Et si iels lisaient de la bande dessinée ?
La France a peur : des pronoms viennent de faire leur entrée dans le dictionnaire le petit Robert et certains hommes politiques dont le Ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer s’emportent contre ce choix des lexicographes. On lui propose de lire une petite bande dessinée de 2018 de Morgane Parisi pour se calmer et dire un peu moins d’énormités.
Le 16 novembre, François Jolivet Député LREM de l’Indre envoie un courrier très officiel à L’Académie Française en expliquant que « Les auteurs [le petit Robert] ont souhaité faire entrer dans notre langue des mots que je méconnais, il s’agit de “iel, ielle, iels, ielles”. Je suis stupéfait par cette initiative. »
Avant de continuer, arrêtons-nous quand même sur la plainte de faire entrer des mots que l’on ne connaît pas dans un dictionnaire dont l’un des buts est d’éclairer sur les mots méconnus. Bref…
Jean-Michel Blanquer partage cet avis et est en boucle sur les chaînes d’infos depuis hier.
Un peu de bande dessinée comme support pédagogique, Jean-Michel?
En 2018, l’autrice Morgane Parisi a publié une courte bande dessinée L’écriture inclusive ! pour revenir sur son histoire, ses évolutions et les idées reçues. Ces planches publiées dans l’ouvrage collectif Féministes chez Vide Cocagne sont aussi disponibles en ligne, à prix libre.
Morgane Parisi s’appuie sur 3 livres pour construire et étayer son histoire : Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! D’Éliane Viennot ; Tirons la langue. Playdoyer contre le sexisme dans la langue française de Davy Borde et Pour une grammaire non sexiste de Céline Labrosse.
Elle aborde autant l’histoire de la langue française et ses nombreuses déformations, déclinaisons, évolutions pour répondre à ceux qui, comme e Ministre de l’Éducation nationale pensent qu’ « On ne change pas la langue ». Petite pensée pour tous les auteurs qui en ont joué de Rabelais à Georges Perec, en passant par Boris Vian, Pef, Alain Damasio, Jacques Prévert, Raymond Queneau…
Des termes sont expliqués dans un glossaire, des idées reçues comme « Autrices, iels, c’est moche ! » avec des contre-arguments pertinents. Ou encore sur cette féminisation de la langue en revenant sur la longue histoire de la masculinisation de la langue française par ses élites.
Vous y trouverez des informations sur le point médian ou des conseils pour utiliser des mots épicènes et les accords de proximité.
« Le mot du jour »
De son côté Charles Bimbenet, Directeur général des Éditions Le Robert, à publié un billet pour expliquer ces choix de la rédaction en s’amusant de la polémique « que la controverse autour de notre langue, de son évolution et de ses usages, puisse parfois être vive, parfois houleuse, ce n’est pas nouveau, on peut même y voir un excellent signe de sa vitalité.»
Il donne des précisions sur l’intérêt de ces nouveaux mots (en réponse à la très curieuse phrase de François Jolivet et son « faire entrer dans notre langue des mots que je méconnais »)
« Le mot « iel » a été discuté début octobre en comité de rédaction Le Robert, au cours duquel il a été décidé de l’intégrer dans notre dictionnaire en ligne : si son usage est encore relativement faible (ce que nous avons souligné dans l’article en faisant précéder la définition de la marque « rare »), il est en forte croissance depuis quelques mois. De surcroît, le sens du mot « iel » ne se comprend pas à sa seule lecture – dans le jargon des lexicographes, on dit qu’il n’est pas « transparent » –, et il nous est apparu utile de préciser son sens pour celles et ceux qui le croisent, qu’ils souhaitent l’employer ou au contraire… le rejeter.»
En guise de conclusion, il rappelle les missions des éditeurs de dictionnaires : « Est-il utile de rappeler que Le Robert, comme tous les dictionnaires, inclut de nombreux mots porteurs d’idées, présentes ou passées, de tendances sociétales, etc. ? Ce qui ne vaut évidemment pas assentiment ou adhésion au sens véhiculé par ces mots.
Dit plus clairement : ce n’est pas le sujet pour nos lexicographes. La mission du Robert est d’observer l’évolution d’une langue française en mouvement, diverse, et d’en rendre compte. Définir les mots qui disent le monde, c’est aider à mieux le comprendre.»
Thomas Mourier, Bubble, le 19 novembre 2021
On espère que la bande dessinée de Morgane Parisi aidera nos gouvernants à comprendre, et vous, à vous faire un avis éclairé sur ce débat du moment. Elle est disponible en ligne ici ou dans ce livre Féministes.