Le soir du réveillon 2020, j'ai fait le vœu de me plonger à jamais dans les sensations que j'éprouvais en prenant des tranquillisants. Je voulais tomber dans un doux sommeil et ne plus affronter la réalité. Dans un effort pour m'oublier, j'étais prisonnière d'une “hédonie dépressive”, que Mark Fisher a décrite dans "Le réalisme capitaliste" comme une incapacité à faire autre chose que la recherche du plaisir.

Dans cette série, je dépeins différents types de plaisirs et les états qui leur sont associés. Je crée des natures mortes et des environnements à partir d'objets et de substances qui sont associés à quelque chose d'agréable et de séduisant, et parfois d'effrayant. La poupée semble être mon alter ego, vivant une expérience du Nouvel An. Nika Sandler

Votre site web, indique que vous avez étudié à l'école de photographie moderne Docdocdoc et à l'école de photographie des beaux-arts en Russie, tout en travaillant sur vos projets personnels depuis 2020. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous impliquer dans la photographie et à créer vos propres œuvres ? 

Nika Sandler : J'étais assise à un rendez-vous chez le psychiatre. J'ai pensé à la mort. J'avais besoin d'un stimulus pour vivre, et l'inconscient m'a conduit à la photographie. C'est devenu mon passe-temps, mais un jour, à la bibliothèque, j'ai vu un livre de Joel-Peter Witkin avec ses œuvres d'art transgressives et des commentaires francs sur celles-ci. J'ai alors réalisé que je voulais créer mes propres œuvres.

Votre série photographique de 2021, The World of Hedonia, se concentre sur une quête dévorante du plaisir, en particulier du plaisir sensoriel. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre conception du plaisir et sur la raison pour laquelle il occupe une place si importante dans ce projet ? 

N.S.: Le plaisir était un phénomène qui rendait ma vie moins insignifiante et insupportable. Dans cette série, j'ai exploré mes valeurs parce que je doutais d'elles. 

Dans l'introduction de The World of Hedonia, vous faites référence au concept d'"hédonisme dépressif" du philosophe britannique Mark Fisher, tiré de son livre Capitalist Realism. Vous le décrivez comme "une incapacité à faire autre chose que la recherche du plaisir", et comme quelque chose dans lequel vous vous êtes senti "piégé". Pourquoi avez-vous choisi d'inclure ce concept dans le projet et comment l'avez-vous vécu ? 

N.S. : Dans le concept d'"hédonie dépressive", j'ai vu un reflet du "piège" dans lequel je me trouvais. Dans le projet, ce concept est devenu une couche politique qui a mis en lumière l'étendue et la profondeur des problèmes liés au plaisir et au capitalisme tardif. 

L'hédonisme est une philosophie qui se définit comme la croyance que le plaisir - la satisfaction totale de ses désirs - est le bien suprême et le but propre de la vie humaine. Adhérez-vous à cette philosophie ? 

N.S.: Il me semble que l'hédonisme n'a pas de fondement assez solide pour s'y fier. 

Pourriez-vous nous parler un peu du projet en tant que critique du capitalisme ? Comment pensez-vous que le capitalisme a influencé la façon dont nous pensons que la recherche du plaisir peut être réalisée ? 

N.S. : Le capitalisme influence les gens à travers la biopolitique. J'aime la façon dont le philosophe espagnol Paul B. Preciado écrit à ce sujet dans Pharmaco-pornographic Politics : Towards a New Gender Ecology : "Le succès de la techno-science contemporaine consiste à transformer notre dépression en Prozac, notre masculinité en testostérone, notre érection en Viagra, notre fertilité/stérilité en pilule, notre sida en tri-thérapie sans savoir ce qui vient en premier ; si la dépression ou le Prozac, si le Viagra ou l'érection, si la testostérone ou la masculinité, si la pilule ou la maternité, si la tri-thérapie ou le sida." 

Il vous arrive également de compenser les objets et substances "agréables et séduisants" de vos pièces par un élément effrayant. Pouvez-vous nous parler de ce choix de mélanger enchanteur et dérangeant ? 

N.S. : L'élément "effrayant" est le côté sombre du plaisir. Tôt ou tard, vous vous lassez de vos sucreries préférées et elles vous dégoûtent. 

Vous décrivez la poupée présentée dans The World of Hedonia comme étant votre "alter ego, vivant une expérience du Nouvel An". Quels parallèles pouvez-vous établir entre vous et la poupée présentée dans le projet ? 

N.S.: Sur les photos, la poupée "faisait" tout ce que je faisais en coulisses. Elle a fait de beaux rêves, a plongé dans des liquides collants et s'est retrouvée au désespoir avec une boucle de guimauve autour du cou. 

Vos autres œuvres, telles que Mycophilia et Plant and Human Pain, présentent des études de sujets et d'environnements naturels, qui contrastent avec les sujets artificiels et surréalistes présentés dans The World of Hedonia. Qu'est-ce qui a rendu le processus de création de The World of Hedonia unique par rapport à vos autres œuvres ? 

N.S. : Dans cette série, j'ai cherché à souligner les exigences irréalistes du capitalisme tardif. C'est pourquoi elle se compose d'objets artificiels. 

The World of Hedonia a été présenté dans plusieurs magazines et a suscité un grand intérêt. Pourquoi pensez-vous que ce projet particulier a connu un tel succès ? 

N.S. : Il a connu un grand succès parce que de nombreuses personnes ont une relation difficile avec le plaisir. Après des publications dans des magazines, des personnes souffrant d'alcoolisme, de toxicomanie et de dépression post-partum m'ont écrit pour me dire que le projet entrait en résonance avec leurs sentiments et leur expérience.

 Y a-t-il quelque chose que vous voulez que le public de cette série photographique retienne ?  

N.S.: Il n'est pas nécessaire de courir après le plaisir et d'être toujours joyeux et heureux. Tous les sentiments sont normaux et interconnectés. Le plaisir n'existe pas sans le déplaisir. 

Enfin, pouvez-vous nous parler d'autres choses sur lesquelles vous travaillez ? 

N.S.: Je me suis récemment fait enlever une dent de sagesse. Cet événement a éveillé mon intérêt pour l'étude des dents et leur rôle dans l'expérience humaine, en particulier les expériences de plaisir et de douleur.

Née à Moscou, Nika Sandler a toujours vu le monde à travers son propre objectif. Dotée d'une grande force créatrice, elle explore les complexités de la nature et de l'expérience humaine. À travers son travail, elle propose une gamme d'explorations intro et extrospectives d'un monde que nous pouvons reconnaître comme le nôtre et d'un monde qui semble être juste au-delà de notre portée.  

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O. Blivion le 16/01/2323
Nika Sandler - The World of Hedonia