L'AUTRE QUOTIDIEN

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Effet-Daney, passeur mélancolique et gai

« Paulhan disait que la littérature nous donnait à voir le monde comme si nous n’y étions pas.

Et le cinéma donc ! »

(Serge Daney, « Rotterdam 1980 », Cahiers du cinéma, n°310, avril 1980,

La Maison cinéma et le monde 1. Le Temps des Cahiers 1962-1981, éd. P.O.L./Trafic, 2001, p. 448)


Effet-Daney,

passeur mélancolique et gai

 

Un article de l’ami des Cahiers Jean-Louis Comolli consacré au musicien jazz et multi-instrumentiste Eric Dolphy en a donné l’idée à Serge Daney qui s’est défini ainsi : un passeur. Le terme a fait florès, il est devenu un mot de passe entre cinéphiles. Qu’est-ce qu’un passeur ? Un passeur est celui qui a besoin de frontières pour les passer comme il en a besoin pour faire passer des trésors qu’il n’a pas envie de garder pour lui tout seul. Sans se préoccuper non plus de ceux à qui les passeurs refilent le bébé, ni verser des larmes de crocodile parce qu'on ne leur passe rien quand on ne leur fait pas les poches (D, p. 91).

Le passeur passe le filet à l’épreuve du mauvais rebond de la balle et de l’impasse au fond du court. Le contraire du passeur est la passoire personnifiée aujourd’hui par la figure médiatique du commentateur dont la fonction sociale consiste non seulement à ne rien savoir de ce dont il parle, mais surtout à représenter l’ignorance du public en la légitimant avec perversité (D, p. 94). 

Il y a cependant une limite narcissique concernant la jouissance du passeur, celle qui consiste à avoir le dernier mot. Le passeur en guerre durant les années 1980 contre le retour revanchard de la vieille qualité française et l’apparition concomitante des « promauteurs » est une petite machine de séduction à formules définitives à qui l’on pourrait reprocher de se rapprocher par des voies détournées des dialoguistes produisant sans arrêt du mot d’auteur tant honni. Le dernier mot donné indique une autre jouissance, celle, dandy-hégélienne, de se savoir le dernier – Godard pour le cinéma critique et Daney pour la critique du cinéma (P, p. 155).

Dandysme, de toute évidence, même si, pour Jean Narboni, il s’agissait précisément d’un « lumpen-dandysme » (SD, p. 41). Et l’antienne datée et usée jusqu’à la corde de la « mort du cinéma » d’apparaître désormais comme une « idée régulatrice qui lui a permis d’aller à l’essentiel, de radicaliser ses intuitions en portant à incandescence son rapport à un cinéma menacé qui jetterait ses derniers feux » (Patrice Rollet, M1, p. 12).

Le cinéma est mort ? Vive le cinéma. Le cinéma a toujours été affaire de survivance, dès le premier film des frères Lumière jusqu'aux plateformes actuelles bénéficiant crânement de la crise sanitaire. Il n’en reste pas moins vrai que quelque chose est arrivé au cinéma durant les années 80. « Le cinéma n’est pas mort mais quelque chose est mort dans le cinéma ». Quoi ? Jean-Luc Godard a entre autres donné cette réponse, toute empreinte de mélancolie : « Il devait y avoir un sentiment de faire partie du monde quand on allait au cinéma, de fraternité, de liberté dont le cinéma rendait compte » (M2, p. 554).

Le critique est un narrateur qui a éclairé le sens de sa vie en la brûlant à la chandelle de l’amour du cinéma. « Faire (sérieusement) de la critique de cinéma, c’est en quelque sorte écrire son autobiographie » (SD, p. 39). Une « ciné-biographie » (P, p. 9). Le narrateur de lui-même n’est pas que l’auteur d’un mythe dont Daney est le nom immortel, il est d’abord un critique, autrement dit un « évaluateur » comme l’a noté Pascal Kané (SD, p. 45). La critique est un exercice réitéré d’évaluation qui, sans nier l’inquiétude du négatif, tient aussi de l’éthique du bien-être comme y a insisté de son côté Sylvie Rollet (SD, p. 110). Dans cette perspective, Daney s’est tôt reconnu une maison, les Cahiers du cinéma, et deux maîtres aux antipodes, l’hédoniste Jean Douchet et l’ascétique Jacques Rivette. Le premier lui a transmis le refus esthète de la vulgarité qui est l’aboutissement de l’imprécision ; le second avec l’article « De l'abjection » lui a fourni un « dogme portatif, l’axiome qui ne se discutait pas, le point limite de tout débat » (P, p. 16).

Serge Daney y est revenu plus souvent qu'à son tour : 1944 est sa date de naissance qui est celle du cinéma moderne avec Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. S’il naît avec ce cinéma-là, il ne peut pas ne pas mourir avec lui, voilà ce que prescrit la part tragique du mythe. C’est pourquoi, dans une forme de dandysme mélancolique, sa mort ne pouvait pas ne pas coïncider avec celle du cinéma (P, p. 57).

Le cinéma a été pour Serge Daney un objet d’amour à l’égal de l’apprentissage des langues étrangères, du goût des voyages et du culte de l’amitié (P, p. 11). Un objet d’amour guetté par les douloureux excès de la passion. « L’amour du cinéma ne veut que le cinéma ; la passion, elle, est excessive : elle veut le cinéma et elle veut qu’il devienne quelque chose d’autre, elle veut même l’horizon où le cinéma s’abolira à force de métamorphose, elle ouvre son objet sur l’inconnu » (M3, p. 191). Du critique cinéphile, voyageur et mélancolique, Serge Toubiana disait qu’il était un « atlas vivant » mais Atlas nomme aussi un titan vaincu, sommé de porter tout le poids du monde sur lui.

Le « vaillant » pour Youssef Chahine (SD, p. 68) est une « sorcière » pour Danièle Huillet et Jean-Marie Straub (SD, p. 86). Pour Thierry Jousse, Daney était un « mélancolique gai » (SD, p. 186). Gai comme le savoir peut l’être pour ce grand lecteur de Nietzsche mais aussi de Robert Musil, Jean Paulhan et Maurice Blanchot parmi ses écrivains préférés. Et mélancolique pour celui (comme Jacques Demy) qui ne valorise ni ne fétichise l’objet perdu à la différence du nostalgique (comme Wim Wenders) parce que la perte est l’ombre du présent, son arrière-goût immédiat et incessant. La mélancolie est affectivement « un drôle de temps (…) comme un court-circuit entre le futur antérieur et le passé antérieur » (M3, p. 296).

On pourrait légitimement parler d’un effet-Daney comme il y a eu un effet-Bazin, un effet-Langlois, un effet-Godard, un « effet-Foucault » (M3, p. 221), même un « effet-vidéo » (M3, p. 277). Il y aurait tout lieu alors de tenter d’en mesurer le rayonnement depuis les trente dernières années. On sait par exemple à quel point un reportage de Serge Daney auprès de Satyajit Ray a nourri le désir chez Nicolas Klotz de partir pour un grand voyage formateur en Inde dans les années 1980. Mais qu’en est-il aujourd’hui quand les compagnons de route, les amis et les jeunes disciples d’hier, Philippe Garrel et Olivier Assayas, Leos Carax et Xavier BeauvoisAndré Téchiné et Benoît Jacquot, Arnaud Desplechin et Pascale Ferran, pratiquent peu ou prou un cinéma consensuel et installé, tous gestionnaires acclamés d’une marque d’auteur devenue un label culturel ? Et, partant, toujours plus indifférents quant aux urgences et préoccupations d’un penseur qui ne cédait alors ni sur le cinéma ni sur son moment moderne en ne cessant pas l'analyse critique du visuel qui l’englobe et l’anéantit en contrôlant toujours plus nos vies.

Trois régimes d’images

(Daney lu par Deleuze)

 

Dans sa préface au premier volume publié en 1986 du Ciné journal de Serge Daney qui s’intitule « Optimisme, pessimisme et voyage. Lettre à Serge Daney », Gilles Deleuze voit à l’œuvre dans la pensée du critique une périodisation des régimes d’images comme l’historien de l’art autrichien Aloïs Riegl a en son temps distingué trois finalités de l’art : embellir la Nature, spiritualiser la Nature, rivaliser avec elle.

Jusqu’en 1945, un premier âge, classique, est dévolu à la profondeur idéale des images, corrélée à un désir de voir plus et mieux dont les montages associés aux grandes mises en scène politiques sont l’expression achevée. L’embellissement rêvé après la grande boucherie de 14-18 devient manutention humaine et elle a historiquement débouché sur l’horreur concentrationnaire et génocidaire.

Après la guerre, Serge Daney qui en est l’un des enfants voit apparaître une deuxième fonction de l’image, âge moderne qui substitue au plus de voir garanti par la profondeur de champ de l’image la planéité de ce qui doit être soutenu intégralement du regard. Le montage devient alors secondaire au profit du plan-séquence théorisé alors par André Bazin. La profondeur est décriée comme leurre idéaliste puis bourgeois, tandis que la surface engage l’image dans de nouveaux rapports qui ne sont plus d’enchaînements et de continuité dans les raccords mais de ré-enchaînements à partir de coupures, de disjonctions quand se multiplient les chaînes – d’esclaves, d’usines, de télévision. L’encyclopédie du monde est tombée en morceaux et lui a succédé une pédagogie matérialiste de la perception. La spiritualité fait pièce dorénavant de l’embellissement.

Le cinéma demeure toujours conjonction de l’art et de la pensée mais, contrairement aux pionniers comme David W. Griffith et Sergueï M. Eisenstein, Abel Gance et Jean Epstein, l’optimisme métaphysique et l’art des masses ne sont définitivement plus à l’ordre du jour. Le pessimisme est radical en n’empêchant toutefois pas un optimisme critique, curieux d’une création moins triomphante et collective que hasardeuse et minoritaire, moins volontariste que singulière et fragile.

Et puis s’impose une troisième image, une troisième fonction qui est la nouveauté des années 1980. Elle ne concerne plus ce qu’il y a à voir au fond de l’image, et pas davantage l’image comme surface visible et lisible, mais elle cherche dorénavant à savoir comment s’insérer puisque les images glissent les unes sur les autres dans un fondu-enchaîné de moins en moins différencié, paradoxale immobilité. Nouveau maniérisme pour lequel il arrive plus de choses à l’être des images qu’aux êtres humains. Si les cinéastes maniéristes travaillent à partir des images déjà là et n’en sortent pas, ceux qui tiennent encore à la modernité « ont toujours présent à l’esprit que ce qu’ils filment existe en dehors du film aussi, n’est pas seulement du matériau filmique. À partir de là commence la morale. Toujours l’idée de risque » (M1, p. 29).

Au fond de l’image il y a non seulement une autre image mais toutes les images vident les regards captifs du grand contrôle social exercé par la télévision, et plus généralement par le nouvel empire de la communication. Au point que l’invention des démocraties à l’époque postmoderne s’apparente à un phénomène médiatique, ainsi de la « "télé-invention" de la Roumanie » (M3, p. 314).

Il n’en demeure pas moins que le cinéma est « la seule chose dont nous disposions pour nous y retrouver dans les images d’aujourd’hui. C’est un instrument forcément inadéquat, mais c’est le seul » (M2, p. 27). Le cinéma montre, avec lui on voit car « montrer est un geste, un geste qui oblige à voir, à regarder. Sans ce geste, il n’y a que de l’imagerie » (P, p. 78-79). Si le cinéma donne à jouir parce qu’il relève de la dépense improductive chère à Georges Bataille, il montre aussi parce qu’il est une « mémoire anthropologique des gestes » (P, p. 163), « la mémoire biologique du temps » (M3, p. 86). Un bon cinéaste est toujours un sismographe, un « cinématosismographe » comme Daney l’écrit au sujet de Mizoguchi (M2, p. 319). Citant Artavazd Pelechian, Daney écrit encore que le cinéma est une « cardiographie émotionnelle et sociale de notre temps » (M2, p. 412).

Grâce au cinéma et selon une inspiration de Maurice Blanchot, « on n’oublie pas de ne pas oublier » (M4, p. 35). Avec la télévision on visionne, présentisme continu, flux d’images ininterrompus et gâchis absolu (M2, p. 26). Le dernier Mabuse est contemporain du Festin nu de William Burroughs, les derniers Hitchcock des premiers De Palma, la désertion du public de la désertification du paysage filmique, « convulsion cinéma-télévision, où voisinent le pire et l’espoir » (C1, p. 22).

D’un côté, la télévision assure moins une fonction esthétique que sociale, l’insertion dans le contrôle général – Serge Daney avance à ce propos le terme d’« insérage » (C1, p. 111). La télévision n’est jamais du côté du décalage ou du différé mais du direct, du live 24h/24h dont les chaînes actuelles d’infos en continu sont le dernier prolongement. De l’autre, le cinéma en dépit des captures exercées par les États ou le marché n’en a pas pour autant cédé sur sa fonction esthétique et noétique. À la télévision on ne parle que de déontologie en ne cessant de la violer, tandis que les cinéastes demeurent des moralistes plus ou moins rigoureux. Deleuze comprend ainsi la question du supplément cher à Daney, au-delà de son inspiration trouvée chez Jacques Derrida : « conserver des traces en attendant » (C1, p. 16). Mais dans l’attente de quoi ? Public virtuel, peuple à venir.

Le couple Langlois-Bazin se comprend à cette aune-là, deux intercesseurs qui ont montré ce que peut le cinéma. Ce sont deux grands « cinéastes bis », l’un qui a voulu conserver le cinéma en l’installant au musée, l’autre qui a fait l’inverse en défendant l’idée que le cinéma conserve des images du monde. Deux pédagogues aux pratiques éducatives différentes : Langlois parlait par préfaces et écrivait par intertitres, un collectionneur fou ; Bazin réfléchissait à l’ontologie du cinéma depuis la passion des bêtes parce qu’il était obsédé par le réel, sa bêtise et son idiotie, c’est un saint laïc doublé d’un voyeur mystique. Deux montreurs et monteurs dont la quête aurait été au fond la même : « à la recherche du tain perdu », celui de cet étrange miroir qu’est le cinéma (C2, p. 41).

Alors se repose à nouveaux frais la question du voyage. Jean-Claude Biette a noté chez Daney l’homologie (tennistique) de l’écriture critique et de la parole didactique avec la pratique de la marche à pied, fond de court et montée au filet (E, p. 9-10). « Par moment j’ai préféré marcher, c’est-à-dire parler avec mes jambes, plutôt que parler, c’est-à-dire marcher avec ma bouche – mais c’est au fond la même chose » (P, p. 121). L’écriture critique comme « carnet de route » (DR, p. 92) et le tennis comme « un réservoir de métaphores » (C1, p. 45). « Moi, je n’ai pas été un grand serveur, mais, je crois, un bon relanceur, comme Jimmy Connors » (P, p. 79).

Concernant la question du voyage chez Daney, Deleuze distingue quatre réponses issues de l’histoire et de la littérature. La première réponse, celle de Francis Scott Fitzgerald, indique qu’il n’y a pas de vrai voyage s’il n’y a pas rupture du voyageur avec son sac d’habitudes. La réponse de l’historien Arnold Toynbee consiste à rappeler que le voyageur poursuit un idéal nomade dérisoire parce que le nomade est celui qui s’accroche justement à la terre dont on l’arrache. Celle de Samuel Beckett propose de dire que l’on ne voyage jamais pour le plaisir tautologique de voyager. La quatrième réponse, celle de Marcel Proust, pose enfin que l’on ne voyage que pour aller vérifier dans le monde quelque chose relevant de l’inexprimable en soi. Moyennant quoi, Deleuze suggère le caractère ambigu des voyages de Daney qui balance entre pessimisme et optimisme critiques, entre un monde qui fait un cinéma ressemblant toujours plus à la télévision et un cinéma qui est en lui-même un monde, un voyage dans l’inconnu, pays supplémentaire sur la carte comme l’a dit un jour Godard. Un pays en plus que l’on adopte pour être adopté par lui en retour (P, p. 39). « C’est incroyable à quel point le cinéma, c’est un pays, une famille, un langage » (C2, p. 116).

Peut-être la vidéo pourrait permettre de rebattre à nouveaux frais les cartes, entre les vitesses et les accélérations optiques et cinétiques promues par le cinéma hollywoodien et les décélérations et ralentissements matériologiques du cinéma soviétique. 35 ans après Kubrick ou Coppola et Paradjanov ou Tarkovski, la vidéo n’est plus une troisième voie dès lors que le numérique a tout avalé et que la télévision est devenue World Wide Web, toile réticulaire et réseau planétaire. Le cinéma n’a jamais été aussi capitalisé, aussi industrialisé, et ses artistes aussi minoritaires. Le cinéma, art minoritaire et divertissement populaire, ses deux faces jamais autant séparées qu’aujourd’hui. Pourtant la machine cinéma s’est technologiquement allégée, petites machines portatives à la portée de n’importe qui.

Le cinéma n’en reste pas moins un travail nécessaire qui demande du temps, dès lors qu’il y a encore lieu de ne pas céder sur son désir qui est celui de passer autrement dit de penser, de vibrer dans sa chair et dans celle de l'autre avec des images qui ne soient pas de l’imagerie. Penser autrement dit avec des plans, penser le monde en tant qu’il reste hétérogène à la somme de ses images, le penser et le panser avec son cortex autant qu’avec toute sa sensibilité.

Le contraire du théâtre

(68, lendemain de fête et gueule de bois)

 

 Le cinéma est le lieu du plan en tant qu’il est la trace du temps et a la garde du hors-champ, le lieu de la suture et de l’hétérogène dont le montage est garant, le lieu du geste qui montre et de la place du spectateur. Le contraire du théâtre (de la charité) c’est le cinéma (de la cruauté) (R, p. 10-11).

Aimer le cinéma a d’abord exigé de le soustraire du « théâtre de la honte », celui des entractes et des attractions qui faisaient tant peur à Daney quand il était enfant. Et quand il n’est pas bien filmé par Pagnol et Guitry, Renoir et Oliveira, le théâtre revient mais très mal. Le théâtre n’a pas cessé de revenir avec son imaginaire bourgeois de la présence pleine au service de la représentation sans différé (M2, p. 8). L’imaginaire soixante-huitard aura d’ailleurs été théâtral plutôt que cinématographique (R, p. 51). Au début des années 80, l’autocritique a ouvert au critique menacé de militantisme dogmatique le rebond vital d’une réinvention journalistique de soi afin de ne pas se laisser noyer par la mélancolie d’un gauchisme qui n’est pas passé dans la représentation, même pas gauchi. Peut-être parce que la France aime moins se regarder dans le tain des films à la différence de l’Italie ou des États-Unis et que Mai 68 demande moins de romanesque que de la sociologie.

Apparaissent avec les années 80 de nouvelles problématiques politiques et sociales qui autorisent le critique à continuer à être un observateur lucide mais autrement. Par exemple, le retour de la religion vérifie que la laïcité révèle peut-être une « pseudo-religion » qui fait écran à l’abandon de l’école au marché. C’est encore la coïncidence des voiles qui apparaissent à l’école et de la chute du Mur de Berlin invitant moins à juger et blâmer les victimes qu’à se demander avec perspicacité ce qu’il se passe réellement de l’autre côté des interfaces, champ-contrechamp, dialectique toujours (E, pp. 171, 183-184).

Économie politique : la bourgeoisie a non seulement le monopole des images filmées mais aussi celui des mises en scène de la réalité dont ses dispositifs sont le relais, de la ville à la salle en passant par la télévision (R, p. 55). On n’y oppose pas le direct brut ou le réel sauvage mais une autre mise en forme. La critique politique reste dialectique, même quand le gauchisme reflue et que la bourgeoisie a disparu de la sémantique journalistique (R, p. 56).

Le cinéma a besoin de lumière mais sa part d’ombre y est aussi grande, c’est pourquoi il n’est pas photo-logie qui est confusion entre vision et connaissance (Jacques Derrida). On reconnaît avec le vieux mythe spéculaire de la connaissance la dialectique de l’aveuglement et de la clairvoyance décrite par Louis Althusser (R, p. 17-18).

Le cinéma comme industrie est une machine à apprivoiser, il est niveleur par nature, anthropomorphisme et ethnocentrisme (R, p. 20-21). Howard Hawks et André Bazin demeurent des figures aimées tout en nommant cependant un double risque : l’obsession du même et ses clivages secondaires (le clivage des amateurs et des professionnels chez Hawks recoupe celui des maîtres et des valets chez Jean Renoir, des majorités et des minorités chez John Ford) et le fétichisme du direct (le naturalisme qui n’est pas celui de la pulsion mais du naturel et de l’effet de réel).

Il n’empêche, Rio Bravo. Le film découvert en 1959 est l’objet du tout premier texte critique écrit par Serge Daney à l’âge de 18 ans, publié dans l’éphémère revue Visages du cinéma créé par l’ami Louis Skorecki en 1962. Le film des commencements reste celui de la première des leçons. Comme l’a bien raconté Antoine Bernardini, Daney y a appris entre autres à repérer le détail qui change tout, à ne pas juger les gens ni les mépriser en donnant à chacun sa chance, à rester lucide sans verser dans le cynisme, à faire face avec distance et humour au danger (SD, p. 133).

Il n’empêche, Fritz Lang. Le cinéaste allemand exilé à Hollywood est celui qui a poussé le plus loin le calcul des causes et des effets tout en faisant pressentir qu’un seul accident, qu’un seul accroc idiot peut tout anéantir. La calculabilité est l’écrin de l’imprévisible et de l’incalculable, le dispositif au service du grain de sable qui va le gripper, le cinéma plus fort que la télé (C1, p. 31).

Il n’empêche, John Ford. « Un des grands artistes du cinéma » parce qu’il a su filmer avec une telle vitesse que chacun de ses films en contient toujours deux, celui fait « pour conjurer le temps (en étirant les récits, par peur de finir) et un autre pour sauver le moment (celui d’un paysage deux secondes avant l’action) » (D, p. 39).

Le cinéma a fait toujours leçon pour ses cinéphiles en étant « une gigantesque machine asociale qui a, paradoxalement, appris à des millions de gens à vivre avec les autres, donc en société, mais en n’oubliant jamais qu’il n’y a pas que la société au monde » (E, p. 288). Si le monde disparaît à l’horizon du social, il n’y a plus alors que du village, même global, et des gardes champêtres pour en assurer la surveillance, le gardiennage pastoral. L’un d’entre eux est la télé qui est un « mentir-faux » auquel s’oppose le « mentir-vrai » du cinéma (E, p. 293). Quand « l’image perd, c’est le gri-gri qui gagne » (D, p. 136).

Il y a une obscénité du cinéma quand un regard épie ce qu’il ne pourra jamais rendre à la chose épiée. Et l’obscénité devient pornographique quand le regard qui épie est retourné à l’envoyeur en toute connaissance de cause – c’est le passage du néoréalisme rossellinien au voyeurisme hitchcockien, double polarité de la cinéphilie Cahiers. Il y a une pornographie intrinsèque au cinéma quand il prélève des images et des sons pour les projeter sur une autre scène qui est, dans le noir de la salle, celle de notre jouissance déniée. La découpe « des livres de chair d’images dans le réel même », fantasme bazinien, ne tient qu’à fonctionner dialectiquement, dans le « rachat de ce qui a été ainsi cadré, prélevé, mis en lumière » (P, p. 85). « Ruse suprême : on rend les images et les sons comme on rend les honneurs : aux morts » (R, 95). Redonner à rebours de toute séduction images et sons à qui on les a pris est ce qu’a fait Godard (Ici et ailleurs, 1975) quand, pour Robert Kramer (Milestones, 1975), ceux qui sont filmés parlent des absents qui ne le sont pas (R, p. 94-100).

À l’époque dite « non légendaire » des Cahiers période Mao, deux ennemis théoriques et pratiques (à gauche) sont identifiés : la mode anti-rétro qui est scandaleuse en traquant la jouissance éternelle dans la servitude et la passion perverse des victimes pour leurs bourreaux ; les fictions de gauche qui font commerce culturel du patronage brechtien sans rien remettre en cause des rapports de production du cinéma (R, p. 75). C’est le temps héroïque et dogmatique du « signe égal entre le critère esthétique et le critère politique. Dire : "Tout manque au niveau formel doit nécessairement renvoyer à un manque au niveau politique" » (M1, p. 315). D’un côté, les films politiques se réduisent à des constats sociaux, des dénonciations faciles, des prises de conscience volontaristes. De l’autre, ceux qui critiquent l’état des choses politiquement ressemblent davantage à des zones d’autonomie relative où la question, cruciale, est « comment faire pour rester où on est, pour continuer comme avant ? » (C2, p. 124). Un auteur bien élevé comme Volker Schlöndorff en vient à flancher quand, avec Le Faussaire (1982), il part filmer Beyrouth sous le siège israélien en pensant bêtement que faire spectacle de l’horreur permet de témoigner de l’horreur du spectacle de l’horreur (C1, p. 69).

Dans le cinéma militant pratiqué à l’époque, le commentaire devient comment-taire pour citer Pascal Bonitzer (R, p. 165). La voix off est l’instrument souvent élu qui force l’image du côté de la propagande, lieu de tous les pouvoirs et de tous les oublis (R, p. 172), avant que la rhétorique publicitaire ne lui emboîte avec une autre efficacité le pas (M1, p. 502). Repensons alors à Robert Bresson pour qui le spectacle de la voix qui sort de la bouche se trouve réduit au minimum, voix laconiques et paroles assourdies. Du côté du cinéma de divertissement qui se refait une santé au même moment, les films catastrophe comme ceux de Steven Spielberg nous donnent à désirer la crise au nom d’un désir plus grand de retour à la normale, désir fascisant qui recoupe la double position problématique de l’identification chasseur-chassé qui est moralement irresponsable (R, p. 123-124). Dans sa version disneyienne (le méchant requin gris de Jaws a été remplacé par l’étron ET), le ventre du monstre est une machine à ingestion de tous et les spectateurs ont tout intérêt à s’inclure dans les cercles concentriques des mamours dont le compte est aussi affaire d’imaginaire frelaté, de profits lucratifs et de produits dérivés (C1, p. 204-207).

Après l’époque des années Mao, le temps n’est pas au solde rance des vieux comptes. Daney n’a pas rejoint le camp des renégats médiatiques de 68 même s’il cède plus souvent qu’à son tour sur la réflexologie cool des esthètes postmodernes d’alors, Jean Baudrillard, Gilles Lipovetsky, Michel Maffesoli. L’adepte mélancolique de la « fin des grands récits » conceptualisée par Jean-François Lyotard bute en passant sur un concept aussi creux que celui de populisme (D, p. 152). On repère aussi, partagée par Jacques Rancière, une haine péniblement réitérée de la sociologie, rien moins qu’une « imposture » avec pour ennemi principal ce pauvre Pierre Bourdieu (M4, pp. 194 et 198), à laquelle est naïvement préférée l’ethnologie comme le monde est préférable à la société selon une dichotomie peut-être fautive d’être idéaliste.

Le bilan des années Mao n’en reste pas moins critique : dur quand d’un côté il identifie la comédie de l’idéal ; plus dur encore quand il évoque de l’autre l’échec pathétique du militant « bêlant et floué et, qui plus est, souvent, avec du sang sur les mains » (E, p. 298). L’époque change, a changé, il faut le voir pour le savoir, voir la vague qui reflue derrière soi et voir celle qui monte devant soi. « Les années soixante avaient eu la grâce, les années quatre-vingt auraient la graisse, les années soixante-dix furent vaches et furent maigres » (E, p. 302).

Classique et moderne,

maniérisme et nouvel académisme

L’histoire du cinéma recoupe l’histoire du 20ème siècle quand elle ne se superpose pas avec elle. Le cinéphile est l’historien de son objet d’amour et le deuil d’une certaine idée du cinéma ne suffit pas. « En fait, je crois que le temps est venu pour chacun de se faire (l’histoire de) son cinéma, parce qu’il n’est pas sûr qu’il n’y en ait pas plusieurs » (M3, p. 8). Une fois cela dit, on voit que le cinéma a ses blocs d’histoire et de géographie : le cinéma américain est celui de la loi du rendement maximum et de la fiction cathartique, le cinéma européen celui du deuil des grands récits et des désœuvrements qui ne font pas recette. Les Américains ne laissent aucun vide parce que tout peut servir quand le cinéma européen a fait un bon accueil à l’intervalle, à l’écart qui permet de voir ce qui passe ou ne passe pas entre les choses (M1, p. 87). « Un grand film, disait Langlois, est celui où l’on sent de l’air entre les personnages et le décor » (M3, p. 75).

Le cinéma français est en particulier celui d’un mot à mot qui tourne au corps à corps (R, p. 161). Le cinéma polonais est une oscillation rusée entre la reconstitution léchée de l’Histoire et la peinture abrupte d’un quotidien vomi (M1, p. 481), le cinéma chinois celui d’un exhibitionnisme des sentiments aux limites de l'exacerbation pornographique (C1, p. 136). Au Portugal, le pays existe si peu, en bout de table de l’Europe, tout en existant si fort sur la carte du cinéma. En Algérie, une fois les espoirs déçus avec la libéralisation promue par Chadli Bendjedid qui est une liquidation du cinéma étatique, la seule vraie œuvre est peut-être celle du public grâce au travail d’éducation de la Cinémathèque d’Alger (M3, p. 399). Au Japon c’est autrement compliqué : Tokyo est une capitale électronique mais son cinéma reste, assez classiquement, celui de la perversion de ses habitants et de la cruauté de leurs ethnographes. Chez Mizoguchi, les individus se retrouvent en face de ce qui les brise, chez Ozu ils ne sont pas à la hauteur de ce qui les fait tenir debout, chez Naruse ils endurent ce qui se dérobe à eux.

Si le cinéma a ses industrieux et ses singularités, ses pôles molaires et moléculaires, ses stars et ses auteurs, ses fictions et ses documentaires, même fragmenté ou polarisé, il n’en demeure pas moins qu’« il y a un seul monde d’images » (C1, p. 160).

Il y a pourtant un clivage qui vaut moins comme ligne de démarcation que comme ligne de faille et ligne de fuite : modernité. Moderne est le cinéma qui a enregistré les blessures de l’Histoire en les rendant « incicatrisables » (E, p. 51), qui s’est colleté avec l’infilmable et l’inavouable comme la torture chez Rossellini et Resnais (M2, p. 30). Moderne est le cinéma qui a donné dignité à des formes marginales et méprisées (R, p. 19), aussi qui a ralenti le mouvement au bénéfice du temps étiré jusqu’à « l’arrêt sur l’image » des 400 coups devenu aujourd'hui un gimmick publicitaire (M3, pp. 8 et 319-323), qui tire également (son épingle) du jeu depuis les mailles serrées du spectacle généralisé et la saturation des images qui le caractérise avec la télévision pour dispositif privilégié.

Grand moment moderne, la Nouvelle Vague est la « première génération de cinéastes-cinéphiles de l’histoire » en se théorisant elle-même avec les Cahiers (M2, p. 551). La reconnaissance de ses maîtres et pairs ne va pas sans critique aussi quand Daney repère dans la Nouvelle Vague « une discrète pédophobie » (M4, p. 62). La communication est devenue l’enjeu des modernes qui ont compris que le cinéma ne suffirait pas, qu'il ne suffirait plus à l’ère de l’audiovisuel. D’abord avec Rossellini avec son projet d’éducation populaire ; ensuite avec Godard qui est son meilleur disciple mais aussi son plus indiscipliné. La communication, l’audiovisuel, les médias, un milieu comme on parle de milieu pour la mafia. « Comme Welles, Godard aura vécu le passage entre l’implosion du cinéma et l’explosion des médias » (M2, p. 505). Parce que si l’on ne s’occupe pas de la communication dont l’empire excède largement le champ de la télévision, c’est elle qui va s’occuper de nous et de nos désirs en les transformant en informations et en marchandises, parts de marché et audimat, temps de cerveau disponible toujours déjà compris par celui qui écrit dès 1988 que « la télévision ne consiste pas (contrairement au cinéma) à proposer des programmes à un public mais à vendre ce public aux annonceurs » (M3, p. 623).

Après la modernité ? L’épuisement de l’idéal progressiste est associé à l’inflation insoutenable de l’individualisme possessif et du progrès technologique, postmodernité ludique et hyper-modernité apocalyptique, fragmentation sociale à l’échelle globale et recompositions communautaires et identitaires. Intuition de Daney quant à la possibilité de l’Internet : « La connexion, via le téléphone et l’ordinateur, de tous avec tous est de moins en moins inimaginable » (E, p. 338). Monde de gadgets télé-technologiques comme un « hochet hypnotico-ludique », monde saturé de « croyances portatives » (E, p. 339). Le passage domestique de la salle de cinéma à la salle de séjour tient moins de la métamorphose que de l’anamorphose, avec de la perte (l’incarnation, la séduction), mais du gain aussi (la frontalité touchant au squelette, au système nerveux) : « les générations à venir découvriront le cinéma avec sa perte » (D, p. 11).

La photo retient une fois pour toute, le cinéma retient un instant, la télé ne retient plus rien – elle n’a plus aucune retenue (R, p. 92). Le cinéma aimé est celui qui permet « de passer de l’inconscient de la société à une certaine conscience des singularités qui la peuplent, mais pas plus » (M4, p. 201-202). Un cinéaste reste un accoucheur, la maïeutique est son éthique. Regarder la télévision c’est au contraire sonder l’inconscient d’une société en faisant ses poubelles. Un inconscient qui ressemble à une drôle de bête, un étrange animal « dhommestique » comme le dit Daney en citant pour s’amuser une nouvelle fois Lacan (M2, p. 876). Et quand on ne tombe pas par hasard sur un trésor (de guerre), c’est pour remarquer à quel point les déchets sont radioactifs (SD, p. 153)

La télévision tient à la fois du « droit de cuissage » sur les images de cinéma, d’une « entreprise de maquereautage généralisé » (M3, p. 650) et de « l’espace public poubellisé » (P, pp. 135 et 162). Elle est comparable à « une décharge publique, à l’inconscient à ciel ouvert, sécrété jour après jour par la société tout entière » (M4, p. 204). La télé est moins le lieu des débats de société que la scène de leur simulation consensuelle déguisant une prescription dogmatique d’opinions (M1, p. 529). « Un supermarché est la collection des marchandises achetables. La télé est le supermarché des images visibles » (M2, p. 960). Avec le règne de ce que Daney a qualifié de « visuel », les images ne viennent plus qu’en tant qu’elles ont été expurgées « de tout risque de rencontre avec l’expérience de l’autre, quel qu’il soit » (E, p. 295). « Le visuel est sans contre-champ, il ne lui manque rien, il est clos, en boucle, un peu à l’image du spectacle pornographique qui n’est que la vérification extatique du fonctionnement des organes et lui seul » (D, p. 163). Le « visuel » désignerait encore « la vérification optique d’une procédure de pouvoir quel qu’il soit (…), procédure qui n’appelle, pour tout commentaire, qu’un "reçu cinq sur cinq" » (M3, p. 335).

Voir sans hystérie le jeu des contradictions est le fait des grands films modernes (C1, p. 36) et sa forclusion de faire spectacle de leur escamotage (R, p. 110). Diviser est un geste moderne en préférant aux évocations émues et rassembleuses les contradictions vivantes du contemporain (M1, p. 25).

Moderne est le cinéma qui part non pas des êtres humains mais de leur environnement, milieu social, culturel, environnemental. Le classicisme est un humanisme, la modernité est anti-humaniste mais au sens précis du terme, foucaldien et althussérien. Son problème n’est pas l’Homme avec un grand H qui peut être une grande hache quand il s’agit de l’Histoire (Ford et Walsh, optimistes hollywoodiens avant de s'assombrir avec l’âge par le pessimisme) mais l’espèce humaine et son anéantissement avéré (pessimisme rossellinien d’emblée avant d’opter pour l’optimisme télévisuel). Avec l’humain vient l’inhumain qui est aussi « de la technique, du machinal, de l’impensé » (E, p. 331). L’anti-humanisme du cinéma moderne a également permis l’avènement d’une nouvelle figure, l’apparition d’un nouveau sujet, la femme qui, chez Rossellini et Bergman, chez Godard et Antonioni, se substitue à la Femme qui n’existe plus parce qu’elle n’a jamais existé.

Moderne consiste à réitérer l’expérience première de la disjonction, exemplairement pratiquée par le « duovidu » appelé pour rire le « strobgodar » (R, p. 76-77). Qu’il y ait de l’écart entre les êtres et les choses est ce dont la publicité a perdu jusqu’au souvenir (D, p. 43). Qu’il y ait de l’entre (l’espace chez Kurosawa, les inserts chez Robert Kramer, l’échange inégal entre filmeurs et filmés, la passion jazz du cadre et la fatigue requise dans l’exploration du réel par Johan van der Keuken). Qu’il y ait de l’intervalle comme chez Dziga Vertov mais, contrairement à son rêve d’une communication intégrale dont le communisme a été le programme idéalisé, pour seule fin de désenlacer les images (M2, p. 835).

Qu’il y ait du jeu et du capitonnage, qu’il y ait de l’altérité et de l’hétérogénéité parce que la matière résiste – qu’il y ait autrement dit du montage. Le cinéma est toujours du côté de la rencontre avec l’autre, sa variante postmoderne du côté de sa rassurante domestication (M3, p. 140). Une formule de Daney, et très godardienne, est tout à fait claire à ce sujet : « Le montage : horizon indépassable d’un art dépassé : le cinéma » (E, p. 110).

À partir d’une inspiration rohmérienne, Daney pose que le plan se distingue de l’image en ceci : le plan est un « bloc insécable d’image et de temps ». Le plan nomme l’image et son supplément, à savoir le temps qu’il est nécessaire pour l’habiter en ne se suffisant pas de sa beauté qui est « la conséquence automatique d’une recherche de la vérité » (E, p. 84). Un plan « c’est le temps qu’il faut pour remplir une image de sons » (M3, p. 198). Musique, respiration, rythme, il y a plan quand il y a battement, écho et résonance, quand « ça respire entre les images » (E, p. 22). On emprunte alors les sentiers qui bifurquent pour prendre son temps. Prendre son temps c’est aussi le perdre « pour finir par en gagner, inventer du temps perdu » (D, p. 26). Sinon c’est de l’Image qui nomme ce qui à travers les plans se répète à l’identique. Et l’Image qui n’est plus respiration entre les plans a cessé d’être une balle (de tennis) du genre de celle « que partagent un émetteur et un récepteur, un serveur et un relanceur » (E, p. 30).

Contre l’Image, le plan atteste alors « qu’il n’y a d’image que s’il y a de l’autre et qu’il n’y a d’autre que s’il y a une histoire qui est racontée » (E, p. 343). Ainsi, à propos de Yeelen de Souleymane Cissé, Daney écrit que si « les plans sont le sol du film, l’image en est l’horizon » (M3, p. 424).

Temporalité et altérité, il faut travailler et repenser à ce qu'en cinéma travailler veut dire : chez les auteurs les plus jeunes comme Carax, le thème romantique de l’Artiste (au travail) l’emporte plus souvent qu’à son tour sur le thème romanesque du travail (artistique), qui engage comme on le voit chez Rivette résistance et durée (M4, p. 80-81). Les jeunes réalisateurs savent ce qu’ils veulent mais comprennent moins ce qu’ils peuvent et qui est pourtant le plus important (M4, p. 193).

Dialectique des images, un, deux, trois (comme les enfants allemands disent : « eins, zwei, drei, die Kuh ist mit dabei », soit « un, deux, trois, la vache est là »). Entre l’image unique élue comme un fétiche audiovisuel et son catéchisme médiatique, il y a l’image zéro en tant qu’elle manque (et dont le manque est celui, dit Daney, de toute possibilité de liberté collective), image absente, image manquante (M4, p. 149). Et il y a l’image deux, c’est-à-dire deux images pour que l’une puisse critiquer l’autre et réciproquement. Image 0, jouissance ; image 1, plaisir ; image 2, désir (E, p. 176-177). La dialectique des images est l’exorcisme de leur fétichisation (M1, p. 301). C’est en se jouant à la frontière de deux champs de force que l’image peut témoigner d’une différence de potentiel, d’une certaine altérité comme un acteur ou un danseur a la passion immémoriale d’être un autre (M4, p. 151). « L’image est toujours plus et moins qu’elle-même » (D, p. 163).

Cette dialectique des images en recoupe une autre, celle des points de vue (E, p. 197). Le point de vue unique a peu de succès en s’abolissant dans son rapport mystique au réel, c’est une confiscation obsessionnel de l’imaginaire du spectateur. Le double point de vue est commercial en posant l’équivalence marchande des positions incommensurables, chasseur-chassé comme chez Spielberg, il s’agit là d’une identification hystérique. Le cinéma à n points de vue est enfin le plus important, l’égalité démocratique s’y substitue à l’équivalence abstraite et marchande, cinéma polyphonique, critique et libertaire, solitaire et peuplé, paranoïaque et carnavalesque comme celui de Jacques Rozier et Jean-Pierre Mocky, Federico Fellini et Jean-François Stévenin. Ce qui continue d’importer : « que toute image implique un point de vue, que tout point de vue divise, que toute division est productive » (M1, p. 202).

Et l’académisme ? Un jeu de mots : « quand le rendu l’emporte sur le prêté » (M3, p. 138). Daney l’apparente dans les années 80 au retour du cinéma de la qualité des années 50, « Nouvelle Qualité Française » (NQF) qui est la vieille tradition française ripolinée à l’heure de la postmodernité. « L’académisme (...) n’est jamais que le sérieux désabusé avec lequel on adopte la forme la plus traditionnelle et la plus usée pour signifier par là qu’aucun contenu ne mérite d’être travaillé par le souci d’une forme nouvelle. C’est une démission certes, mais quant au fond aussi » (C2, p. 179). Ère du « docudrame » et de la « dramatoque », ère et de « l’espéranto du téléfilm » (M2, p. 828). Deux moments symptomatiques : la pétition des critiques favorable en 1982 à Une chambre en ville de Jacques Demy contre L’As des as de Gérard Oury fait plouf ; sept ans plus tard, le référé en justice de Claude Berri lui permet sans faire broncher la profession de répondre dans Libé à la critique de son Uranus. La critique française aura alors été ramenée à sa place qui n’est (plus) rien que la promotion élective ou élitaire des préférences (pour tel ou tel film), sans plus jamais déroger à l’hypocrisie bourgeoise du consensus dévolu à protéger en France l’exception culturelle.

Dans la perspective du cinéma moderne, la révélation inaugurale a été associée au cinéma d’Alain Resnais, moins le héraut des labyrinthes savants de l’imaginaire que l’arpenteur des circonvolutions du cerveau court-circuité par l’inimaginable qui a eu lieu. Pour Daney, élève du professeur et critique Henri Agel au lycée Voltaire et premier d’entre tous les passeurs suivi par Langlois et Bazin, c’est le triple choc de Nuit et brouillardHiroshima mon amour et Muriel ou le Temps d’un retour. Resnais demeure le premier grand cinéaste français à avoir compris que la modernité tient en cinéma de l’écriture du désastre (Maurice Blanchot).

Le cinéma est une machine à retarder la prise en charge du vu par le déjà-vu (qui est du déjà-dit et du déjà-joui) en montrer ce qui ne l’a pas été (R, pp. 23 et 87). Montrer, pas signifier : ontologie, pas sémiologie, André Bazin aura toujours raison contre Christian Metz. Car ce qui définit « une image, une vraie, c’est le défi qu’elle lancera toujours à une lecture qui ne ferait que la décoder » (M3 p. 734). Alors l’image résiste (R, p. 65). L’image résiste au sens où il y a un reste qui est celui dont se soutient toute image comme le note Jacques Lacan dans son séminaire Encore. Ce reste est le plan, temps gagné en tant qu’il est perdu pour la communication et la calculabilité du marché. Même si le jamais-vu peut être rattrapé plus vite qu’il ne le croit par le déjà-vu et c’est le cas avec les meilleurs comme Coppola (C1, p. 178). Le réalisme si l’on tient à ce mot n’est à gagner qu’en faisant voir la cruauté réelle des mises en scène naturalisées par le naturalisme (Jean-Louis Comolli). De Stroheim et Dreyer à Renoir et Mizoguchi en passant par Bazin qui a théorisé la cruauté en tant qu’elle est l’affaire morale du cinéma, le réalisme au sens fort a tout à voir en effet avec le cru et le cruel, balançant entre l’enregistrement mortifiant et la sophistication du sadisme.

Le réel est la rencontre ratée, l’occasion manquée, un trou (noir), ce qui ne vient jamais deux fois, ce qui ne revient pas et dont, partant, on ne revient pas – le réel est le reste qui résiste (R, pp. 98 et 144). Le réel interrompt les fictions consensuelles et les continuités logiques, il est un symptôme marquant ce qui ne coïncide pas et ne se réconcilie pas. L’axiome (barthésien) des Cahiers « c’est que le cinéma a rapport au réel et que le réel n’est pas le représenté – et basta. Et que le réel n’attend pas. Et que le temps n’est pas donné, qu’il faut l’inventer, le faire, le gagner » (E, p. 301). Le réalisme consiste alors à hasarder une image là où il n’y avait rien, en faisant passer du potentiel au réel (R, p. 177-183). Mais en ne cédant jamais sur la vérité de l’inscription vraie : s’il y a bien quelque chose qui s’inscrit matériellement sur le film, on ne sait pas ce que c’est, il n’y a que la trace qui soit sûre, non pas son sens qui s’en trouve suspendu quand il n’est pas « inévident » (Fabrice Revault d’Allonnes).

Le film tient à la fois du relevé de trace, du dispositif d’écriture et du « palimpseste » (R, p. 28). Double polarité, enregistrement (phénoménologie et ontologie) sur un versant, sur l’autre suspension et dissémination du sens (structuralisme et différance). « D’un côté, il n’y a de vérité que de l’enregistrement (présent absolu) mais une fois que c’est enregistré, ça se met à signifier, à référer, à historiser » (E, p. 306).

Comme le tennis et la corrida, le cinéma est l’art du présent et « la mélancolie est sa doublure instantanée » quand on sent passer à chaque plan comme chez Demy « l’aile du "cela aura été" » (P, pp. 34 et 89). Le cinéma est un art du présent, donc il est un art du temps, fatalement : « Le cinéma pour moi, ce n’est pas du tout l’émerveillement devant l’image qui bouge. Mais la réverbération du son, le sentiment du temps, le compte à rebours, la fatalité. (...) Pour moi, l’essence des grands films, c’est l’invention du temps » (M4, p. 189). Ce qui n’empêche pas, contradictoirement, Daney de pester contre le futur antérieur qui serait, selon lui, aussi « le temps propre à l’audiovisuel » (M4, p. 153).

La modernité en cinéma tient ainsi à dialectiser le dépôt de la trace et la non-évidence de son sens, autrement dit à repenser dans le champ même du film la polarité asymétrique du documentaire et de la fiction. La dialectisation est repolarisation dynamique du documentaire qui est la part de l’enregistrement ontologique et de la fiction qui est la part du récit liant-déliant ses figures, avec le documentaire qui sécrète de la fiction et la fiction qui se documente elle-même. En revenant sur Ana d’Antonio Reis et Margarida Cordeiro, Daney propose la distinction suivante : « la fiction c’est se remettre au milieu du monde pour raconter une histoire. Le documentaire, c’est aller au bout du monde pour ne pas avoir à raconter » (C2, p. 31).

On n’énonce bien qu’en prenant en charge le dispositif même de l’énonciation (R, p. 80). Si la critique a été poussée assez loin sur le versant de la représentation qui est aliénation quand on laisse à d’autres le soin de gérer ses propres intérêts, l’idée de représentation retrouverait sa légitimité à l’heure où la télévision n’est plus animée que par des présentateurs. Être représenté, oui, « mais sous notre propre surveillance » (M3, p. 10-11). Aller à l’école, ce n’est pas retourner dans l’école des instituteurs de la République, c’est se faire et se faire faire sauvagement la leçon. La salle de cinéma n’est pas une autre salle de classe mais un lieu vide, son écran est noir comme un tableau mais la pédagogie est perverse et contrariante. Le didactisme n'instruit en aucune manière ni le discours de l’universitaire ni celui du maître (R, p. 86-88). Le plan noir y sert surtout à rappeler que le blanc de l’écran est toujours déjà saturé de clichés qu’il faut ensuite et patiemment décaper. « Un cliché, ce n’est ni vrai ni faux, c’est une image qui ne bouge pas. Qui ne fait plus bouger personne » (C1, p. 32).

Si le cinéma classique a su produire la profondeur comme leurre, le cinéma moderne a assumé la non-profondeur de l’image afin de lutter contre le bouclage de la pulsion scopique entretenue par l’illusionnisme lucratif du spectacle (R, p. 208-209). Les regards-caméras y sont anonymes en n’étant soutenus par aucun vedettariat. Les corps y sont opaques et hétérogènes, corps singuliers et non interchangeables. Le cinéma n’est le lieu de l’autre que pour autant qu’il n’y a pas de grand Autre mais seulement des autres, une multiplicité mobile et ouverte. La différence entre le documentaire et la fiction est autrement formulée par Godard : « Si fiction = ce qui m’arrive à moi, alors documentaire = ce qui arrive à l’autre » (E, p. 316 ; D, p. 147).

Des autres, une multiplicité, des multitudes – altérité et hétérogénéité. Pas de Cinéma Africain en majuscule par exemple, mais des expériences éparses et singulières, rares et précieuses, l’expérience Ousmane Sembene, l’expérience Souleymane Cissé, l’expérience Youssef Chahine (C1, p. 71). Une certitude issue de l’héritage bazinien : « le cinéma n’a de sens qu’impur. Mais impur signifie transitif. Qu’il vise quelque chose qui ne soit pas lui » (E, p. 105). Sinon le moderne vire vite au maniériste, à l’image qui n’a pas d’autre fin qu’elle-même, à la préférence de la manière contre la matière qui est l’angélisme de Wim Wenders dans les années 1980 (M3, p. 114). « Inventer ce qui existe » est une définition de la modernité quand « reconstituer ce qui a semblé » serait celle du maniérisme (D, p. 15). Sinon on retombe sur les vieilles lunes de l’académisme qui, même reflétées dans les dorures de la pub, tombent toujours dans le caniveau, n’est-ce pas Jean-Jacques Beineix ? Mais, au fait, qui se souvient de Beineix aujourd'hui ?

C’est une autre partition proposée par Daney, toujours partant pour diviser si c’est pour mieux dialectiser : « Il y a cinéma là où il y a rencontre (voyage, trip, expérience), il y a audiovisuel là où il où il y a programme » (E, p. 149). L’audiovisuel est un programme global de « privatisation de l’expérience » dont l’aphasie des films de Luc Besson aura été dans les années 80 l’un des symptômes les plus prégnants. Avec l’aphasie, « plus de récit, plus de partage par le récit, par le cinéma parlant » (E, p. 293). Un programme odieux que celui de « l’odieux-visuel » (M2, p. 673). À ce niveau, les meilleurs programmateurs restent les cinéastes baroques, Welles et Fellini avant-hier, Ruiz hier, Lynch aujourd’hui (D, p. 19).

Ce n’est pas qu’il y aurait crise du scénario mais, bien plutôt, qu’il y a « trop de scénarios et pas assez d’histoire. C’est la façon d’entrelacer des scénarios déjà connus (pré-mâchés) qui fait une histoire » (E, p. 258). Et qu'est-ce qu'une histoire, sinon un transfert tramé d’expériences vécues et non vécues ? Elle n’est pas une affaire de sympathie que l’on doit aux personnages mais d’empathie qui est un « affect expérimental » mis au jeu par la mise en forme ou en scène. Avec l’empathie s’expérimente l’expérience au double sens du terme : « ce qui a été vécu (par soi, par l’autre), ce qui pourrait l’être (l’expérimentation à faire, par moi, par l’autre) » (E, p. 335). C’est plus fort que lui, le cinéma (surtout de fiction) rachète ses personnages (D, p. 154). Le cinéma est un art du rachat, de la rédemption, « un art de la seconde chance, quand ce n’est pas un art de la dernière chance » (M4, p. 93).

Non pas qu’il y aurait des uns devant et derrière des autres, sauf si le cinéma soumet la représentation à la redondance des rapports de domination existants, mais une multitude constituante et démocratique, mouvante et anarchique. Des autres tous traités à égalité en tant qu’ils figurent la différenciation inépuisée et renouvelée de l’un du genre humain. Le cinéma est un lieu rassembleur de dissemblances (M4, p. 209). Moi, un Noir titre un film de Jean Rouch quand, plus tard, Jean Eustache sera l’ethnographe cruel de ses petits villages, d’abord narbonnais puis germanopratin. Je n’y est plus que l’autre de l’autre, l’identique rappelé à son impropriété fondamentale et c’est ainsi qu’en passant l’on salue l’ami Rimbaud.

On comprendrait mieux pourquoi les réalisateurs français peuvent par exemple fantasmer la famille clanique maghrébine, même les meilleurs comme Gérard Blain et Maurice Pialat, au nom de la crise de la famille traditionnelle gauloise et ses valeurs. Aller voir comment ça se passe de l’autre côté demande à faire preuve d’un plus d’attention à l’égard de leurs contemporains moins exposés comme Mehdi Charef. C’est pourquoi Bertrand Tavernier peut au début des années 80 vouloir redonner un coup de torchon à l’anticolonialisme d’antan, en mijotant la reproduction de la qualité française qui reste cependant homogène à la France encore coloniale des années 50. Ceux qui ont du succès comme lui osent pourtant cultiver le ressentiment. La situation n’en est que plus triste, mais somme toute raccord avec les bigots du fétichisme et les intégristes de la nostalgie. La critique comme description métaphorique d’objets singuliers est une tâche urgente quand règne la métonymie (D, p. 129).

Si l’autre est celui qui jouit à ma place, changer de place consiste seulement et dramatiquement à vouloir prendre à l’autre la place enviée. Pour s’en prémunir, on peut en revenir à une autre formule de Godard : « ne jamais se mettre là où on n’est pas, ni parler à la place des autres » (P, p. 38). Comme machine d’assignation jusqu’à la hargne et d’identification jusqu’à l’envie, le cinéma n’est pas hermétique au racisme dont la rengaine revient très fort dans les années 80, marquée d’un côté par un film important de Samuel FullerChien blanc, de l’autre par une figure comme Claude Autant-Lara, héraut de la Qualité Française qui a rejoint alors le Front National. Vichy revient hanter la société française (M4, p. 59). « La base de tout racisme : non qu’il y ait un autre, mais qu’il n’y ait pas le ET pour le penser » (M1, p. 200). Le refoulé pétainiste est contemporain des replis sur soi identitaires (M4, p. 126 et 167). C’est le fond de toute politique que Daney identifie en reprenant, à propos de L’Année du dragon de Michael Cimino, une observation de Pierre Legendre : « Quelqu’un jouit à la place d’un autre. (...) Il n’y a pas, il n’y a jamais eu d’autre question politique que celle-là, le rapport des sujets à la jouissance » (C2, p. 238).

Politique des auteurs,

à revoir (au revoir ?)

 La politique des auteurs ? Elle est un héritage de résistance et de combat, elle n'est que cela pour autant qu’elle est une « politique des ôteurs » qui sont les auteurs quand ils nous ôtent des illusions sur le cinéma et ses pouvoirs (R, p. 13). Dit autrement : un auteur « s’exclut – exprès – de ses images pour qu’on remarque bien son absence. Qui s’absente d’un chez-lui qui ne ressemble qu’à lui » (M2, p. 210).

Si l’auteur n’est pas un « ôteur », il n’est rien d’autre alors qu’un « promauteur », le commanditaire d’un produit, l’initiateur d’un concept publicitaire qu’il lui faut promouvoir en garantissant au public que c’est du très grand cinéma (E, p. 116). Avec le reflux d’une modernité en crise, le cinéma devient (ou redevient) « un art de cour, décoratif et léger, très cher, émancipé de toute collusion avec la morale ou avec la vérité, quelle qu’elle soit » (M4, p. 17). Un symptôme : l’alliance du spectateur avec l’auteur se joue la plupart du temps sur le dos des personnages alors que le second devrait faire sentir au premier qu’un personnage vit plusieurs vies dans des mondes parallèles ou « incompossibles » (M4, pp. 91 et 95). Les promoteurs d’une telle conception publicitaire et méprisante sont des post-cinéastes pour qui ne rien savoir de ce que le cinéma a su est un principe, une règle d’or. Avec le « post-cinéma » vient mécaniquement le « post-public » : le post-cinéaste signe l’image quand le post-public la paraphe (M4, pp. 156 et 159). L’esthétique publicitaire est un nouvel idéalisme pour autant que l’idéalisation serve concrètement à la vente de ce qui est idéalisé (M3, p. 32).

Le public est une conception bien trop molaire, unifiée et édifiante, lobbying, économie de parts de marché et publics segmentés. Alors qu’il n’y a que des spectateurs qu’il faut considérer un par un et là où ils sont, c’est-à-dire en tant qu’ils manquent à leur place comme Daney l’écrit en pensant au spectateur des films de Straub-Huillet (DR 93). La politique des auteurs ne persévère sans dévoiement qu’en étant rigoureusement une politique des spectateurs. La politique des auteurs tient autant à ne pas céder sur la question politique comme le raconte Jean Douchet, qu’à se penser aussi comme une politique du spectateur dont l’auteur est comptable en sachant que la place que le spectateur occupe face au film est toujours double : « une immobile (rivé à son siège : vision bloquée) et une mobile (captif dans une suite d’images : vision libérée). La première le soumet aux intérêts collectifs du public, la seconde le livre à sa propre course derrière son ombre » (E, p. 215-216). La place est double parce que la projection se dédouble, « une fois sur l’écran de la salle et une autre sur la rétine persistante de nos yeux » (M4, p. 156).

Les auteurs ? Se soustraire à l’autorité du maître, du père qui, sur ses hauteurs de patriarche vétérotestamentaire, aurait toujours raison. Préférer aux auteurs une approche cartographique en microsystèmes qui sont des écosystèmes, des petites machines de résistance et de désir, des agencements collectifs divisant le travail autrement, manuel/intellectuel, hommes/femmes, documentaire/fiction, cinéma/télévision (R, p. 194). Même si le cinéphile a du mal à échapper à la jouissance statutaire et auto-généalogique du « ciné-fils » (R, p. 205).

L’auteur « ne serait pas seulement celui qui trouve la force de s’exprimer envers et contre tous mais celui qui, en s’exprimant, trouve la bonne distance pour dire la vérité du système auquel il s’arrache (…) L’auteur serait, à la limite, la ligne de fuite par laquelle le système n’est pas clos, respire, a une histoire » (M2, p. 548). Le problème de l’auteur consiste donc à ce qu’il soit devenu en raison paradoxale de sa fortune un slogan publicitaire, un « argument de vente pour les distributeurs, sorte d’acquis syndical pour les jeunes cinéastes ("le droit à..."), tentation mécénique de certains producteurs de "réconcilier l’argent et le talent" [Daniel Toscan du Plantier pour Gaumont], affiche obligée de tout grand festival international, etc. » (C2, p. 103).

D’arme de combat, l’auteur est devenu un label pour l’industrie et une revendication hystérique pour les artistes. C’est pourquoi Daney divise encore, l’écriture critique a toujours fonctionné ainsi, en dialectisant et en métaphorisant. La fonction auteur se divise alors en deux profils distincts, « l’auteur-profil bas et l’auteur-profil haut. Cette double façon d’en faire trop est signe que du côté du mot auteur (je dis bien : le MOT), il y a quelque chose de ripou » (C2, p. 105). « Idiotie d’une politique des auteurs généralisée, devenue un marché des effets de signature » (M1, p. 210).

Au début des années 80, le star-system tourne à vide, au bord de la démence avec Alain Delon, du gâtisme avec Jean-Paul Belmondo (C1, p. 156). Au début des années 2020, l’auteurisme parallèlement critiqué par Noël Burch et Geneviève Sellier est atteint d’autisme en faisant que l’auteur soit le trou noir par où passent et disparaissent acteurs et personnages, formes et récits, fictions et figures. L’auteurisme est un cas particulier de maniérisme quand « la signature l’emporte sur le signé » (E, p. 21). Le cinéma y est redondant : « cinéma filmé » dit Daney en reprenant un mot de Jean-Claude Biette (D, p. 13). Cinéma filmé, « sur-signé, sur-signifié » (P, p. 73). Les « points de capiton » pour le dire sur un mode lacanien ont laissé place désormais à l’auteur capitonnant à toutes les images qui communiquent moins entre elles « qu’elles sont communiquées une par une » au nom de la signature et sa promotion publicitaire (M4, p. 207).

Contre tout repli nostalgique et fétichiste, des noms restent qui sont des armes de combat pour aujourd’hui. Malgré l’oubli comme y est tombé le mauritanien Sydney Sokhona avec le rare Nationalité : immigré où le film militant documente comme jamais la condition de papier de la vie des immigrés. D’autres sont plus évidemment plus connus. Hans-Jürgen Syberberg : Hitler est non seulement une marionnette kleistienne, c’est aussi un mauvais réalisateur kitsch. Un autre allemand, Rainer Werner Fassbinder : comment le peuple allemand a-t-il pu oublier si facilement ? (C1, p. 160). Jacques Tati : le monde se modernise en faisant communication de tout bois, c’est le devenir-média de n’importe quel corps pour qui tout fonctionne et tout communique (R, p. 132-135). On rit parce qu’on tombe, c’est le propre de l’homme, morale chaplinesque ; on rit parce que l’on pourrait chuter mais non, alors le propre de l’homme a disparu, impropriété du genre humain, éthique de Tati. Ousmane Sembene : comme chez Pagnol la parole fait foi car le verbe est loi en fonctionnant comme de l’écrit, la dimension est ici ethnographique, cosmogonique chez Souleymane Cissé (R, p. 140).

Straub-Huillet : un relevé archéologique-géologique, stratégique-stratigraphique des lieux où l’on a résisté et ce qui en reste est la « restance » (Derrida), soit le produit d’une triple résistance entre textes, corps et lieux (R, p. 143-144). Avec les cadavres sous la terre, la présence spectrale est prise en charge par le son parce qu’ils sont invisibles à l’image. Le plan se présente alors comme un mur, un tombeau (R, p. 147-148). L’anti-humanisme straubien est une lutte contre l’« hommanisme » (Lacan) qui nomme l’alliance des hommes contre les autres – tous les autres, les femmes, les non blancs et les animaux qui leur résistent.

Une revue pour y célébrer les auteurs ? Visages du cinémaCahiers du cinéma, pages « ciné » de LibérationMicrofilm sur France CultureTrafic : une revue est faite pour revoir en s’apercevant peut-être de ce que l’on n’avait pas vu la première fois (SD, p. 143 ; M4, p. 25). S’y joue la dialectique sans hypostase ni synthèse de l’image et de l’écrit. Une fois évacuée cette dyade et le temps nécessaire à ses déploiements, ses pas de côtés et ses battements, la revue cède devant le magazine, les posters et l’actu en prenant place à l’intérieur de l’audiovisuel où les plans sont devenus si minoritaires que les critiques ne les voient même plus. Les images sont devenues majoritairement pieuses, simulacres d’un nouveau Moyen-Âge avec ses artistes sulpiciens venus des nouvelles églises, la télé et la pub.

C’est le temps de la crise du cinéma qui se joue sur deux plans concomitants, crise de la salle obscure et crise de l’enregistrement dont la question en commun est celle de l’impression, objective et subjective, pellicule et cerveau, support filmique et membrane psychique. Crise plus précisément de la passivité qui reste une question aussi cruciale que mal comprise (on divertit contre l’ennui qui est désœuvrement essentiel à l’être) en raison d’un mauvais platonisme (E, p. 19). « La crise du cinéma, c’est la crise du "entre" » (E, p. 175). Crise de la projection accentuée par la diffusion (télévisuelle) qui ne projette effectivement plus rien (M4, p. 194). C’est le règne pulsionnel du zoom, reste automatique du regard qu’il simule en s’insinuant dans les choses pour ne jamais s’approcher jamais d’elles (c’est l’obscénité à la fois masturbatoire et hygiéniste du zoom qui touche à l’aveugle les choses en abolissant toute distance).

Le zoom est l’un des symptômes de l’empire totalitaire du « visuel » qui nomme la somme des images de remplacement dans un monde où l’hyper-visibilité est une fabrique généralisée de cécité (C2, p. 146). Le marché de l’image est toujours celui de l’image de substitution (M4, p. 98), corollaire du marché de l’individu formaté qu’est l’individualisme contemporain et du triomphe idéologique des classes moyennes « comme l’algue qui a bouffé la Méditerranée » (M4, p. 215). Des images sans traces de l’autre, sans contrechamp, du côté du pouvoir (D, p. 158). « Au Y’a d’l’un du visuel répond un Y’a d’l’autre de l’image » (M3, p. 784). La télévision si elle donne des nouvelles n’en donne que du monde « vu du pouvoir », c’est pourquoi on la regarde sans la respecter (D, p. 161). Le visuel ne montre rien parce qu’il ne monte rien, c’est visibilité sur visibilité jusqu’à saturation pour ne rien voir, regard immobilisé, à Hiroshima ou dans le Golfe (D, p. 164). Déficit d’enregistrement et d’imagination dont l’image porte le deuil (D, p. 166).

Le clip et la pub sont d’autres manufactures du visuel et il faut de la « zappologie » pour en distinguer les fonctions (M3, p. 682). Même si « le zapping est au montage ce que le moignon est au bras » (M3, p. 730). Un clip n’est pas un petit film mais « le faux résumé d’un grand film introuvable », une suite de raccourcis dans l’ignorance du chemin (C2, p. 230). Il n’empêche que Daney préfère le clip au court-métrage qui se résume trop souvent à son goût à la « bande-annonce faussement humble du long métrage que le cinéaste en herbe "vend" déjà » (idem). Un court-métrage réussi se dit plutôt par lui un film court. Quant à la pub, elle sait par exemple brillamment recycler le cinéma de Jacques Demy au moment où celui-ci a du mal à faire de nouveaux films, tout en exposant avec une netteté fascinante le programme publicitaire même : faire (croire) que toute demande du consommateur soit en-deçà de l’offre marchande. Le cinéma moderne a rompu avec le cinéma classique notamment sur cette question de l’histoire racontée au service de la vente des marchandises et des modes de vie. Un auteur qui reste un « ôteur » et non un « promauteur » est dès lors celui qui sait s’intercaler entre ses images et leur valeur marchande, par exemple Godard ou Ferreri s'interposant entre leurs acteurs et leur statut de vedette (E, p. 145).

L’écriture critique a une fonction nécessairement décapante, « éternel retour sur une jouissance fondamentale » (M1, p. 19). L’écriture critique se tient sur trois pieds, « trépied vision-parole-écriture » comme l’a dit Daney (D, p. 92) et l’amie Sylvie Pierre Ulmann après lui (SD, p. 113). On aimerait pour notre part ajouter un autre trépied, « lire-écouter-montrer » C’est une petite machine de résistance branchée sur une machine plus grande mais néanmoins minoritaire qu’est la revue de cinéma. Une revue est une petite machine de guerre et les élancements qu’elle accueille tiennent moins du bond du tigre que du saut de puce. Mais pour la puce comme pour le tigre se pose la même question : comment habiter le monde. Souci écologique du cinéma (E, p. 101), « ciné-démographie » (D, p. 124). Un souci qui disparaît à l’horizon du monde englouti dans « les procédures d’auto-cannibalisme du social » (M3, p. 610).

Le ciné-fils ?

Un enfant pour qui le père est absent

 Un film n’existe que si on l’a rencontré (R, p. 33). Le cinéma tient à cet égard à la fois du stock d’expériences et d’un système de description en soi (Robert Kramer). En hommage à Serge Daney, Manoel de Oliveira l’a indiqué de cette façon-là : le cinéphile est celui qui sait traquer le plan secret qui surprend le cinéma à l’intérieur du cinéma (SD, p. 82).

Le cinéma a été l’art du siècle, le seul art populaire et la cinéphilie en a forgé la « religion laïque » (M4, p. 178-179). Si la cinéphilie a été une « contre-culture parallèle » (P, p. 17), le communisme a parallèlement porté « la promesse d’une contre-société » (P, p. 143), Daney a plus d’une fois souligné les homologies structurales entre ces deux réalités. Comme imaginaire, la cinéphilie a aussi pour secret « que ce monde-ci est déjà un autre monde » (P, p. 101). Imaginaire spectral, clandestin aussi bien. Il y a en effet une clandestinité qui se déduit du dispositif de projection cinématographique à l’opposé du théâtre et son rituel honni d’exposition sociale (P, p. 119).

Comme tradition orale et pratique, la cinéphilie exige un corps désirant qui fonctionne à la croyance et dont, comme l’a marqué Jean-Louis Schefer, les films ont regardé l’enfance (R, p. 213). Les autres films « ne font pas que vieillir, ils nous regardent aussi vieillir » (C2, p. 91). Si le cinéma reste l’art de notre temps, c’est parce qu’il est celui du temps et de l’invention sauvage de nos temporalités respectives.

« La cinéphilie est une histoire d’orphelins têtus et de familles choisies » (D, p. 97). Pour le ciné-fils, le cinéma est le lieu du père mais pour autant qu’il manque à sa place – pour autant qu’il n’y soit pas, surtout pas. Le père est l’absent, il est donc une légende, un mythe biographique. Le mythe de Pierre Sky, le nom de scène d’une doublure voix d’Albert Préjean dans les coproductions franco-allemandes de l’entre-deux-guerres. Pierre Sky nomme aussi un corps juif perdu dans la nuit de l’antisémitisme nazi. Une voix sans corps, un fantôme qui est revenu à la rencontre de son fils comme ceux de Nosferatu dont le fameux carton avait été élu par lui comme un totem, et avant lui par les surréalistes.

Cinéma et modernité :  la suture est non seulement historique mais biographique, en devenant à la fin même mythique.

« Marcher dans les pas d’un autre qu’on ne rejoindra pas, on apprend ça au cinéma » comme le dit justement Benoît Jacquot (SD, p. 65). Les cinéphiles sont des enfants et des pirates comme on trouve chez Robert Louis Stevenson que Serge Daney aimait tant lire et relire. Il faut pirater, magnétoscoper, piquer les films disait-il et on se plaît à imaginer Daney heureux quand même à l’heure du téléchargement et du streaming.

L’enfant, Jacques Rancière en parle de cette manière, depuis la question de son désir de l'image et son bonheur quand elle arrive : « (...) on ne triche pas avec le désir de l’enfant qui vient, dans l’ombre et le silence, attendre le bonheur de l’image capable en même temps de combler et de surprendre son attente » (SD, p. 91). L’enfance et pas le puérilisme qui fait industrie de l’infantilisme narcissique : l’enfance est « une ligne de fuite, exigeante, sérieuse » (E, p. 234).

« L’enfance, il m’aura fallu une vie pour la reconquérir » (P, p. 39).

Le cinéphile serait un fils mais d’un père absent, un fils pour autant qu’il est d’abord un enfant. John Powell, Michel Gérard, Edmund Kohler, John Mohune et Antoine Doisnel, tous des enfants abandonnés, tous aimés par le cinéphile qui s’est reconnu en eux. Des enfants livrés à eux qui, cependant, « se réunissent pour inventer des jeux : des mondes, des corps et des actions invisibles à travers lesquels ils se parlent, deviennent un peu frères et restent enfants pour la vie » comme le dit Jean-Louis Schefer (SD, p. 96). Le jouet de l’industrie du puérilisme est tellement moins désirable que le joujou des cinéphiles mélancoliques : « Le cinéma, c’est un peu les jouets qu’on est obligé de ranger, parce qu’on est devenu trop grand pour jouer avec le nounours, pourtant on l’aime toujours, ce nounours » (M4, p. 222).

Il y a une phrase tirée des Grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos qu’aimait beaucoup Serge Daney. On voudrait la reprendre pour nous en en faisant la passe : « Qu’importe ma vie ! Je veux seulement qu’elle reste jusqu’au bout fidèle à l’enfant que je fus (....) et qui est à présent pour moi comme un aïeul » (P, p. 45).

Bibliographie :

C1 – Ciné journal : volume 1. 1981-1982, éd. Cahiers du cinéma 1986 (1998)

C2 – Ciné journal : volume 2. 1983-1986, éd. Cahiers du cinéma, 1986 (1998)

D – Devant la recrudescence des vols de sacs à mains, Cinéma, télévision, information. 1988-1991, éd. Aléas, 1991 (1997)

E – L’Exercice a été profitable, Monsieur., éd. P.O.L., 1993

M1 – La Maison cinéma et le monde 1. Le Temps des Cahiers 1962-1981, éd. P.O.L./Trafic, 2001

M2 – La Maison cinéma et le monde 2. Les Années Libé 1981-1985, éd. P.O.L./Trafic, 2001

M3 – La Maison cinéma et le monde 3. Les Années Libé 1986-1991, éd. P.O.L./Trafic, 2012

M4 – La Maison cinéma et le monde 4. Le Moment Trafic 1991-1992, éd. P.O.L./Trafic, 2015

P – Persévérance. Entretien avec Serge Toubiana, éd. P.O.L., 1994

R – La Rampe : cahier critique. 1970-1982, éd. Cahiers du cinéma, 1983 (1996)

SD – Serge Daney, éd. Cahiers du cinéma, 1992 (2005)

 Des Nouvelles du Front, 23 février – 3 mars 2021


L'Autre Quotidien collabore avec la revue en ligne Des Nouvelles du front autour du cinéma, mais pas que, puisque nous partageons avec elle d'autres passions et prises de position. Nous la laissons se présenter elle-même :

CONTRE L'ENVERS DU CINÉMA, LE CINÉMA CONTRAIRE

Avec la conjonction de l'esthétique et de la politique, se pose l'affirmation d'une nécessité d'essayer de penser les images à l'endroit même (le cinéma) où elles seraient paradoxalement, à la fois les plus faibles peut-être (en termes de rapports de force faisant l'actuel capitalisme médiatique et culturel) et peut-être aussi les plus fortes (en promesses de sensibilité, de pensée et d'émancipation). Et il n'y aurait là rien de moins politique dès lors que l'on refuse de cantonner, ainsi qu'y travaille par ailleurs la doxa, les choses (cinématographiques) de la sensibilité et de l'esprit dans les marges de luttes qui, où qu'elles se produisent, ne le font que depuis l'esprit et la sensibilité de ses acteurs et de ses actrices. Donc, des nouvelles du front, comme autant de prises de positions.