L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les Skeletons comme entreprise de défragmentation du monde

Des crachouillis statiques au bord du silence et puis un instrument avançant distordu pour mieux annoncer la voix de Matt Mehlan qui va vous faire divaguer au fil de l’album et vous conter des histoires très bizarres. Vous voici à l’écoute de If the Cat Come Back, dernier et très tordu album des Skeletons. Une réussite à rendre l’état du monde.

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Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

Matt Mehlan, leader de l'autoproclamé Skeletons, s'est forgé une carrière underground à partir d'un rock-art polyrythmique aux contours flous mais à la construction dense qui, dans ses meilleurs moments d'abandon, donne l'impression que les musiciens qui le composent ne sont pas du tout au courant de ce qui s’y passe. Pour If the Cat Come Back, Mehlan a composé sur un instrument électro-acoustique à 17 tons, le Shtar. La volatilité de l'instrument prépare le terrain pour une écoute excitante, même si la vedette du disque est la voix de Mehlan au timbre rêveur, presque apaisé par la drogue. C'est un disque étrange, produit par un musicien qui l’est tout autant, sorte de complainte microtonale sur les temps sombres de l’aujourd’hui et, si vous vous trouvez sur sa longueur d’onde, c'est probablement l'un des disques les plus bizarre que vous entendrez cette année.

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A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

La musique du tar, l'instrument persan à long manche sur lequel est basé le Shtar, est robuste et sonne moyen-oriental, les joueurs utilisant fréquemment des accords, des marteaux, des courbes de cordes et des arpèges pour en tordre le sens maximum. Sur If the Cat Come Back, le Shtar de Mehlan est tout à fait différent - épars et dissonant au point d'être atonal -, arrachant des notes apparemment aléatoires comme s'il pinaillait dans le manche d'une guitare acoustique. Il accompagne ici l'instrument construit sur mesure, là encore souvent de manière sporadique, avec de la basse électrique, des percussions, des ornements électroniques de pépins et bien d'autres choses encore. Cela en redouble l’étrangeté et sert assurément le propos qui parle de l’état du monde 2020 en une version assez renversante.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Certaines chansons sont ponctuées de clips sonores dont la voix du locuteur est brouillée et ralentie au point qu'on a l'impression qu'elle passe à travers une méchante gueule de bois ou le filtre d'une forte dose de Thorazine. Bien que l'instrumentation soit souvent construite avec beaucoup d'habileté et de retenue, Mehlan, faisant écho à Songs : I See A Darkness d'Ohia et Will Oldham, peut-être, fait jaillir du silence une très brillante luminosité. A certains moments même, il ne flotte dans l'éther que quelques notes sur le Shtar et la narration de Mehlan, souvent influencée par le rêve. Cela peut donner l'impression d'un étrange entre-deux dans la procédure - ainsi que le sentiment que l'auditeur est témoin de quelque chose de rare et de spécial. Qu'il en soit ainsi.

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Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

En 2017, un an après avoir sorti Am I Home ? le précédent album du groupe, Mehlan avait commis solo, via le collectif Shinkoyo, une suite pop mutante influencée par Bill Withers appelée The Mehlans. Et, après plusieurs écoutes, If the Cat Come Back commence à ressembler au yin couvant du yang aux accents brillants de The Mehlans. Ces deux galettes rock-art sont à classer sur le même rayon que les meilleurs Grubbs et O'Rourke. Ces deux albums entrant en résonance, le premier ouvrant le jour et le second le crépuscule, on est assez impatient de découvrir - et au plus tôt - sa vision de la nuit. L’Albatros est de Baudelaire et le son de 2020.

Jean-Pierre Simard le 16/09/2020
The Skeletons - If the Cat Come Back - Shinkoyo