L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Se faire piéger par le Miroir aux alouettes d'Agathe May

Parler d’art au quotidien en 2021, c’est parier sur la portion congrue allouée aux artistes, ces inessentiels du quotidien, à la manière de Voltaire : “Le luxe cet inutile indispensable”. Or donc Agathe May s’intéresse aux faux semblants, aux divers miroirs aux alouettes, les pièges du moment qui parient sur autre chose que ce qu’ils montrent. A l’image du politique français depuis l’élection de minus politicus.

Agathe May, Un si petit jardin, 2020 Xylographie, tirage monotype sur papier Japon
— 137 × 107 cm

De ces étonnants objets, pièges utilisés par les chasseurs pour attirer les alouettes, a découlé une expression populaire qui dit bien ce qu’elle veut dire : l’oiseau est séduit, attiré et trompé. Le mouvement et l’éclat surnaturel de l’objet aiguise sa curiosité et il ne peut y résister. Les titres des œuvres exposées reprennent l’intitulé de l’exposition puis le prolongent par Un Fil à la patte. Ils sont donc au cœur de cette problématique contemporaine ici représentée par des visages penchés vers le sol, éclairés par les écrans des portables et autres ordinateurs. Les visages dans cette lumière crue sont hypnotisés, absorbés par cette source d’énergie, recréant après Georges de La Tour, cette impression de l’individu cerné par l’obscurité.

Agathe May, Le fil à la patte, 2020 Xylographie sur papier Japon — 96 × 61 cm

Dans La Caverne, l’homme ultra connecté, engourdi, est un homme entravé et dépendant d’un réseau de câbles et de branchements entremêlés. Il n’a plus besoin de se confronter à la réalité du monde. La virtualité des choses et des êtres lui suffit. Ses yeux, habitués à la lumière de l’ordinateur, ne voient plus le ciel. Il vit dans l’opacité. Le Rideau est fermé : un monde factice vaut mieux — même si on le sait insuffisant et bancal.

En contrepoint de ces œuvres, la femme semble prendre une place plus courageuse et solaire, plus ancrée Entre ciel et terre, malgré les contraintes, les pièges et les empêchements auxquelles elle est habituée, pour vivre dans un monde rétréci devenu Un si petit jardin. Les enfants continuent à construire leur Cabane, rêvant encore à leur vie d’adulte future.

Dans chaque gravure, l’animal observe l’humain. Alors que les hommes se mettent à l’abri en se contentant d’illusoire — devenus aveugles, sourds et sans voix — ce sont bien les animaux les plus lucides et les plus capables de juger de la folie qui s’est emparée du monde. Curieuse exposition, où tous les thèmes abordés peuvent être relus dans une actualité fanée mais qui se révèle toutefois quelque peu prémonitoire lorsqu’on connaît leur date de réalisation : entre 2016 et 2019.

Agathe May, Un si petit jardin (détail), 2020 Xylographie, tirage monotype, sur papier Japon

L’exposition se termine avec À fleur de peau, où l’artiste se représente comme sur un bûcher, brûlée par les informations d’un journal quotidien, se bouchant les oreilles et se refusant de voir, ne supportant plus les drames, les plaintes et les douleurs du Monde. Le Miroir aux alouettes évolue alors vers un autre proverbe : « faire l’autruche ». Rien de bien nouveau sur la planète.

C’est une hypersensibilité au monde et un regard critique sur la société contemporaine qui se révèle à chaque exposition de l’artiste. Dans Les Cracheurs, c’était l’adolescence et le rapport au corps ; dans Haute et basse cour, les rapports humains étaient questionnés ; dans Outrage, le rapport à la nature. Dans Le Miroir aux alouettes, l’artiste aborde les dérives inégalitaires et communautaires d’un monde d’hommes plus entravés que libérés.

Agathe May est née en 1956, Neuilly-sur-Seine. Elle vit et travaille à Montreuil. Diplômée de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, Paris, en 1979, elle a été pensionnaire de la Villa Médicis puis de la Villa Kujoyama, Kyoto, Japon. Elle a reçu, en 2017, le prix Mario Avati de l’académie des beaux-arts de Paris suivie d’une exposition personnelle à l’institut de France. Les xylographies d’Agathe May, imprimées par l’artiste, sont encrées comme des peintures, assemblées, collées, rehaussées. L’artiste fait de chaque tirage un exemplaire unique, une image à chaque fois réinventée. Cette technique exigeante est la matérialisation de son œuvre riche et singulier. Le miroir aux alouettes est la cinquième exposition personnelle d’Agathe May à la galerie depuis 2007. Et cela mérite votre attention, ne serait-ce que pour viusaliser comment vos ennemis vous voient - ou comment vous pourriez arriver à les voir et les mettre à distance… Go !

Jean-Pierre Simard le 18/01/2021
Agathe May - Le Miroir aux alouettes - > 13/03/2021
Galerie Catherine Putman 40, rue Quincampoix 75004 Paris

Agathe May, Entre ciel et terre, 2020 Xylographie, tirage monotype sur papier Japon — 191 × 97 cm