L'AUTRE QUOTIDIEN

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La saga des Purs, tome 2 - et fin provisoire ?

Deuxième partie du diptyque (et fin provisoire ?) du « Livre des Purs » : où comment l’épopée fantasy se hisse à un niveau mythique, tout en explorant certaines dimensions plus intimes des personnages.

Un brouillard mélancolique s’était déposé sur la mer Verte. Notre flotte approchait, muette. Seule la griffure des vagues sur les coques des bateaux aurait pu signaler notre présence. Il ne pleuvait pas mais nos mains, nos visages et nos cheveux étaient de brume. Les éolins filaient en silence sous la surface, leurs larges mâchoires mordant les attelages qui pointaient à la proue de nos navires. Nous suivions leurs sillages imperceptibles. Je les ai enviés un instant. Il y avait une telle liberté dans leur évolution. Le fait de servir les bateaux fradins n’entravait pas ce sentiment. Ils ne les tiraient pas par contrainte mais par choix, parce qu’ils aimaient la compagnie des hommes. Il y avait un tel dévouement dans leur débauche d’énergie. J’ai regretté de n’être pas marin, de n’être pas fradin.
L’île aux Vierges était un îlot articiel construit par les Palocks. Il était relié à Grande Île par un tunnel sous-marin de deux milles de long. Les anciens le décrivaient comme une forteresse imprenable, une coque de tortue hérissée de meurtrières, sans accès extérieur. Ils nous en avaient tant parlé qu’il m’a paru ridiculement petit quand sa silhouette s’est dessinée dans le brouillard. Cette vision évoquait la tonsure d’un géant.
Plus nous avancions, moins il me semblait frêle. L’ombre trapue qui émergeait des flots devait avoir une circonférence de mille pieds. Elle était percée de dizaines de lucarnes lumineuses. On aurait pu croire qu’un feu couvait là-dessous… Que cet amas de pierres n’était qu’un immense four construit dans le seul but d’y forger le glaive d’un Dieu. La lumière s’écrasait sur le plafond des nuages bas et se réfléchissait plus faiblement. Quelques éclats ont fait briller les coques de nos vaisseaux.
Le signal a été donné aux éolins pour qu’ils reculent et tirent les bateaux à l’abri de la brume. Les ancres ont été libérées. Elles ont transpercé la surface et filé vers les profondeurs. Une barque s’est détachée de notre flotte. Quatre Fradins, torses nus, à l’intérieur, repoussaient la mer Verte à coups de rames en direction de l’îlot. Leurs gestes étaient précis, d’une telle harmonie qu’ils ne faisaient qu’un avec l’élément liquide. Ils ne luttaient pas contre lui. Ils glissaient sans effort. Une corde épaisse se déroulait derrière eux tandis qu’ils progressaient.
Le brouillard a fini par les avaler. Je suis redescendu sur le pont principal où se tenait un partie de mon armée. Je suis passé au milieu de mes hommes, ces jeunes guerriers krols qui m’avaient tout donné, tout sacrifié… Qui m’avaient suivi au devant de la mort sans hésitation… Qui m’avaient offert jusqu’à leur chevelure pour constituer cette armée des Cheveux Courts et avaient gagné le respect de tous. J’ai posé ma main sur l’épaule de l’un d’eux, ébouriffé la crinière un peu drue de Sao. J’ai vérifié l’armure d’un garçon qui me paraissait si jeune, si frêle, que je me suis demandé comment il pourrait se déplacer avec une telle charge sur le dos. Je n’ai prononcé aucune parole. Ma présence parmi eux leur suffisait.

Sept mois après « Le Roi des Krols », voici donc en avril 2021 et toujours, logiquement, aux éditions Leha, « L’Enfant Guerre », deuxième tome du diptyque annoncé, « Le livre des Purs », étonnante et enchanteresse incursion décidée dans le genre de l’heroic fantasy de la part d’Olivier Martinelli, auteur apprécié depuis de longues années déjà pour des textes fort différents, allant du rock à l’histoire contemporaine en passant par le football et la lutte paradoxalement enjouée contre la maladie (reportez-vous à la note de lecture du tome 1, lien ci-dessus, pour de plus amples informations sur tout ce trésor préalable).

En essayant de ne divulguer aucun élément sensible de ce nouveau volume comme de son prédécesseur, témoignons simplement ici du souffle et de l’habileté de l’auteur : alors que l’épopée rugissait déjà largement dans « Le Roi des Krols », elle passe ici à une échelle supérieure, lorsque l’indispensable guerre de libération entamée dans l’urgence se mue en manœuvre orchestrée d’éradication de la menace permanente que faisaient peser les Palocks sur nos héros et leurs alliés. Bien entendu, une saga (même – pour l’instant, car comment être certain que « Le Livre des Purs » est réellement terminé ? – courte) de fantasy qui se respecte comporte son lot de traîtrises, de nouvelles créatures monstrueuses, de situations apparemment sans issue, de trésors d’ingéniosité, et de surprises parfois violentes. « L’Enfant Guerre » ne fait pas exception à ces savoureuses lois non écrites du genre, mais y ajoute une touche très personnelle particulièrement bienvenue, lorgnant du côté des ambiguïtés de toute cosmogonie (pour laquelle l’auteur a su résister à la tentation des fastidieux exposés qui gâchent tant de textes fantastiques ailleurs), des non-dits de toute mythologie historique, et de l’intellection toute spinoziste de la nécessité, une fois dégagés et apaisés les trompeurs brouillards de l’enfance – et les vrais-faux souvenirs qui peuvent y être associés.

Hugues Charybde le 11/06/2021
Olivier Martinelli - l’Enfant guerre - éditions Leha

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Olivier Martinelli