L'AUTRE QUOTIDIEN

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Gilles Verdet, "Les Ardomphes" : roman-labyrinthe, roman-jeu, roman noir

On connaît l'attachement de Gilles Verdet pour Arthur Rimbaud. Dans son roman Voici le temps des assassins, déjà Verlaine et Rimbaud tenaient une place de choix. Cette fois, il a choisi pour titre le surnom affectueux (ou pas!) que Rimbaud donnait à sa région des Ardennes. Dans Les Ardomphes, Gilles Verdet joue avec son lecteur et lui offre un puzzle littéraire aussi savoureux qu'addictif.

Richard est SDF, il dort sur les bancs, mange quand il peut, chope ce qu'il peut lors de ses tournées quotidiennes, et fait de temps en temps les poubelles avec son pote antillais Jean-Jean, éboueur de son état. "Et tous deux, en douce, ramassaient. Ramassaient tant qu'ils pouvaient. Et ce qu'ils pouvaient." Ce jour-là est faste : Richard a réussi à récupérer à une station de taxi un sac oublié par un homme pressé et étourdi. Dedans, une luxueuse écharpe en soie et cachemire, des livres, une bouteille d'un grand château bordelais. Pittoresque, Richard... C'est bien l'avis de Claire, photographe, qui se prend d'une passion éphémère pour le clodo odorant et son écharpe de luxe, le photographie tant et plus, et finit par vendre son image pour une campagne publicitaire. Vu que l'art, c'est bien, mais c'est encore mieux quand ça paye.

A qui Richard raconte-t-il sa vie ? Sa vie est exposée tous les jours en "podcast" sur une radio culturelle nationale, dite par une comédienne, Catherine. Régulièrement, le producteur de l'émission, François, reçoit son texte. D'où vient-il ? Qui en est l'auteur ? Certainement pas Richard... On le saura, plus tard, quand le temps sera venu. En attendant, l'émission cartonne, et Richard ne sait pas qu'il est en train de devenir une star radiophonique. Lui, ou plutôt son histoire. Sa trombine dans une campagne de pub, sa vie dans un podcast radiophonique : quel drôle de monde. Quelle drôle d'affaire, qui va servir de tremplin à une liaison qu'on voit venir très vite entre François et Catherine, tous deux mariés, installés. Une liaison qui va naître à l'hôtel des Ardennes, non loin du Canal Saint-Martin.

Quatre bancs du Jardin des plantes, à Paris. Photo par Besopha

Trop de secrets, trop d'ignorance, trop d'indifférence. Tous ces personnages vont construire, sans le savoir, chacun une couche de l'histoire qui se déroule sous nos yeux de lecteurs. 

Le texte joue avec les typographies, l'italique pour le récit de la vie de Richard, le romain pour les événements satellites. La "biographie" prend le parti du style parlé, enrichi d'un vocabulaire fleuri, qui n'hésite pas à retrouver l'argot d'un autre temps."La gaieté solitaire de Richard l'étourdissait. Il avait repris son trimard d'habitude. Sa petite tournée. Avait ramassé peu. Des picotins de déchets dérisoires. Des broutilles en fin de vie, à peine recyclables. Ils avaient alourdi un peu plus son sac à misères et arrondi davantage sa silhouette de pèlerin." Les événements périphériques, observés par un narrateur invisible, sont riches en observations aussi subtiles qu'impitoyables, la psychologie des personnages révélée par leurs actions et leurs mots. Gilles Verdet est un styliste, quelqu'un qui goûte les mots, les malaxe, les savoure, les cuisine. Avec Les Ardomphes, il accomplit aussi un petit miracle de construction littéraire, pour notre plus grand bonheur.

Qu'arrive-t-il lorsqu'un dérèglement du monde, un grain de sable, vient s'immiscer dans les mécanismes bien rodés des uns et des autres ? Quand se rencontrent des êtres qui n'auraient jamais dû se croiser ? Quand s'interpénètrent des mondes ordinairement hermétiques ? Les Ardomphes est aussi un roman noir : il serait bien étonnant que tout cela se termine bien... 

Velda le 31/03/2021
Gilles Verdet
, Les Ardomphes, Gingko éditions