Marion Zilio propose de faire Comme Si !
“What’s Classy If You’re Rich But Trashy If You’re Poor?” Postée sur Twitter, puis la plateforme Reddit, la question à double tranchant reçut quelques milliers de réponses, parmi lesquelles : “Ripped clothing”, “Immigration”, “A tiny house”, “Having many pets”, “Drugs ”, “Police escorts”, “Getting money from the government”, “Trying to avoid paying taxes”, “Naming your kids weird names”… Unanimement partagée, la réversibilité est totale. Elle est le baromètre de notre position sur le spectre de l’échelle sociale.
Tandis qu’ils rêvent de métavers ou de colonies interstellaires à bord de fusée phallus, les plus fortuné.es s’encanaillent en trouvant chez les « nouveaux sauvages » la validation de leur singularité, en se réappropriant sans vergogne les codes vestimentaires populaires ou minoritaires. Les moins aisé.es s’accommodent d’imitations bas de gamme produites à grande échelle, quand le sous-prolétariat récolte les miettes et les rebuts de la société, au fin fond d’une chaîne de déstockage massif, de ratés ou de périmés en tout genre. À l’instar du renversement opéré par les postmodernes entre Haute et Basse Culture, chacun fait « comme si », en délimitant un espace de fantasme et de distinction sociale. Mais dans les catacombes de l’underground, la première se refait une santé, digère ses styles passéistes, puis remonte les conduits du système pour reprendre le devant de la scène.
C’est ainsi que des sneakers Lidl sont revendues le prix d’un Smic, que des Crocs vert fluo flanquées d’un talon ou Le Cagole bag signés Balenciaga deviennent les derniers must have , ou encore que la maison Gucci lance sa propre collection de contrefaçons Guccy, creusant davantage l’abîme d’un monde, autophage, qui se redouble en se caricaturant. Réappropriées, recyclées, repimpées, réintroduites dans l’arène du bon goût et des groupes dominants, ces modes, après avoir opéré le frisson de la disruption et de la transgression des classes supérieures, finiront par être à nouveau rejetées et dévaluées lorsque les sphères moins privilégiées y auront accès, selon une implacable cyclicité. Au cœur de ce processus de mise à mort et de renaissance des objets fermente le concept mutant du kitsch, dont l’origine allemande kitschen signifie « ramasser la boue dans la rue ». Entre acculturation et appropriation, attraction et répulsion, il est un purgatoire qui exprime un état transitoire entre des modes, des cultures, des genres, des âges ou des classes sociales qui s’entrechoquent, s’imitent, se moquent mutuellement.
Scratch. Baby Scratch .
Le monde contemporain fonctionne sur le modèle d’un disque rayé, qui balaie dans un sens, puis dans l’autre, la grandeur et la décadence des civilisations, dont l’Occident — législateur autoproclamé du bon goût, impérialiste, blanc, bourgeois, hétéropatriarcal — se pose en référent universel. Prises entre deux lectures, les œuvres de l’exposition Comme si opèrent à un double niveau : la perception et la réception, réclamant en permanence leur transvaluation.
Débordant des cadres et jouant des fétiches de la culture populaire, elles nous renvoient bien davantage à nos propres déterminations et conditionnements.
Avec : Bertille Bak , Becquemin & Sagot, Matthieu Boucherit, Mégane Brauer, Le Corbusier, Samir Mougas, Tony Regazzoni, Silina Syan, Cyril Zarcone
Marion Zilio le 25/04/2022
Comme si -) 30/04/2022
Galerie Eric Mouchet 45, rue Jacob 75006 Paris