L'AUTRE QUOTIDIEN

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Aux origines de notre culture : haute ? basse ? non, pop !

Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux ont sorti en novembre dernier, une somme sur les origines de la culture pop, en travaillant dans les archives du groupe Editis : Aux Origines de la Pop Culture, le Fleuve Noir et les Presses de la Cité au cœur du transmédia à la française, 1945‐1990 fait le bilan d’une pratique éditoriale tablant sur la vente dans les kiosques, les librairies (moins) et les gares (surtout).

Le préambule dévoile ceci : L’histoire littéraire s’est construite sur un mensonge : elle a largement occulté sa part populaire et la conquête du grand public par l’édition, fruit d’une dynamique qui la place au cœur des industries culturelles. C’est cet autre visage de la littérature que ce livre donne à voir. Puisant dans des archives inédites, il retrace l’histoire chorale de celles et ceux qui, autour des Presses de la Cité et du Fleuve Noir, ont façonné à partir des années 1950 les genres majeurs de l’imaginaire contemporain : espionnage, policier, science-fiction, érotisme…

Par-delà les romanciers les plus fameux (Simenon, Frédéric Dard), les professionnels de cette édition populaire ont contribué à forger une nouvelle culture médiatique, dans un contexte de circulation internationale des fictions et de transformation du travail des auteurs. Loin de se résumer à une invasion des modèles américains, la culture de masse « à la française » s’en approprie les conventions au temps de la guerre froide et de la décolonisation ; et dans ces romans tirés à plus de 100 000 exemplaires s’inventent aussi les nouveaux codes de la masculinité et de la consommation des « Trente Glorieuses ». Le livre raconte les stratégies industrielles à l’œuvre jusqu’à la chute d’un système médiatique au tournant des années 1990, quand les recompositions éditoriales font émerger les nouveaux empires de la communication. Il permet de comprendre l’horizon médiatique des générations d’après-guerre, qui ne se cantonne pas au monde du livre : les histoires imaginées par les auteurs populaires ont essaimé au cinéma, à la télévision, à la radio… Une enquête sans équivalent sur les origines du formidable boom de la pop culture, matrice de la culture populaire contemporaine.

Pour l’ado provincial des 70’s, le choix de lecture se pose entre l’achat en kiosque de polar (San Antonio ?) , SF ( Jimmy Guieu) et espionnage avec OSS117, pour éviter les Livres de Poche qui font le fond des lectures du lycée à côté des classiques de chez Hatier, Garnier et/ou Flammarion, en attendant l’arrivée des derniers 10/18… 

Mais le bouleversement de 1968 va faire changer la donne et offrir des livres de gauche en nombre et le milieu des 70’s, avec l’arrivée de Métal Hurlant et des Humanoïdes Associés, proposer d’autres genres d’œuvres qui balayent l’espace de la BD, qui fait florès à l’époque, du polar (pas encore nouveau) et de la SF contemporaine qui va vite lâcher l’invasion des Martiens, pour revenir dans l’aujourd’hui et maintenant et la prospective avec Brunner, Dick, Spinrad, Zelazny, Jeury, Andrevon, Gérard Klein et consorts qui vont accoucher de Opta, Présence du Futur, Ailleurs et Demain pour ne parler que de celles qui ont duré… 

De la sorte, toutes les choses mises en place pour définir un imaginaire français du poche - virilisation du héros, “emploi sans autre fonction que fatale” de la femme, recours à la super puissance de l’ atome, espion comme nouveau modèle de héros ( de l’influence de James Bond sur la libido avec le Martini Shaken not stirred ! en placement de produit ( comme les costumes et les voitures du héros de Ian Fleming produit par les Broccoli … tout cela faisait déjà tâche chez le Godard d’Alphaville avec Lemmy Caution en anti-héros avec ses citations de Capitale de la douleur d’Eluard. Pour avoir la SF qui parle de son temps pop, il faudra attendre 1976 et Bowie en héros de l’Homme qui venait d’ailleurs ( The Man who fell to Earth) de Nicolas Roeg, le Zardoz avec Sean Connery tenant plus du pastiche que d’autre chose deux ans avant. Point de comparaison hexagonal (la pop comme esprit du temps à la fin des 60’s, ici c’est plus Lautner ou les Charlots qu’autre chose, avec une modification des thématiques qui prend en compte de nouvelles données sociologiques comme le refus du monde de la consommation avec représentation galvaudée de l’esprit hippie et de la contre-culture. Sûr que dans l’étouffoir gaullien cela faisait vraiment aussi étrange qu’étranger - avec des envies de voyage au-delà des frontières connues sur les passeports. Les ventes du SAS de Gérard de Villiers feront retour de bâton, un peu plus tard avec une vision d’extrême-droite qu’on dirait cadrée pour la France taupe-niveau de Macron qui défend soi-disant une place dans le monde, en s’appuyant sur un repli identitaire de sa population. Nif-nif et point à la ligne… C’est le point focal de la pop culture revue à la baisse depuis l’acculturé Sarkozy qui a décidé de nier tous les apports de la fin des années 60, comme si on lui avait demandé d’avoir à les vivre. De quoi rendre Bizmuth un peu décalqué, non ? Ou plus simplement, réduire un Clint Eastwood en trois dimensions, à son personnage de Dirty Harry.

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Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux ont décortiqué les mécanismes éditoriaux des éditeurs franc-tireurs en usage entre 1945 et 1990, avec une volonté de transmédia ( l’adaptation télé ou ciné étant le jackpot visé) ou l’adaptation radiophonique avec les 60’s. Tout cela concernant quand même, majoritairement des auteurs (soyons sympa) écrivant à droite et à la chaîne pour complaire le public visé par ces publications. Rappelons qu’avant 1969 tout discours déplaisant à Tante Yvonne (Madame de Gaulle, catholique pratiquante) vous faisait illico virer du PAF ( Remember Suzanne Gabriello ?). Et c’est là que notre discours de lecteur diverge de leur propos, pour avoir trouvé autre chose en Province au début des 70’s , à lire les journaux musicaux, écouter RTL, Europe 1 ou Le Pop Club de José Arthur, on arrivait rapidement à défricher de nouveaux territoires avec Philippe Garnier à Rock & Folk qui mettait en avant les grands auteurs de polar américains, ceux qui tendaient à faire œuvre ( la haute littérature en rapport avec la basse et Hammett ou Chandler, voir Goodis tenaient bien la barre… pour se voir célébrer autrement au cinéma ensuite par Wenders à Los Angeles et Beneix ici. Il y a un mouvement international et continu d’ouverture de la culture, du milieu des 60’s à la fin des 80’s qui se sera phagocyté par la naissance et le regroupements des groupes de média et divertissement qui en seront aujourd’hui à recycler des visions d’hier par peur d’avoir en inventer de nouvelles qui envisageraient des futurs non libéraux, comme le prouve Gérard Damasio, en totale contradiction avec l’univers des super héros qu’Hollywood, par flemme, nous revend tous les deux mois… un monde en deux dimensions ( le bien, le mal, un coup de gratte-poil) et l’Amérique gagne à chaque fois, comme si cela concernait le monde du XXI e siècle où son rôle est de gagner sur les réseaux. Ni plus ni moins, la vérité de son déclin n’étant plus à prouver/ What else ?

On oppose ici bien sûr la contre-culture des 60’s qui, affadie et récupérée au fil des 70’s donnera la pop culture, c’est à dire la nouveauté tolérable par le plus grand nombre pour ne déranger personne quand celle de la décennie précédente avait ouvert le monde sans rapport de pouvoir WASP. Et le charme de la nouveauté vue comme progrès et évolution sociétale de la culture, repris en main par les éditeurs phonographiques et livresques vendra des niaiseries programmées pour avoir un air de famille pour vendre un monde mort depuis longtemps… tout cela pour digérer le punk, le hip- hop et la techno, récupérer le son et le look des rues pour vendre in fine aujourd’hui du Balenciaga à des chômeurs. Ironique n’est-il pas ? Cela dit, on préférera toujours lire et écouter Pacôme Thiellement que la momie Michel Drucker.

Jean-Pierre Simard le 19/12/2022
Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux - Aux Origines de la Pop Culture, le Fleuve Noir et les Presses de la Cité au cœur du transmédia à la française, 1945‐1990 - éditions de la Découverte