L'AUTRE QUOTIDIEN

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La Porte de l’univers : Daniel Goossens ouvre une fenêtre sur son art

Malgré les rééditions soignées qui paraissent régulièrement, nous n’avions plus d’album de Daniel Goossens à nous mettre sous la dent depuis 2015, mais le dessinateur revient avec un album étonnant : à la fois drôle, dense et qui se complète d’une réflexion sur son travail.

La Porte de l’univers marque un nouveau tournant dans la carrière du dessinateur qui est l’un des piliers du magasine Fluide Glacial depuis son embauche par Gotlib en 1977. En 45 ans de carrière, Daniel Goossens n’a eu de cesse de se renouveler et de creuser son sillon unique. 

Au commencement était la verve… 

Goossens première période, ce sont des grandes figures comme Jésus, Albert Einstein ou le Père Noël passé au crible de son humour qui s’installe en filiation des Monty Python, Pierre Desproges, Franquin, Gary Larson & Gotlib. Le dessin est déjà généreux, plein de détails et de gags visuels ; et les dialogues savoureux nous proposaient des pas de côtés étonnants, des références à la pop culture ou des pastiches astucieux. 

Premier tournant, après des centaines d’histoires courtes et de gags, il commence à structurer ses albums autour de thèmes et ce sera avec l’Encyclopédie des bébés (1987), mais surtout sa série longue Georges et Louis romanciers (1993) que sa manière de travailler évolue en offrant des gags tenus par un fil rouge et des personnages attachants. En parallèle son dessin s’affine, le seul noir & blanc se double d’un élégant lavis (vous pouvez lire un coup de cœur ici).

Neufs albums composerons cette série dont la forme évoluera à partir de Sacré Comique (2011) pour faire du fil rouge une véritable thématique au point que Georges et Louis n’apparaissent plus dans toutes les histoires de Passions (2014) ou Combats (2015).

… et la verve était en Daniel Goossens, et le verve était Goossens.

Nouveau tournant dans la carrière du maitre de l’humour absurde et du pastiche décalé, avec ce nouvel album La Porte de l’univers où il s’interroge sur l’humour, sa fonction, ses limites et les points de vue. Et ce, de plusieurs manières, à la fois en bande dessinée à travers la quête tragicomique de l’humoriste sur le déclin Robert Cognard, mais aussi dans une postface où l’auteur analyse ses partis-pris et propose ses réflexions sur l’humour. 

Une double entrée qui éclaire son travail sur les 25 albums et quelques, publiés depuis ses débuts et convoque pour la première fois son autre passion, les intelligences artificielles. Celui qui a été sacré grand prix de la ville d’Angoulême en 1997 est également enseignant-chercheur en intelligence artificielle et travaille sur le « sens commun » et la notion de « gestion de la connaissance » chez les machines. En s’interrogeant sur la mécanique ou les prérequis nécessaires à l’humour dans La Porte de l’univers, il s’interroge sur ce mécanisme de l’esprit qui échappe aux machines et aux règles. L’humour à des codes, mais pas de mode d’emploi. 

Robert Cognard s’y confronte en étant « complètement à sec » et en cherchant à se renouveler. En 2022, l’époque fait la part belle aux humoristes, qu’ils soient chroniqueurs à la radio, standuper ou comédiens, des professions incontournables aujourd’hui qui se tiennent aux côtés des auteurs, dessinateurs… Cognard est dépassé, avec un humour d’un autre temps, les clins d’œil aux polémiques sur le logo Banania ou #metoo évoquent aussi la cancel culture, la citation de Desproges, toujours mal employée par ceux qui justifient des agressions par l’humour, trouve un écho savoureux dans la bouche de Robert Cognard.  Et le vieil humoriste va traverser le temps & l’espace au point d’arriver jusqu’à Dieu pour comprendre le sens de la vie (ou de la connerie). 

Et il ajouta: « En vérité, en vérité, je vous le dis… »

Je vous vois venir, vous aller me dire que la religion ou la bible sont ses cibles, tant Dieu, Jésus, les textes sont au cœur de son œuvre, mais Daniel Goossens s’attaque en réalité aux connivences, aux clichés, aux pressions sociales dans leur ensemble et la religion cristallise tout cela. Les personnages peuvent s’en donner à cœur joie dans ce surjeu permanent qui fait la signature des héros de Goossens ; de son utilisation des formules toutes faites, des clichés visuels ou des clins d’œil à la pop culture (dans cet album c’est Corto, Tintin, Marilyn Monroe ou Dieu qui en seront les figures détournées). Un album à la fois drôle et pertinent qui enflammera les fans de la 1ère heure et qui propose une belle porte d’entrée sur son univers (Bac+2 en placement de produit) pour de nouveaux lecteurs.

Pour célébrer cette sortie, Benoit Poelvoorde & Edouard Baer en font une lecture enthousiaste ET vous pouvez découvrir son interview réalisée en live cette semaine. 

Thomas Mourier le 23/05/2022
Daniel Goosens - La Porte de l’univers - éditions Fluide Glacial