L'AUTRE QUOTIDIEN

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Viens jazzer malgache avec Jef Gilson

Pour qui a traîné entre la rue Doudeauville du CIM et les clubs des Halles en version 70’s, dès qu’on parlait arrangements ou découvertes, un nom revenait immédiatement : celui de Jef Gilson. Aujourd’hui, le service public des trucs qui comptent - mais qui s’avérait indisponible depuis des lustres et même des lampadaires - à savoir les rééditions du Souffle Continu, trois albums bienvenus marquant la rencontre du Gilson avec l’esprit de la musique malgache en version jazz.

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Pourquoi un tel engouement ? La réponse vient de Philippe Méziat qui affirmait dans Jazzman en 2014 ceci : On ne découvre pas, sans ce talent ,à la fois Henri Texier (qui entre dans l’orchestre de Jef à 16 ans), Jean-Luc Ponty, Jean-Louis Chautemps, Bernard Lubat, Michel Portal, François Jeanneau, Bernard Vitet, Jean-Charles Capon, Eddy Louiss, François Tusques, Jacques Di Donato et beaucoup d’autres. On ajoutera quelques Américains : Nathan Davis, Woody Shaw, Sahib Shihab, Hal Singer, Joe McPhee, qui ont fait plus qu’un bout de chemin avec lui et dans ses formations. Membre des Double Six à une certaine époque, il aura été aussi le producteur d’un nombre considérable de disques (label Palm), en même temps qu’un passionné du son et de l’enregistrement. Dans les années 70, son studio voit passer Archie Shepp, Randy Weston, Martial Solal, Steve Lacy, Wadada Leo Smith, sans oublier Byard Lancaster, David S Ware, André Jaume, Jacques Thollot… Vous excuserez du peu.

Tananarive 1969

Si certaines têtes en l’air ont oublié de mettre le nez ( et les oreilles) dans le Massacre du Printemps, précédente ressortie du même Souffle Continu, voici avec Guillaume Malvoisin, des raisons, d’y aller avant d’écouter Malagasy, Madagascar Now et Malagasy at Newport-Paris.

C’est quoi la combine ?
Simple. Un jazzman français parti en 1968 à Madagascar. Jef Gilson, comme d’hab, veut ressourcer sa musique et voir si le jazz franco-américain peut être fongible avec la culture de la grande île. En trois séjours d’ateliers et de masterclasses, Jef Gilson agrège ses compères français à des musiciens à l’oreille de feu. Aux mains d’or, aussi. Trois sessions mises sur bande entre 1969 et 1971, à Tananarive et Paris, sont réunies sur les deux faces de ce disque magistral, nourri par le hasard d’une rencontre prolongée par un contretemps. Une grève, une révolution et un blocage des transports. Contretemps réglementaire, mon cher Watson.

C’est qui déjà ces deux-là ?
Jean-François Quiévreux, comme Barney Wilen, est surtout connu grâce à son pseudo. Un pseudo qui compile en 3 syllabes toutes les faces d’un être humain. Multiple. Jef Gilson est musicien, compositeur, rédacteur, éditorialiste, chercheur, patron de label, découvreur de talents et arrangeur. Le ‘Gilson’ vient de là, pour celui qui se revendique discrètement comme le fiston de Gil Evans, le son of Gil. Et des coups, il en aura arrangé, Jef. Clarinettiste impatient chez Boris Vian, théoricien chez André Hodeir, boppeur puis rameuteur de grand ensemble. Il aura arrangé la sortie au jour de pas mal de futurs têtes de ponts du jazz frenchy, aussi. Jean-Louis Chautemps, Jean-Luc Ponty, Michel Portal, Henri Texier ou encore Jacques di Donato sont de ceux-là. Amateur de chaos aussi, Gilson. Quand il part à Madagascar en 1968, c’est le bazar en France. Renault gueule, La Sorbonne assemble et généralise, Sartre fait le mariole sur les capots d’autos. Jef, lui, fout le camp. Avec Lionel Magal et Bibi Rovère, pour tester une autre culture, pour éprouver ‘son’ jazz à d’autres oreilles. Chercher ce qu’il chérit, comme on chérit un bréviaire de survie, un folklore vivant. De quoi rester debout. Pour trois ou quatre ans. Et pour longtemps. Car Gilson ne s’arrêtera pas à Mada, même si l’aventure Malagasy se déclinera et prolongera au Newport de Paris (1972) puis sur un second disque, Madagascar Now (1973). Entre temps, Jef Gilson vivant parmi les vivants rendra hommage à Stravinsky parti rejoindre ses oiseaux de feu, Massacre du Printemps (1971). Plus tard, il créera le grand format Europamerica où fulmineront entre autres Joe McPhee, Jean-Charles Capon, André Jaume et Frank Lowe. Rassembleur instable sur sa base comme un oiseau-mouche l’est sur ses ailes, Gilson est donc vivant. Jamais tranquille, profondément humain et taillé pour le fraternel insaisissable.

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C’est bien ce disque ?
Malagasy est le fruit de plusieurs rencontres. Celle du jazz américain et de la composition à la française, façonné par Jef Gilson. Celle des intrus europaméricains et des percussions malgaches. Celle d’un vieux loup de l’arrangement et de jeunes musiciens locaux. Le premier album de l’aventure Malagasy est aussi une pièce documentaire. Deux faces où cohabitent le splendide et le vernaculaire. A Tana de Jean-Charles Capon danse avec le feu et le jazz modal. Malagasy rapporte Madagascar dans un studio parisien où l’espace est démultiplié. Avaradoha est un hymne sans parole ni trompette, mais avec une colère franche et amicale, dans laquelle se reconnaitra la jeunesse malgache en révolte en 1972. Sur la face B, Jef Gilson remet même entre les mains de Roland de Comarmond le tout chaud The Creator Has A Master Plan de Pharoah Sanders, créé quelques mois plus tôt de la même année 1969. Pas encore hit du free jazz mais déjà folklore pas prêt de s’éteindre. Bouillant. Les deux autres disques de l’aventure Malagasy, eux-aussi réédités synchro par Souffle Continu Records, complètent cette vision du jazz selon Gilson. Un truc nécessaire pour ne pas s’endormir sur ses lauriers. Un truc, s’il est manié sans concession ni déférence, paré pour allumer l’humanité pour une bonne paire d’années à venir.

« Quand on se contente de faire revivre le passé, en essayant de transformer les œuvres en pièces de musée, le folklore au bout d’un certain temps meurt, se fige et n’intéresse plus personne. »

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Alors oui, comem le notent les commentateurs du jazz 2021, cela a tous les tics du son 70’s avec instrumentation spécifique, thématique qui sonne baba et façon d’alterner les soli des instruments en présence… Sauf qu’à se moquer de l’esprit spiritual jazz - qui collait à l’époque- on passe à côté de son retour annoncé et largement plébiscité depuis 3/4 ans par Shabaka Hutchings et ses compères. Le jazz porté par une idée, le jazz qui envoie avec l’envie de libération dans la tête ; comme un pont entre passé et présent - ou plutôt aventure culturelle qui unit des lieux, des gens et des sons dans une même envie de les faire vivre et partager. C’est compris ?

Jean-Pierre Simard le 29/06/2021
Jef Gilson — Malagsy, Malagasy At Newport-Paris et Madagascar Now /Zao avec Sylvain Marc etDEl Rabenja - rééditions Souffle Continu 2021