité sur d’autres. C’est le cas cette année avec Moor Mother, Ava Mendoza ou Sonny Troupé. Le troisième axe s’occupera de proposer des nouveaux formats avec Elise Caron et le Quatuor Bela pour dire autrement des légendes celtes de Mabinogion et un opéra de Fred Frith : Truth Is a Four-Letter Word. Et pour compléter l’ouverture grand large : que la création musicale, en perpétuel mouvement, est riche des diversités culturelles de ce monde et de leurs rencontres. Nous proposons ainsi dans la programmation une ouverture sur le monde, non exhaustive mais qui donne un aperçu des jeux de miroirs et des croisements fertiles et inspirants entre jazz, improvisation et musiques traditionnelles. Pour faire la jonction avec les (autres?) musiques actuelles, à sinuer entre transes diverses qui feront se croiser koto japonais, musique nouvellement classique d’Afrique du Sud, jazz et Inde et même qawwali traditionnel avec Faiz Ali Faiz , voire l’ambient de Fennesz. Enfin, pour s’accorder aux nouveaux média, plusieurs plongées radio et po po po po … podcast avec reportage autour de Sonny Troupé et une immersion visuelle et sonore dans le Val-de-Marne, avec la commande au collectif Coax d’une cartographie sonore en plusieurs épisodes du Marché international de Rungis ; et le projet de "Presque Îles" des improvisateurs Émilie Škrijelj et Tom Malmendier : une déambulation sensible dans l’espace public à découvrir en cartes, en sons et en images. Le dernier fil à tisser sera la colloque ( que l’on vous conseille fortement) : le colloque international sur l’afro-futurisme du projet interdisciplinaire A World That Loves imaginé par la musicienne et artiste Nicole Mitchell, ancienne présidente de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM) de Chicago, aujourd’hui professeure à l’Université de Charlottesville en Virginie. Entre fin janvier et début mars 2023, la flûtiste sera professeure invitée au Département de Musique de l’UFR Arts, Philosophie, Esthétique, à l’Université Paris 8 | Vincennes - Saint Denis. 2 jours de rencontres avec chercheurs, penseurs, universitaires et plusieurs musicien.ne.s de la programmation… Cossu, isn’t it ?

La sélection de la rédaction pour festivaler en beauté :


JOACHIM KÜHN TRIO REUNION AVEC MAJID BEKKAS & RAMÓN LÓPEZ

Vendredi 3 février I 20h I IVRY-SUR-SEINE 20€ (TP) / 15€ (Abonné Sons d’hiver + TR) Théâtre Antoine Vitez – Scène d’Ivry (infos pratiques p.37)

Joachim Kühn piano, Fender Rhodes / Majid Bekkas oud, guembri / Ramón López batterie

Histoire toujours. Celle qui rend le jazz à sa mémoire. Ce trio historique n’est pas monté en scène depuis 7 ans. 7 ans de disette qui disent sans peine le plaisir qu’il y aura à revoir ces 3 figures reprendre les débats où ils les avaient joyeusement laissés. Et, dans le laps de cette attente, on imagine bien que Joachim Kühn, pianiste allemand et figure de proue du jazz européen, n’a rien perdu de sa curiosité native. De cette obsession à enregistrer mille pistes de musique chez lui, pour mettre en jachère ce qu’il faudra confronter à d’autres, plus tard. Ici, ce sera donc, avec de vieux complices : le Marocain Majid Bekkas, Oud et gembri gnaoua, et le batteur espagnol Ramón López. Plus rien à prouver, plus rien à expliquer. La liberté est totale, le plaisir de jouer lui aussi. À peine entaché par le récent décès de Rolf, le frère de Joachim et compagnon d’aventure des premières heures d’explorations musicales brutes dans les années 70.

Depuis le premier disque du trio, Kalimba (ACT, 2007), jusqu’au plus récent, Voodoo Sense (ACT, 2013) en compagnie d’Archie Shepp, les trois musiciens ont chevillé le groove propre au jazz afro-américain aux traditions musicales du monde qui les influencent par ailleurs. Le piano balance des pelletées d’étincelles rock, le blues afro-américain reprend racine en Afrique et réactive des arpèges hérités des gnaouas marocains. Et dans ce mélange de groove et de tradition classique, le trio remonte le cours de l’Histoire comme les saumons remontent le cours des rivières pour y frayer. Chez Kühn comme chez Bekkas et López, le sens de la marche n’est pas le sens commun. Il faut cultiver et apprécier les détours. Kühn est à l’aise, par exemple chez Bach comme chez Hendrix. Bekkas ne cantonne pas son gembri à l’Atlas marocain. Ramón López propulse la furie d’un François Corneloup comme les douceurs incandescentes d’un Tchamitchian. C’est même ce qui unit et fait le sel de cette réunion, revue après 7 ans, l’art d’un discours à contre-courant d’une norme faite pour le commun des mortels. Immortels, donc, ces 3 musiciens ? Pas loin, parions-le.

MARILYN MAZUR’S SHAMANIA

Samedi 4 février I 20h30 I CACHAN 20€ (TP) / 12€ (Abonné Sons d’hiver + TR) Théâtre Jacques Carat

Marilyn Mazur compositions, percussions / Josefine Cronholm voix, percussions / Sissel Vera Pettersen voix, saxophone / Lotte Anker saxophones / Hildegunn Øiseth trompette / Lis Wessberg trombone , Makiko Hirabayashi piano, claviers / Ida Duelund basse / Lisbeth Diers congas, percussions

Il y a des évidences plus trompeuses que d'autres. Prenez ce Shamania, serait-ce un petit précis de shamanerie ? Pas vraiment, pas tout à fait. Shamania, c’est plus justement, une communauté. Une communauté féminine, rituelle, organique et sauvage, une mini-nation de musiciennes assemblée par Marilyn Mazur, immense musicienne mésestimée dans l’histoire du jazz et, donc forcément, trop peu entendue en France. Pourtant, son approche du jazz est un des exemples parfaits du female gaze sur cette musique. Avec la même importance de conception et de pratique que d’autres figures majeures oubliées comme ont pu l’être, par exemple, Mary Lou Williams, Dorothy Ashby ou ici, lien musical plus évident, Alice Coltrane.

C’est le même regard qu’elle pose sur la musique de Miles quand elle enregistre avec lui en 1985 sur le disque Aura. Sa frappe se retrouve également sur des projets en collaboration avec Gil Evans et Laurent Cugny pour le Big Band Lumière (Rhythm A Ning, en 1988). Peter Kowald et Jan Garbarek l’invitent régulièrement ainsi que Wayne Shorter. Sa frappe sonne claire encore en compagnie d’un autre Danois, le bassiste Niels-Henning Ørsted Pedersen ou au cœur du New Jungle Orchestra de Pierre Dørge où souffle, entre autres, John Tchicai. Les références ne manqueraient pas s’il fallait remettre au goût de la lumière du jour la musique de Marilyn Mazur. Femme triple – frappeuse, danseuse et comédienne, Mazur réactive avec Shamania le principe de son Primi Band, bande de filles calibrées en 1984 pour les riches heures du théâtre musical européen. Le disque éponyme (RareNoise Rec., 2019) reste fidèle aux mystères et au lyrisme qui ont fait la qualité du Primi band originel. Aujourd’hui, Marilyn Mazur poursuit sa recherche d'une musique vivante et chaleureuse. Une musique nourrie d'une énergie sans âge et sans borne. Mais une musique ronde de tout l'or du monde.

FENNESZ "FEARLESS"

Mercredi 8 février I 20h I GENTILLY 15€ (TP) /10€ (Abonné Sons d’hiver + TR) Le Générateur

Christian Fennesz guitare, électronique

Attention équation. Soit une fractale placée au cœur d’un Work In Progress sonore. Électrifiez le tout et vous aurez un court aperçu du travail du guitariste autrichien Christian Fennesz. Auteur de matières sonores denses et unifiées, inlassable dans ses recherches musicales. Il s’est d’abord investi dans la scène techno viennoise. Au début des années 1990, à la faveur du renouveau allemand, Berlin et Vienne connaissent effectivement la liesse des rave et free parties. Règne de l’expérimentation, des esthétiques, des tests en tous genres. Fennesz en profite pour remettre en jeu sa formation de guitare classique. Formé également en ethnomusicologie, il met ses facultés d’analyse et d’observation au service de la création de son propre univers sonore. Nous parlions, plus haut, de fractale, cette petite figure géométrique morcelée et répétée à l’infini. C’est le motif qui saute à l’esprit en écoutant ce qui distingue singulièrement Christian Fennesz des autres musiciens. Les petites figures sonores se répètent et se nourrissent dans une densité saisissante et magnifique. En branchant sa guitare sur son ordinateur portable, pour la passer aux filtres de logiciels, Fennesz est parvenu à créer un son unique. Dès son premier disque en solo, Hotel Para.lel (1997, Mego), le mélange des textures sonores et de distorsions de guitare est en action. Endless Summer, sorti en 2001, enfonce le clou plus profond encore pour mieux détailler le pointillisme des paysages dont la délicatesse et la complexité feraient pleurer un Georges Seurat. C’est ce qui caractérise Christian Fennesz. Cette clarté inégalée, ces récits teintés d’une évidence sereine.

On a pu s’en rendre compte sur pièce, en février dernier, aux côtés de Sylvie Courvoisier sur la date du festival programmée à Vincennes. On a pu l’entendre aussi dans la dernière décennie avec Ryuichi Sakamoto, David Sylvian, Mike Patton ou encore Jim O’Rourke. On pourra le vérifier cette année avec Fearless où ses improvisations enregistrées en studio viendront se fondre dans un set improvisé, à prendre comme le témoin de l’état du travail du musicien, puissant et encore forcément inachevé, maillon d’un formidable Work In Progress.

Sortie de disque Fearless, à paraître en 2023, Touch

Fennesz

MOOR MOTHER & BAND presents "JAZZ CODES"

Vendredi 10 février I 20h I FONTENAY-SOUS-BOIS 19€ (TP) / 12€ (Abonné Sons d’hiver + TR) Salle Jacques Brel

Moor Mother poésie, voix, électronique / Kyle Kidd, voix / Alya Al-Sultani voix / Dudù Kouaté percussions Soweto Kinch saxophone alto / Aquiles Navarro trompette / Luke Stewart contrebasse, basse
Lukas koenig batterie

Autre habituée des déconstructions et reconstitutions lucides et politiques : Camae Ayewa aka Moor Mother. On a pu l’entendre et voir son travail impressionnant à Sons d’hiver. Que ce soit en compagnie de sa formation de cœur Irreversible Entanglements, ou en duo performatif avec Dudù Kouaté comme l’an passé au Théâtre Antoine Vitez - Scène d’Ivry. Tant l’exigence et la veille sont au service de la démocratisation des esprits, de la veille pour l’éveil des consciences. Au sein du band de ce concert, la veille devrait être de mise. Noter de nouveau la présence de Dudù Kouaté, nom emblématique du festival. Noter aussi la présence de Luke Stewart et d’Aquiles Navarro, comparses bassiste et trompettiste au sein d’Irreversible. À leurs côtés, des voix nouvelles, celle du Londonien panafricain Soweto Kinch, saxophoniste au groove d’airin, celles, volubiles et imparables, de Kyle Kidd et de Alya Al-Sultani. Ces deux voix comme une diagonale tracée dans l’urgence de dire. Urgence, il y a. Le line-up rejouera, lui aussi les cartes du jazz et de son histoire. Ou plutôt en rejouera les codes. C’est même le sel d’un projet mémoriel et revendicatif comme Jazz Codes. Sorti en Juillet 2022, il est le successeur du puissant Black Encyclopedia of the Air (2021) et va chercher des matières logiques, le jazz, le blues, la soul et le hip- hop, et des collaborations évidentes, Keir Neuringer (autre membre d’Irreversible Entanglements) et des remix de pierres angulaires, le Nation Time de Joe McPhee, entre autres exemples. Le jazz est face à son histoire, sans déférence, avec l’urgence d’action nécessaire. Fondé sur la poésie comme point de départ, le projet évolue très vite vers la mélodie, le chant, les chœurs et surtout des structures empreintes de complexité. On n’est pas loin de chez Madlib et de cette rage du hip hop à revisiter l’histoire civique afro-américaine. Citons Antipop Consortium et H-Prizm par exemple. À débattre sur scène, il y a donc le présent, la technologie, et le passé recueilli au cours de ses expériences avec The Art Ensemble Of Chicago (Sons d’hiver 2020).

FRED FRITH "TRUTH IS A FOUR-LETTER WORD"

Vendredi 17 février I 20h I CRÉTEIL 22€ (TP) / 13€ (Abonné Sons d’hiver + TR) Maison des Arts

Fred Frith composition / Julie Gilbert livret / Dirk Shulz mise en scène / Heike Liss mise en scène Julien Ribot, Heike Liss vidéo / Louise Rustan création lumières / Andrew Johnson son

Avec : Léopold Gilloots-Laforge voix contre-ténor (Narcis) / Alexia MacBeth voix mezzo-soprano (Echo) / Flurina Badel jeu (L’Opératrice) et The International Occasional Ensemble : Fred Frith guitare électrique, direction / Zeena Parkins harpe Ikue Mori laptop / Lotte Anker saxophone / Xavière Fertin clarinettes / Tilman Müller trompette, Ada Gosling-Pozo violon / Garth Knox alto / Paula Sanchez violoncelle, voix / Karoline Höfler contrebasse, Alexandre Cahen piano, claviers / Gabriel Valtchev percussions / Camille Émaille percussions

Magnifique ! Le Downtown NYC de 1981 rejoint les anticipations de la série Black Mirror. Jaugez plutôt le synopsis : Narcis, devenu l’homme le plus puissant de la planète grâce à une nouvelle application appelée Me-Dream, est certain d’être envoyé par les extra-terrestres. Convaincu de descendre des étoiles. Gourou auto-proclamé, il propose aux gens de rêver leur vie et de matérialiser leurs rêves sur la planète Mars où il prévoit à terme un transfert de l’humanité. Des activistes, réunis secrètement sous le nom d’ECHO, tentent d’empêcher son projet en infiltrant son réseau, puis son âme.

Magnifique ! C’est Fred Frith qui signe la partition de cet opéra de poche. Suite d’une commande du festival, cet opéra d’anticipation prend une forme encore inédite à Sons d’hiver. L’an passé, William Parker passait l’histoire au filtre de la mémoire, cette année Frith plonge Sons d’hiver dans le futur, sur un livret franco-anglais de Julie Gilbert, scénariste de film et auteure suisse. Truth is A Four Letter Word. C’est à la fois le titre de cet opéra et une énigme à décoder. On pense à « Fuck », on pense à « Shit ». On pense aussi à « Huge », on pense également à « Fine ». Choisis ton camp, camarade : « Ils sont tous endormis / Ils flottent / C’est le sommeil de la raison / Ils dorment doucement / bercés d’illusions », entend- on dans Truth is... de la bouche d’ECHO. Ce n’est pas le sommeil du juste qui est cité dans le chant des deux chanteurs lyriques embarqués dans cette fable terrible. Mais plus sûrement le chuchotement d’une seule question. À l’heure où les manipulations de l’information rejoignent les plans de communication globaux, à l’heure où chacun souhaite imposer sa vision, ou sa courte vue, sur le monde, que reste-t-il vraiment de la vérité ? Celle qui fondait les idéaux et les métiers de scientifique et de journaliste. Rien n’est moins tangible que cette vérité, aujourd’hui, encore moins quand elle est privée de ses nuances, chronophages pour ceux qui voudraient en prendre le temps.

C’est cette même vérité que traquait Fred Frith, filmé par Nicolas Humbert et Werner Penzel en 1990 dans Step Across The Border. Frith y rencontrait des musiciens, du Japon aux States, d’Iva Bittova à Tom Cora pendant 90 minutes d’impro mise en bobine. Et dans la rencontre, terrienne celle-ci, tangible et magnifique parce qu’imparfaite, résidait la vérité d’un compositeur dont faire le CV serait plus fastidieux qu’emmener l’humanité entière sur Mars.

Fred Frith

ADAM RUDOLPH’S GO: ORGANIC ORCHESTRA WITH BROOKLYN RAGA MASSIVE "Ragmala (A Garland of Ragas)"

Samedi 18 février I 20h I CRÉTEIL 22€ (TP) / 13€ (Abonné Sons d’hiver + TR) Maison des Arts

Adam Rudolph composition, direction Samarth Nagarkar chant / Jay Gandhi flûte bansuri / Arun Ramamurthy, Trina Basu violon, Gwen Laster, Stephanie Griffin alto / Jake Charkey violoncelle / Sara Schoenbeck basson, sona, Stephen Haynes cornet, flugelhorn, conch / Neel Murgai sitar / Marco Cappelli guitares, Alexis Marcelo piano, fender rhodes / Damon Banks basse électrique / Harris Eisenstadt bata (iya, itotele, okonkolo), percussions / Brahim Fribgane cajon, tarija, dumbek, oud, percussions / Sameer Gupta tabla

Le jazz est une affaire de jeunesse, oui. C’est aussi une histoire d’humanité, de traversées et de climats. Adam Rudolph est de ces humains qui sont en traversée constante. Sons d’hiver, jamais en reste pour remettre au milieu du village l’établissement de votre choix, église, café ou foyer communal, replace ici un homme au cœur de sa trajectoire. Adam Rudolph est un homme précieux. Par ses collaborations, d’abord. Il joue et enregistre avec Yusef Lateef de 1988 à 2013, on le croise en compagnie de Don Cherry, Bill Laswell, Sam Rivers ou Pharoah Sanders. Par sa fonction, ensuite. Compositeur, improvisateur et percussionniste, il connait ses couleurs et ses assauts rythmiques. Le récent hommage rendu, en 2020, à Lateef avec Bennie Maupin en atteste, par exemple. Ce Tone Poem livre l’art de Rudolph pour les climats. Organiques, denses et pourtant d’une simplicité désarmante. « Il y a eu un processus intellectuel pour cet album, mais il a surtout été intuitif. Ce que j’aime dans l’intuition, c’est qu’elle efface ses propres traces derrière elle. » On enregistre, on efface. Sans fin. Reste l’instant mémorisé par l’oreille ou la cervelle. Le Adam Rudolph’s Go : Organic Orchestra fonctionne sur le même mode, empruntant au phénomène qui se produit lorsque des milliers d'étourneaux volent dans le ciel en formant des motifs en piqué, coordonnés de manière complexe, dans une prodigieuse masse liquide et tourbillonnante. La musique de l’ensemble associé ici aux musiciens indiens du Brooklyn Raga Massive se synchronise de la même façon, dressant un pont entre les traditions ancestrales et l’avant-garde, entre les ragas indiens, le spiritual jazz et l’improvisation.

Yusef Lateef, encore lui, disait de cet orchestre : « Le Go : Organic Orchestra avait un son incroyable. Mais ce son devenait crédible parce que nous l’écoutions. » Le jazz est une affaire de jeunesse mais aussi de choix fait par l’oreille qui écoute. Dans sa vision du XXIe siècle d'un "orchestre du futur", Adam Rudolph embrasse et met au tympan de l’auditeur des formes musicales et des cosmologies du monde entier. En dirigeant, en concert, les musiciens de manière improvisée, il crée aussi des orchestrations spontanées fortes de la dynamique multiculturelle du Go : Organic Orchestra. Face à cette communauté établie le temps d’un set, il reste à savoir faire le choix de l’ouverture, de l'empathie et du partage. Pas mal comme programme de clôture pour un festival.

Ci dessus, le deuxième invité de la dernière soirée du festival, rien moins que l’héritier de Nusrat Fateh Ali Khan, Faiz Ali Faiz. Un géant, écoutez plutôt… 


Nous publions le lundi, donc difficile pour vous, sauf si vous hantez face de bouc, de vous précipitez aux concerts d’ouverture, mais j’aurais relayé sur la page de La Nuit avant… Si vous prenez le temps d’écouter aussi nos mix sur Mixcloud, vous aurez forcément croisé - et depuis longtemps - la plupart de ces artistes au fil de vos écoutes sur les pages l'Autre quotidien/ JP Mixe la Nuit. Soyez curieux, acceptez d’être surpris, découvrez des artistes in situ/in vivo pour sentir comment leurs univers font déjà partie des vôtres. Acceptez les découvertes et les nouvelles aventures qui font le sel du moment et permettent de voir le même monde autrement. il n’y pas que la télé bol à raie, ni ses sbires politiques qui chantent faux un monde disparu, il y a la musique, ce “machin” que Shakespeare décrivait ainsi : Quand le rythme de la musique change, les murs de la ville tremblent … Et, venez trembler avec nous. Maintenant.

Jean-Pierre Simard le 30/01/2023
Festival Sons d’Hiver, 32e édition -) 18/02/2023
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