Stéphane Blanquet fait bonnes figures à la Halle Saint-Pierre
En ces temps masqués d’incongruité et de Covid 2020 (en attendant la nouvelle version), Stéphane Blanquet vient poser son imaginaire têtu et outsider à la Halle Saint-Pierre à Montmartre. Et là, les média asservis ne peuvent plus seriner que le petit chat est mort, car la représentation en place n’est plus dans leurs codes, exprimant justement l’humanité souterraine que refuse leur surmoi sans émoi. Bonheur …
« Il est très rare que l’on vous donne les clefs d’un lieu pour l’investir entièrement, sur une longue période, en vous laissant libre de s’y déployer de bas en haut, sur tous les murs, dans tous les espaces, de l’investir avec des images, des dessins, des sculptures, des expérimentations visuelles, des couleurs et lumières rouges vives, des nouvelles pièces rêvées pour le lieu. Il faut l’investir, se répandre, s’ouvrir soi-même et aller chercher sa propre matière. C’est à l’intérieur de soi que ça se passe, à l’intérieur de moi que sont mes images, mon univers, mes uni- vers. Une tête ne suffit pas à contenir toutes mes envies, il m’en faut toujours plus, comme à mon habitude, plus de tout, plus de couleurs, plus d’espace, et évidemment plus de têtes. Plus d’univers nécessite / appelle / exige / signifie plus de têtes. Dans les têtes de Stéphane Blanquet - dans mes têtes. Une exposition d’un an ne peut pas rester statique, je suis trop agité pour la laisser dormir confortablement. Il me faut de l’inconfort et mon inconfort sera généreux. Diviser un an en trois temps, exposition évolutive en trois moments, tous les quatre mois réinvestir l’espace, le faire évoluer avec de nouvelles images, de nouvelles installations, des œuvres peu vues, des nouvelles tapisseries, des nouveaux totems, de nouvelles têtes. Pourquoi s’arrêter là ? Ce n’est pas suffisant, ce n’est jamais assez, alors déployons. Au-dessus de moi, à l’étage, au-dessus de mes têtes, je veux montrer d’autres univers, des univers frères, des univers sœurs. Des invités du monde entier. Des peintres, des collagistes, des dessinateurs, des artistes du monde entier, en deux expositions successives, une cinquantaine d’artistes. Il faut se déployer dans la générosité. Donc, en même temps que les murs, lancer un journal, un hebdo-madaire, La Tranchée Racine. Chaque semaine, sur toute la durée de l’exposition, une excroissance graphique, en couleurs, imprimée sur un beau papier. 40 numéros, 500 artistes du monde entier. Il faut au moins ça, c’est un minimum. Il faut le maximum. Dans mes têtes, c’est comme ça. » (Stéphane Blanquet )
L’art s’étant vu confisqué par les super riches, c’est ailleurs qu’il se manifeste en changeant de forme, de formule et, surtout, de discours, tel que l’artiste le redéfinit lui-même : “La sous-culture est plus pernicieuse, plus virulente, plus vicieuse que l’art. L’art on sait où le trouver, il est au chaud, même s’il se dit violent ou anarchiste, il restera bien au chaud sous ses dorures. La sous-culture, elle, ne fait pas semblant, ne se donne pas de médailles, ou alors en chocolat. La sous-culture est toujours en danger, cachée dans la jungle, entre un paquet de lessive et des jouets en plastique bon marché. Même si parfois je flirte avec le milieu chaud et confortable, même si j’y glisse un doigt ou bien même un bras, le reste de mon corps est dans les intempéries des sous-sols.” Underground, quand tu nous tiens …
Les sous-sols s’avèrent l’univers matriciel de Blanquet, un underground culturel réel où naissent ses images abrasives, mais aussi le lieu symbolique d’où provient la voix qui les anime. Ses influences sont sans conteste du côté de la bande dessinée érotique bon marché des années 70 à 90, genre Elvifrance; une littérature de gare licencieuse, au sexe explicite et à l’horreur débridée. Et cela entraîne Blanquet du côté d’une mise en images du monde des pulsions, du sexe et de l’organique « Si on regarde bien, je dessine une brindille comme si c’était un organe, de l’herbe comme des poils, c’est une vision organique de tout, tout transpire plus ou moins, et tout est vivant... Et puis, il est bien plus passionnant de dessiner, de faire vivre des morceaux, cela devient comme des paysages, falaises de gorges, forêt de vulves, ça devient plus intéressant qu’une petite balade dans la campagne ». Mais si l’Eros est ici généreux, s’il sécrète dans une joyeuse abondance, sa force vitale et créatrice reste - et c’est le but - inquiétante dans son engendrement jusqu’à l’obscène, dans sa prolifération jusqu’à la monstruosité. « Vomir sa propre œuvre, face au vide, face à l’encre épaisse, face à son propre dégout, soi-même, c’est là qu’est l’impact. Face à face. Être seul et vomir sa propre mélasse, son propre jus, noir ou rouge, pourvu qu’il ne soit pas transparent ». Le corps, pour Blanquet, est instauré en une réserve de vitalité inépuisable, une véritable usine où chaque organe ne s’arrêtant pas à une fonction biologique prend alors un statut expressif, dévidant sur le monde environnant ses sécrétions symboliques. A l’injonction du ministre des écoles qui rêve d’une vêture républicaine, l’éponyme Jean-Michel, on, dira qu’on ne cherche pas des poux à un chauve encravaté et qu’aller au fond des choses ne nécessite ni col claudine ni forcément un pli à son pantacourt …
Blanquet adore faire la peau au refoulé et les explose en pleine vision retricotant Eros et Thanatos à l’envi : « S’user jusqu’à la corde, raide, raide et rouge. La radicalité d’une œuvre n’est pas collective, elle ne peut l’être, elle est avec soi-même, sans posture, à poil devant la mort ». La REM étant en perte de vitesse par hémorragie d’adhérents, on pourra toujours conseiller aux anciens encartés d’aller faire un tour à l’expo… Là, rien ne sera programmé par des énarques crétins, des recracheurs de théorie passéistes et autres nostalgique d’un ordre qui n’a vraiment rien de nouveau. Ici, on navigue dans l’inéluctable et le vivant.
Jean-Pierre Simard avec Martine Lusardy le 23/09/2020
Stéphane Blanquet - Dans les têtes de Stéphane Blanquet -> 30/07/2021
La Halle Saint-Pierre 2, rue Ronsard 75018 Paris