Si vous aimez David Medioni, vous prendrez le train
David Medioni, que l’on connaissait davantage comme le journaliste passionné à l’origine de la revue Ernest, notamment, a su avec malice, brio et une indéniable poésie du quotidien et du moins quotidien, confronter notre imaginaire du train à la fois diffus et omniprésent à la réalité fugitive de notre expérience presque quotidienne des TGV, TER, Thalys, Eurostar et autres trains de banlieue.
Raúl Argemí, Éric Bohème, Michel Butor, Blaise Cendrars, Agatha Christie, Ted Conover, Mathias Énard, Maylis de Kerangal, Hugo Pratt, Jean-Marc Rochette, Olivier Rolin, Bertrand Schmid, François Schuiten, Philippe Vasset, William T. Vollmann, Émile Zola : quelques exemples, rapidement tirés de lectures récentes ou moins récentes, pour nous rappeler à quel point le train, sous bien des formes allant de la locomotive charbonneuse au train blindé, du tortillard andin à l’aérotrain pré-futuriste, de la gare au ballast, occupe nos mémoires littéraires.
David Medioni, que l’on connaissait davantage comme le journaliste passionné à l’origine de la revue Ernest, notamment, a su avec malice, brio et une indéniable poésie du quotidien et du moins quotidien, confronter cet imaginaire à la fois diffus et omniprésent à la réalité fugitive de notre expérience presque quotidienne des TGV, TER, Thalys, Eurostar et autres trains de banlieue.
Avec ce « Être en train », publié chez L’Aube en janvier 2021, jouant affectueusement du jeu de mots de son titre et de celui de son sous-titre, « Récits sur les rails », il nous emmène allègrement, sourire songeur en bandoulière, pour déchiffrer ce qui se passe en nous lorsque la distance (entre train de campagne et Transsibérien), le temps suspendu (malgré le wifi et les smartphones), les rencontres réelles ou imaginaires, tissent leur toile autour de notre moi ferroviaire. Et il ne peut que traduire malicieusement le paradoxe qui fait de la SNCF d’aujourd’hui le chantre depuis quarante ans du tout-vitesse et de la sacro-sainte rentabilité (du yield management aux économies) alors même que, comme le souligne ailleurs un Hartmut Rosa, la demande sociale (hors noyau dur des businessmen les plus acharnés) se tourne plutôt, de plus en plus, vers un ralentissement et un allongement du temps libéré… La vie comme un songe ferroviaire, et une belle invitation à regarder autour de soi et à méditer.
Le train s’arrête, je descends. Un seul quai. Une cahute en bois en guise de gare. Le photographe m’a prévenu par SMS qu’il serait là à neuf heures plutôt qu’à 8 h 32. J’ai une demi-heure pour prendre ce fameux café. Je cherche l’établissement, les tables, les chaises, les serveurs, les lectrices qui attendent le train, les fous du téléphone qui passent les coups de fil d’avant voyage. Je cherche, mais je comprends vite que le seul café que je pourrai prendre, ce matin-là, est un café lyophilisé au goût de détergent issu d’une machine automatique. Deux euros, tout de même. Je comprends aussi très vite que le seul fauteuil qui pourra m’accueillir est en fait un de ces tabourets en bois qui pullulent un peu partout en France. Le message de Meuse-TGV est clair : « Lève-toi et marche, tu ne crois tout de même pas que tu vas pouvoir prendre ton temps, lire, attendre en rêvassant. La modernité, c’est la vitesse. Le passage furtif. Le temps optimisé. La flânerie n’est pas de ce monde. » Voilà le message que me renvoie cette gare. Comme l’avait fait celle – moderne – de Montpellier Sud-de-France, alors que j’étais arrivé un peu en avance et que je cherchais un lieu pour m’attabler et grignoter un sandwich. Ce que nous disent ces nouvelles gares, c’est : « Passe ton chemin. Avance. Ne t’arrête pas. Ne stoppe pas le mouvement. » Assis sur mon tabouret de bois, alors que la gare a été désertée jusqu’à l’arrivée du prochain train, je me plonge dans les notes du téléphone où je consigne des idées. Je tombe sur Paul Virilio, philosophe de la vitesse qui écrivait :
La question de la vitesse est une question centrale qui fait partie de la question de l’économie. La vitesse est à la fois une menace, dans la mesure où elle est capitalisée, tyrannique et, en même temps, elle est la vie même. On ne peut pas séparer la vitesse de la richesse. Si l’on donne une définition philosophique de la vitesse, on peut dire qu’elle n’est pas un phénomène, mais la relation entre les phénomènes.
Alors que mon photographe n’est pas encore là, que mon café machine au goût de détergent est terminé, je songe à cette attente. Ce moment que j’aime tant habituellement. Cette attente apaisante qui donne une forme de but. L’attente qui mobilise nos corps et nos esprits. Elle est si jolie quand elle s’agrémente d’un café, de son ambiance, de son brouhaha et de pensées diverses et variées. Ce matin-là, elle était étrange. En regardant la gare vide, elle était même un peu coupable : « Et si j’étais en train de perdre mon temps » ?
Hugues Charybde le 29/10/2021
David Medioni - Être en train - éditions de l’Aube
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