L'AUTRE QUOTIDIEN

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De la transfiguration par Philippe Ciaparra

« Je crois que cette atmosphère crépusculaire dans les lieux que je photographie, ce sentiment d’enfermement obsessionnel qui m’aide à atteindre cette intériorité mentale, est récurrent dans ma démarche. C’est une façon de mettre en scène mon univers intérieur, axé sur la solitude et la réflexion sur le monde qui m’entoure, et qui est propre à ma personnalité. Toutefois, il est évident que toute intention créatrice est le fruit d’un processus de réflexion qui évolue durant des décennies. » Philippe Ciaparra.

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Il est bon de lire un livre, bien imprimé, sagement avec tout son savoir, sa présence au creux des mains, sa couverture, l’ampleur de ses pages qui s’ouvrent comme ces bras forts des marins, aux muscles puissants. Toujours l’éditeur précède en quelques points le lecteur de la perfection soignée et de l’intention de présenter son auteur comme un confident, un ami fêté et reconnu, que l’on reçoit en sa demeure, sinon quelque chose pourrait altérer la motivation, l’ intérêt, l’appréciation physique de l’objet. Un écrin est plus souvent une habile entrée dans le regard du photographe, sa lumière et pour Philippe Ciaparra, dans le mystère qui sourd de ses portraits, de ses paysages, de ses intentions, une forme de revanche sur le monde retenu ici au point sensible de ses présents. A l’occasion de ces portraits de jeunes femmes, l’éditeur fait un rappel du livre précédemment édité. Il est question d héroïnes, de romans, d’élections, affinités électives dans un regard caressant, suivre la chimie de cette lumière caressant la peau, le regard, la nudité présumée de ces élues, dans leur présence sensuelle et mystérieuse, mises à nu des âmes au prétexte de leur corps, par ces regards et ces poses, autres intentions des fictions, des romans qui transitent par le regard du photographe.

Une sorte de confession devant l’aube ténue des draps blancs, séchant aux vents, fonds sonores, citant Georges Bataille dans son Histoire de l’œil, une approche évoquant le drama à la sur-réalité prégnante.

Si l’on revient sur Paysages & Transfigurations, Philippe Ciaparra est un photographe précieux, méticuleux, précis, surtout ouvert aux surgissements, à tous les surgissements, de la Beauté aux forces qui habitent en secret les paysages, les hommes, les situations, marques de l’éphémère passage du temps, pépites amassées au bord d’un fleuve intranquille; la main du prospecteur, de l’alchimiste, de l’écrivain, du romantique, a retenu cet or dans un apport à ce qui marie la photographie, le regard et les corps, à ce qui se dit silencieusement de la profondeur du temps, signes physiques et signes de l’âme, toutes écritures fondues à l’oeil par la main, illunées aurait écrit Rimbaud, ce jardinet qui en hiver s’illunait de mystères…présences, forces, ombres, silences, tout concourt, habite, se loge en ces pages, des matières qui impriment ici leurs voix multiples et silencieuses donnant l’éclat posthume d’un temps éveillé à lui même, demi-sommeil, pénombre et clartés, un livre entre aube et crépuscule, solairement nocturne….issu de la tension chtonienne qui rend le photographe présent à son regard pour murmurer l’espace du Drama antique.

La photographie de Philippe Ciaparra s’écrit dans un mouvement connexe au monde pour en percevoir, en un instant, toute l ‘étendue, la profondeur, le point dont il est issu, originel, tout l’antécédence qui l’a porté, toute l’importance qui semble tenir, soutenir le regard, dans une forme d’hypnose, de soleil mental, de sensibilités solaires, d’instance poétique chargée de concrétudes ….le Ici et maintenant. est un constat qui incrémente la profondeur et dont la présence au regard, physiquement suppose une histoire des forces qui ont travaillé à ce présent. Certaines photographies du livre résonnent comme les énigmes que la Pythie prononçait à Delphes, dans cet espace-temps qui aujourd’hui n’est plus et dont certains élus peuvent en percevoir les manifestations.

« Des visages féminins en semi-profil éclairés en partie, derrière elles, le fond est neutre, dans une nuance plus ou moins abrupte allant du blanc vers le noir. Les modèles entretiennent une certaine distance avec la réalité, les regards sont suspendus et fuyants, détachés.
Elles sont intemporelles et semblent avoir été photographiées nues. » © Philippe Ciaparra

Il faut savoir approcher le travail de Philippe  les yeux clos comme à travers la fine lame des yeux plissés, absorbants, transformation de l’approche, que les cils recouvrent en partie les paupières et que le buveur de thé se laisse voyager ici, ponctuellement en ces visages féminins, ou en ce livre, dans un texte qui aurait trouvé refuge au sein de ces yeux plaisants, froids, bougons; ceux ci se dérobent ou s’affirment, interrogent indirectement ce lecteur à travers le regard qui les voit, fleurs écloses refusées, en leurs antécédences, loin d’elle mêmes, dans ce temps connecté de la prise de vues, dans tous ceux qui s’y inscrivent et s’y réfractent. Le photographe devient un liseur d’âmes, de vie, un psychopompe parfois, une entité à part entière, qui sacralise, éternise, rend présent pour soi même, cet autre là, poétique du féminin, comme il le faisait des paysages américains, part de l’invisible Sacré qui continue à habiter ces royaumes fait de temps.

Philippe Ciaparra reste entier et multiple dans l’image qui nait, se déploie en lui même. L’illusion franchie est comme une terre restée en souffrance dans cet hiver mémoriel et spatial, la bas dans cet autre livre parlant de trans-figurations et de pays sages, d’autres visages, élaborés par les géologies, les accidents, les éruptions, une permanence des conjugaisons impossibles et possibles, aux bans de ce qui fait ici photographie, ces transfigurations surgies des yeux du voyant, de cet espace craint et souhaité, dans cette ambivalence d’avant, comme si le lieu de la persona – ce masque qui permettait aux acteurs de l’antiquité de faire porter au loin leur voix- venait à se re-créer en dissolvant toute relation avérée aux réalités superficielles, actuelles, pour se fondre à la source de ce qui fait temps, ombre et lumière, évènement,  paysage, monument; un espace-temps sondé par évocations, accidents, synchronicités, tout ce qui fait feu et s’apparente, dans un toucher des rapports métaphysique entre l’ombre et la lumière, au grand voyage des enfers,  retour du regard d’Orphée, acte sacrificiel moderne, interception des flux constants du sens, révélations sédimentaires du regard,  dans un acte créatif complexe et natif.

Sous son regard, tout devient Odyssée, ces derniers portraits sont ici des infantes, de jeunes femmes issues d’un conte ou mieux du voyage aux sources de notre histoire gréco-romaine, surtout en ces périodes où quelque chose est en train de se briser, ici la beauté fragile de ce visage comme issu de la Rome Antique à la splendeur sacerdotale de la vierge, vouée aux cultes, ou la beauté tangible de cette autre jeune patricienne retrouvée à Pompéi, dans sa beauté native. 

C’est en plongeant à travers ces mythologies, en établissant ce rêve romanesque d’inscrire la vie dans ces correspondances que vient à naître cette sur-réalité de la vision, qui, pour moi, semble échapper à sa cosa mentale, pour s’établir dans un retour de ce qui  sédimente toute histoire….la sienne propre et la notre, dans une évocation de l’âme en chemin entre deux mondes, tout une écriture procédant à mon sens de l’héritage littéraire du Romantisme et, parfois, de son côté noir, ici une marque de l’approche de la fin des temps.

En savoir plus sur Philippe Ciaparra ici, et

Pascal Therme, 28 Juin 2021
Philippe Ciaparra - Paysages & Transfigurations - K éditions