L'AUTRE QUOTIDIEN

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Fritz Lang et Samuel Fuller antifas !

À voir les jaquettes de “Verboten “ et “Les bourreaux meurent aussi”, deux films contre le nazisme de Fritz Lang et Samuel Fuller réédités en DVD, il est prudent de s'y prendre à deux fois avant de tourner à l'angle d'une rue ! La vermine n'est jamais très loin. Les hors-champ sont dans le cadre, deux plans dans la même image, avec le son comme si on y était, perspective menaçante.

Fritz Lang : “Les bourreaux meurent aussi'“

Carlotta édite le film de Fritz Lang en version intégrale tel qu'il fut présenté aux USA en avril 1943. La version française, tronquée de vingt minutes, est également présente sur le double dvd comprenant une introduction et une analyse passionnantes de Bernard Eisenschitz abordant la collaboration du metteur en scène avec le dramaturge Bertolt Brecht, co-auteur du scénario. Les bourreaux meurent aussi (Hangmen also die) raconte la résistance du peuple tchèque contre les Nazis avec l'assassinat du Bourreau Heydrich, la solidarité des uns et la lâcheté des autres. Les récits parallèles entretiennent un suspense palpitant tout en rappelant les qualités sémantiques de Lang et la distanciation malicieuse de Brecht. Notons que Hanns Eisler composa la musique de cet excellent Fritz Lang, un avertissement contre l'organisation des forces du mal comme le réalisateur les multiplia tout au long de son œuvre.

En 1959, Samuel Fuller réalise un film sur la chute du 3ème Reich où il mêle images d'archives exceptionnelles (villes totalement détruites par les bombardements alliés, procès de Nuremberg...) à l'intrigue mettant en scène un soldat américain rencontrant une Allemande et brisant ainsi la loi anti-fraternisation du Plan Marshall.

Samuel Fuller : “Verboten”

Verboten!, signifiant "interdit" et bizarrement traduit en français par Ordres secrets aux espions nazis, insiste sur la différence entre Allemands et Nazis, une distinction rarement évoquée, mais que j'ai souvent entendue dans ma famille, que ce soit du côté maternel où mon grand-père, Roland Bloch, combattant des deux guerres, fait prisonnier et libéré, résistant devenu responsable du ravitaillement pour le Cantal, militait dans les années 50-60 au sein de la Protection Civile aux côtés de collègues allemands, ou du côté paternel malgré la déportation de mon autre grand-père, Gaston Birgé, à Auschwitz et les sévices endurés par mon père, dont le meilleur ami, fils d'un commissaire de police d'une ville de province allemande, Bielefeld, et militant anti-Nazi, périt hélas dans le torpillage de son sous-marin. Fuller insiste aussi sur la connaissance de l'existence des camps de concentration qu'il avait contribué à libérer lorsqu'il était soldat au sein de son régiment, The Big Red One. Mes parents, qui ne mélangeaient pas nationalités et choix politiques, me firent apprendre l'allemand en seconde langue, et, lorsque je souhaite faire la part des choses, me viennent souvent les mots de Manouchian dans sa dernière lettre à sa femme Mélinée, repris par Aragon dans son poème L'affiche rouge, mis en musique par Léo Ferré : "Je meurs sans haine pour le peuple allemand ".

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Depuis 45 ans j'ai gardé le souvenir indélébile de la première scène de Verboten! citée dans le Cinéastes de notre temps (réalisation d'André S. Labarthe non rééditée) consacré à Samuel Fuller. Son incroyable bande-son ponctue le premier mouvement de la Vème symphonie de Beethoven par le bruit des combats au milieu des ruines. Le rythme du montage et la chorégraphie s'appuient sur le thème universellement célèbre du compositeur allemand, paradoxalement utilisé par Radio Londres pour symboliser la victoire : ti-ti-ti-taaa = V en morse..._ Beethoven avait dédié sa 3ème (l'Héroïque) à Bonaparte pour se rétracter lorsque celui-ci s'autoproclama empereur : «N'est-il donc, lui aussi, rien de plus qu'un homme ordinaire ? Maintenant, il va, lui aussi, fouler aux pieds tous les droits de l'homme pour n'obéir qu'à ses ambitions. Il s'élèvera au-dessus de tous les autres et deviendra un tyran.» Bien que ce soit le seul film de Fuller que je n'avais jusqu'ici jamais vu en entier, dans mes conférences j'ai souvent pris en exemple la partition, qui passe sans transition de percussions contemporaines aux accords de Richard Wagner et au thème de Ludvig van, pour évoquer l'utilisation de la musique préexistante au cinéma et l'intégration des bruitages à la partition sonore. J'ai toujours été un grand fan de Fuller pour son style direct et entier, jouant des images pieuses et des tartes à la crème en les retournant comme des gants, manipulant les McGuffins hitchcockiens et les poncifs de manière outrancière pour révéler les intentions cachées de l'inconscient collectif.

Avec le triple Criterion présentant ses trois premiers films, I shot Jesse James, The Baron of Arizona et The Steel Helmet (J'ai vécu l'enfer de Corée), ce dvd édité par Warner enrichit la cinémathèque fullerienne déjà riche de Fixed Bayonets, Pick Up on South Street (Le port de la drogue), House of Bambooo, Run of the Arrow, Forty Guns, Merrill's Marauders, Shock Corridor, The Naked Kiss, The Big Red One (Au-delà de la gloire), etc. Je suis toujours à la recherche des éditions dvd de Park Row, The Crimson Kimono, Underworld U.S.A., Dead Pidgeon in Beethovenstrasse et de ses réalisations pour la télévision... Il existe aussi un film sur lui d'Adam Simon intitulé The Typewriter, the Rifle & the Movie Camera.

Quant à Lang, je suis à l'affût de son dernier film, Die tausend Augen des Doctor Mabuse (Le Diabolique docteur Mabuse), qui reprend une fois de plus le thème du complot mafieux et de la manipulation de masse de façon visionnaire.

[J'ai trouvé tous ces films depuis la rédaction de cet article].

Jean-Jacques Birgé le 10/09/2021
Si "Les bourreaux meurent aussi", "Verboten!" recadre la chute de l'Allemagne